dimanche 16 janvier 2011

LES FRANÇAIS - L'esprit français, un peuple de lecteurs - Dai Sijie

Le Point, no. 2000 - Culture, jeudi, 13 janvier 2011, p. 104

Regards. De Dai Sijie à Cabu, de Michel Tournier à Charles Dantzig, variations en lettres et en bulles.

Si, par hasard, à travers une petite tache, si ordinaire soit-elle, on peut imaginer l'aspect général d'une panthère, alors voici le détail à travers lequel j'ai commencé à connaître le peuple français.

Il y a vingt-sept ans, quand, pour la première fois de ma vie, j'ai pris le métro à Paris, je n'en ai presque pas cru mes yeux de voir un si grand nombre de gens qui lisaient. A l'époque, l'éclairage était moins cru, la lumière, plutôt jaune, évoquait une salle de lecture, sous la coupole de la Bibliothèque nationale. La rame vibrait fort, les feuilles des livres frémissaient entre les mains de ces lecteurs, plongés dans un autre monde, celui, silencieux, des mots. Rien ne les dérangeait, ni les secousses des wagons ni le mouvement des autres voyageurs à chaque nouvelle station.

C'est un spectacle qu'on ne voit nulle part ailleurs dans le monde, ni dans le métro de New York, où tout le monde redoute de se faire agresser, ni dans celui de Londres, où les gens sont tristes et renfrognés, ni dans celui de Tokyo, où les usagers dorment assis, encore moins dans celui de Pékin, où, même si on y trouve dix fois plus de binoclards que partout ailleurs, il est presque impossible de trouver un lecteur.

A Paris, une de mes activités favorites est de prendre le métro et d'y regarder les gens lire. De temps à autre me vient l'envie de me dresser au milieu d'une rame, la main posée sur la barre de fer centrale, et de me transformer en conteur pour distraire les voyageurs avec une histoire, une légende, un scénario de film. Mais mon rêve le plus fou, je l'avoue, serait d'apercevoir un jour quelqu'un - un homme, une femme, un adolescent, un vieillard, qu'importe - qui, dans le métro, serait en train de lire un de mes livres, le dernier en date, de préférence. C'est pour moi la plus grande consécration accordée à un écrivain, plus précieuse encore que tous les prix littéraires du monde, si prestigieux soient-ils.


Dai Sijie, repères

Écrivain et cinéaste chinois, est l'auteur du best-seller « Balzac et la petite tailleuse chinoise » (Gallimard). Son dernier livre, « Trois vies chinoises », vient de paraître chez Flammarion.


« La nation française serait plus sage si elle avait moins d'esprit. » Giacomo Casanova, dans « Histoire de ma vie ».
Dai Sijie, écrivain et cinéaste chinois, est l'auteur du best-seller « Balzac et la petite tailleuse chinoise » (Gallimard). Son dernier livre, « trois vies chinoises », vient de paraître chez Flammarion.

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