Sortir de la fâcherie, rien de plus nécessaire pour que l'Europe reparte d'un bon pied. Commençons par parler vrai. Ce n'est pas l'Europe qui a «fait la paix», mais les Etats-Unis, avec l'URSS. Des leaders européens ont ensuite tiré parti de cette situation pour créer entre les peuples d'Europe des solidarités, afin d'empêcher tout retour à la guerre. Mais il n'y avait plus de risque de conflit entre pays européens, ne serait-ce que parce qu'ils étaient tous engagés dans des alliances contrôlées de l'extérieur. La construction européenne ne s'est pas faite grâce à l'enthousiasme des peuples. Ils n'en ont même jamais fait la demande, ils avaient d'autres soucis. Ce sont les gouvernements démocratiques et des avant-gardes intellectuelles ou politiques qui ont pris les initiatives clefs : la création de la Ceca en 1950, le traité de Rome en 1957.
La première raison de la fâcherie est que les Européens ne se sentent pas entendus, voire se sentent dépossédés, même si les décisions européennes sont ratifiées par les Parlements nationaux, ou européen. Lorsqu'il a fallu interroger les peuples par voie de référendum, on n'a pas tenu compte de leur réponse quand elle était «mauvaise» ! On ne peut pas s'étonner du malaise démocratique. Rien ne prouve que «intégration», panacée pour les élites, soit un mot agréable aux citoyens. Accuser de «souverainistes», comme si c'était honteux, ceux qui restent attachés à l'espace national de la démocratie est politiquement maladroit. La conquête de la souveraineté n'a-t-elle pas été une victoire de la démocratie et des peuples européens ? Parlons plutôt d'un «exercice en commun de la souveraineté» pour ne pas renforcer chez les Européens le sentiment d'être encore plus dessaisis de leur pouvoir politique et démocratique.
L'autre grande raison de la fâcherie est l'orientation ultralibérale imposée par les élites européistes et la Commission à la construction européenne dont la relance dans les années 1980, a coïncidé avec le raz-de-marée mondial de l'ultralibéralisme. Si cette construction s'était faite sans la dérégulation de Thatcher et Reagan et le consensus de Washington, et les excès idéologiques de la Commission et de la Cour de justice, l'Europe aurait pu être dans le monde le vecteur d'une vision sociale démocrate au lieu de quoi on a eu la jungle et le casino financier ! Coïncidence tragique pour l'Europe. On avait vanté aux Européens une Europe capable de les protéger de la mondialisation, tout en tirant parti de ses aspects positifs, mais ils ont le sentiment que l'Europe ne s'est montrée forte que pour démonter les systèmes de protection sociale. Les classes moyennes, qui bénéficient d'une protection sociale élevée, ont beaucoup à perdre, contrairement à celle des pays émergents, pour qui l'avenir ne peut être que meilleur. D'où la méfiance.
Il est urgent de combler ce fossé mortifère entre les élites, intégrationnistes et européistes et la population. Il faut stopper toute fuite en avant fédéraliste, y compris dans les mots. Les demandes des peuples doivent être prises en compte, sans qu'on les disqualifie comme étant des souverainistes. Les «euro-hostiles» sont peu nombreux. Il y a beaucoup d'«eurosceptiques», qui aimeraient bien être à nouveau pour l'Europe, mais n'y croient plus vraiment. Ce n'est pas en parlant de nouveaux abandons de souveraineté que l'on résorbera ce fossé. Il faut une stabilisation institutionnelle et géographique, un compromis historique Europe-nations, développer des politiques nouvelles à géométrie variable. Si l'Europe donne le sentiment de comprendre les enjeux du monde nouveau, dans quelques années, les Européens auront changé d'avis.
Par Hubert Védrine Ancien ministre socialiste des Affaires étrangères
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1 commentaires:
Lorsqu'il a fallu interroger les peuples par voie de référendum, on n'a pas tenu compte de leur réponse quand elle était «mauvaise» ! On ne peut pas s'étonner du malaise démocratique. Rien ne prouve que «intégration», panacée pour les élites, soit un mot agréable aux citoyens. Accuser de «souverainistes», comme si c'était honteux, ceux qui restent attachés à l'espace national de la démocratie est politiquement maladroit.
Il conviendrait de demander à Monsieur Védrine qui est ce "on" dont il nous parle. Les Etats au Conseil détiennent l'essentiel du pouvoir législatif me semble t-il. En quoi les Etats membres sont ils plus démocratiques au plan national qu'au plan Européen? Ce sont les Etats-membres et non le Parlement Européen ni la Commission qui ont empeché dans les révisions des traités l'octroi de pouvoirs étendus au Parlement Européen. Qui internalise les succès de l'UE et externalise les échecs sinon nos Etats-membres ? De plus le débat sur l'Europe n'est pas un débat de classe il y a des souverainistes et des euroépens dans tous les milieux populaires ou élites. De plus Monsieur Védrine pourquoi n'avoir pas oeuvrer plus que vous ne l'avez fait lorsque vous étiez aux affaires pour démocratiser l'Europe mais peut être que ce "on" impersonnel et indéfini c'était déjà vous ?
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