jeudi 13 janvier 2011

Le studio d'Ai Weiwei rasé - Shang Hai

Le Soir - 1E - CULTURE, jeudi, 13 janvier 2011, p. 40

Arts plastiques - Le dernier signe de l'arbitraire du pouvoir chinois

Barbe courte, silhouette ronde, Ai Weiwei a pris l'avion de Pékin pour constater les dégâts. Il promène sa petite caméra parmi les décombres où des ouvriers en casque jaune et orange s'activent pour récupérer les matériaux de construction qu'ils pourront revendre. « Mon studio de Mulu à Shanghai ! » , dit-il en pointant un tas de briques et de fils de fer enchevêtrés. « Il y a 24 heures, se tenait encore ici une belle architecture. Mais hier brusquement tout a été mis à bas par le gouvernement local » . Le bâtiment de 2.000 m2 a nécessité deux ans de travail, cet artiste y avait investi un million de dollars.

La Modern Tate de Londres expose en ce moment une de ses monumentales installations : un tapis de graines de tournesol en porcelaine interroge notre perception du « made in China » . En Chine, il est surtout connu pour avoir été l'un des concepteurs du Nid d'oiseau, le stade olympique des Jeux de Pékin.

Le plus surprenant confiait l'artiste mardi est qu'à l'origine le gouvernement de Shanghai l'avait supplié de créer son studio dans le district excentré de Jiading dans un nouveau parc à thème. Simplement Ai Weiwei n'est pas un artiste qu'on peut facilement épingler comme une décoration. Ce provocateur-né joue de sa notoriété comme une caisse de résonance. Il a ainsi enquêté sur les « écoles de tofu » , ces écoles qui se sont effondrées sur les enfants lors du séisme du Sichuan en 2008, parce qu'elles étaient construites au rabais. L'année dernière, il a aussi réalisé un documentaire sur le dissident Feng Zhenghu, qui a vécu plusieurs mois dans la zone de transit de l'aéroport de Narita au Japon, interdit de rentrer dans son pays au moment de l'Expo universelle de Shanghai.

Une faute probablement impardonnable pour la municipalité de Shanghai. Chen Jie, directeur de l'urbanisme du district de Jiading, a dit au quotidien officiel Global Times : « Nous avions prévenu que le studio serait démoli un jour. » En novembre, Ai Weiwei avait organisé un banquet de crabes de rivière pour moquer la décision de détruire le studio de Mulu. Spécialité shanghaienne, « le crabe de rivière » se prononce en mandarin comme « harmoniser » , l'euphémisme par lequel on désigne la censure en Chine.

Mardi la petite équipe d'Ai Weiwei filmait le démantèlement du studio. Il ne restera bientôt rien d'autre du projet de Mulu. « Ce lieu a accompli sa mission artistique, en avance. Il reflète parfaitement la relation entre art et politique dans la société chinoise » , estime Ai Weiwei, philosophe.

© 2011 © Rossel & Cie S.A. - LE SOIR Bruxelles, 2011

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