mercredi 12 janvier 2011

Pékin et Riyad rouvrent la route de la soie - Alain Gresh


Le Monde diplomatique - Janvier 2011, p. 12 13

Dromadaires chinois et chameaux saoudiens

Riyad. Le long de l'autoroute, à côté de Carrefour, se déploie l'enseigne lumineuse de China Mart, un immense centre commercial qui vient d'être inauguré et dont les boutiques exposent les mille et un produits importés directement de l'empire du Milieu. Depuis Pékin, l'agence de presse chinoise Xinhua annonce l'arrivée de trois cent vingt-deux musulmans de la province de Gansu, avant-garde des milliers d'autres attendus pour le pèlerinage de La Mecque (lire Vols directs pour La Mecque). Des scientifiques des deux pays ont achevé en juin 2010 le décryptage de l'ADN du dromadaire (à une bosse) et Pékin a offert au royaume trente-sept chameaux (à deux bosses), une espèce inconnue ici. Symbole de cette exotique symbiose, le restaurant chinois Le Mirage propose un plat de viande de chameau accommodée à la mode pékinoise.

Ces quelques images reflètent un rapprochement spectaculaire, sensible notamment dans le domaine économique. En 2009, pour la première fois, la Chine est devenue, avant les Etats-Unis, le premier acheteur de pétrole d'Arabie saoudite ; et elle assure désormais 11,3 % de ses importations, contre à peine 4 % en 2000. La même année, elle a vendu plus de voitures dans ce royaume friand de 4x4 et de grosses cylindrées - l'essence y est bradée - que les Etats-Unis.

De là à imaginer un renversement d'alliances, une relation entre Pékin et Riyad qui contournerait Washington, il y a un pas que certains commentateurs franchissent allègrement, pour s'en réjouir ou pour s'en inquiéter (1). Un peu trop rapidement, selon M. Raed Krimli, conseiller du ministre des affaires étrangères Saoud Al-Fayçal : " Nos rapports avec la Chine n'ont rien à voir avec nos importantes relations stratégiques avec les Etats-Unis, même si nous savons qu'ils soulèvent certaines peurs à Washington. " Avant de remarquer, non sans perfidie, que c'est souvent à la demande de l'" ami américain " que Riyad intercède auprès de Pékin, comme sur le dossier du nucléaire iranien.

Cette prudence est partagée par M. John Sfakianakis, de la Saudi Fransi Bank, l'un des meilleurs connaisseurs du royaume, qui insiste sur le caractère purement économique des rapports entre Pékin et Riyad : " Il est vrai que la Chine exporte plus ici, mais elle le fait dans la plupart des pays. Les Saoudiens veulent aussi avoir un pied en Chine. Cette relation deviendra politique quand celle-ci décidera de faire entendre sa voix dans la région, ce qu'elle ne fait pas pour l'instant. "

En Chine, on craint la fermeture du détroit de Malacca

Personne ne le conteste, le pétrole constitue le liant de cette entente qui s'est scellée dans les années 2000, quand la consommation d'or noir stagnait aux Etats-Unis et en Europe tandis qu'elle s'envolait en Chine. Riyad souhaitait s'assurer un marché à long terme et Pékin garantir la pérennité de ses approvisionnements. Les officiels chinois savent ciseler la langue de bois diplomatique, évoquant le destin commun des peuples, la nécessité de la coexistence, le caractère mutuellement avantageux de la coopération. Loin des communiqués, pourtant, apparaissent les inquiétudes d'une puissance ascendante. En 2003, un roman à succès intitulé La Bataille pour protéger les routes du pétrole évoquait la manière dont " les puissances impériales qui craignent la Chine " mettaient en place un blocus qui allait déboucher sur la guerre (2). Dans la presse chinoise s'exprime ouvertement, sous la plume d'experts, la peur d'une fermeture du détroit de Malacca par où transite l'or noir. Et, quand les prix du baril frôlaient les 150 dollars, des publications chinoises y voyaient la main de Washington cherchant à nuire à leur pays.

Pour réduire sa dépendance, Pékin ne s'est pas contenté d'accords commerciaux avec l'Arabie saoudite, mais a développé des investissements croisés dans le domaine des hydrocarbures. La compagnie nationale saoudienne Aramco a ainsi installé avec ExxonMobil et la compagnie chinoise Sinopec, dans la province chinoise du Fujian, une raffinerie d'une capacité de deux cent quarante mille barils par jour. Une autre société saoudienne, la Saudi Basic Industries Corporation (Sabic), a construit avec Sinopec un vaste complexe pétrochimique qui vient d'entrer en service à Tianjin. D'autre part, des sociétés chinoises ont investi en Arabie dans la construction d'usines pétrochimiques et ont été autorisées pour la première fois à s'engager dans l'exploration gazière.

Le pétrole (et les produits pétrochimiques) représente l'essentiel des exportations saoudiennes vers la Chine, qui, elle, s'affirme sur des segments de plus en plus divers du marché saoudien, de la construction de lignes de train à grande vitesse (TGV) à celle d'usines de dessalement, d'aluminium ou de ciment. Ses produits à bas prix (textile, jouets) trouvent une clientèle parmi les travailleurs immigrés ou dans la partie la plus pauvre de la population saoudienne - sans susciter de réactions hostiles comme en Afrique, car ils ne concurrencent aucune production locale. La Chine s'installe aussi sur le marché de produits finis à valeur ajoutée plus importante, des ordinateurs aux téléphones portables, des automobiles aux excavatrices.

Ses entreprises déploient une extrême agressivité sur les marchés de travaux publics et de construction. Elles ont même failli évincer la France du marché du TGV La Mecque-Médine, ce qui témoigne non seulement de leur compétitivité, mais aussi de leur capacité à tisser des relations étroites avec les décideurs politiques et la famille royale. Elles disposent d'un avantage lié à une main-d'oeuvre peu payée importée directement - quarante mille personnes, selon l'ambassade chinoise - et sont toujours prêtes, suivant la formule d'un homme d'affaires saoudien, à promettre de " réaliser le chantier pour hier ".

Version arabe d'une chaîne d'information en mandarin

Cette médaille a son revers. En octobre 2010, pour la seconde fois en quelques mois, des ouvriers chinois employés sur le chantier du métro de La Mecque (inauguré en novembre dernier) ont manifesté, cassé quelques voitures et brisé des vitrines - un spectacle peu habituel dans la ville sainte. Ils protestaient contre les bas salaires et les conditions difficiles de travail (3). Il est peu probable que les autorités saoudiennes aient apprécié... Sur d'autres chantiers de construction, les délais n'ont pas été tenus, les bâtiments livrés n'étaient pas à la hauteur des attentes. Parfois, les maladresses prêtent à sourire : dans le hall flambant neuf de China Mart, une boutique propose des coffres-forts mais ne dispose de catalogues et de modes d'emploi qu'en... mandarin. D'autre part, casser les prix a un coût : les médias chinois ont révélé que le projet de métro de La Mecque était déficitaire de 4 milliards de yuans (plus de 600 millions de dollars) et qu'un contentieux opposait l'entreprise prestataire aux autorités saoudiennes (4).

Malgré tout, en un temps record, la Chine a réussi une percée qui s'élargit à tout le Proche-Orient : le commerce entre les deux entités a bondi, entre 2004 et 2009, de 37 à 110 milliards de dollars. Depuis 2004 se réunissent régulièrement des forums sino-arabes de responsables politiques, d'hommes d'affaires ou de représentants de la société civile. Les échanges culturels s'intensifient : Pékin a lancé une déclinaison arabe de sa chaîne d'information en continu CCTV (5), l'agence Xinhua est présente à Riyad et dans la plupart des capitales arabes, cependant que la chaîne Al-Jazirah dispose de bureaux à Pékin. Lyrique, la presse évoque la renaissance de la route de la soie qui, jusqu'au XVe siècle, constituait la première voie du commerce international, des confins de la Chine à la Méditerranée. Cet emballement doit être tempéré, et les analogies historiques ne valent pas preuves. L'apogée de la route de la soie a correspondu à celle des empires asiatiques qui garantissaient, y compris militairement, les voies de communication. On n'en est pas là.

Fausses délégations économiques, vraies missions militaires

Pour l'instant, ce profil bas représente un atout pour Pékin. Le prince Turki Al-Fayçal est le frère du ministre des affaires étrangères et l'ancien chef des services secrets, qu'il a dirigés notamment durant la lutte contre la présence soviétique en Afghanistan. Devenu, selon ses dires, un " simple citoyen ", il est l'un des rares membres de la famille royale à donner des conférences aux Etats-Unis et à recevoir des journalistes : " Nos relations avec la Chine sont moins compliquées qu'avec les Etats-Unis. Il n'existe pas là-bas de lobbies qui pèsent sur leur politique ; nous ne sommes pas les otages de leurs divergences internes. " Ancien ambassadeur à Washington, où il s'est mesuré aux campagnes antisaoudiennes qui ont suivi le 11-Septembre, il sait de quoi il parle. Sur nombre de dossiers internationaux, comme celui du Darfour, Riyad et Pékin partagent une approche similaire, un même respect de la souveraineté nationale et de la non-ingérence, le même mépris ironique pour la diplomatie occidentale des droits humains, perçue comme purement opportuniste et à géométrie variable.

La confiance ne se décrète pas et, entre Pékin et Riyad, elle fut forgée par un événement fondateur, un épisode improbable, relevant du roman d'espionnage. Février 1985 : la guerre entre l'Irak et l'Iran bat son plein. Bagdad frappe les villes et les installations pétrolières de son voisin à coups de missiles ; la " guerre des tankers " touche des pétroliers saoudiens. Riyad, qui ne ménage pas son concours au régime de Saddam Hussein, s'inquiète. Le roi Fahd approche le président Ronald Reagan pour acquérir des missiles et renforcer ainsi les capacités de dissuasion du royaume.

Le président américain craint les réactions d'Israël, qu'il vient déjà de circonvenir en faisant voter, non sans difficultés, la livraison au royaume d'avions-radars Awacs (6). Il refuse. Vers qui se tourner ? " Nous pouvions nous adresser soit à Moscou, soit à Pékin, explique M. Rihab Massoud, à l'époque en poste à l'ambassade saoudienne à Washington et aujourd'hui secrétaire général adjoint de l'influent Conseil national de sécurité, dirigé par le prince Bandar Ben Sultan. Mais le président Reagan avait qualifié l'Union soviétique d'"empire du Mal". Nous avons donc préféré nous tourner vers la Chine, avec qui nous n'avions même pas de relations diplomatiques. "

Cette mission sensible et confidentielle est confiée au prince Bandar, fils du ministre de la défense et... ambassadeur du royaume à Washing-ton, où il a pu approcher discrètement des diplomates chinois. Fausses délégations économiques, vraies missions militaires, rencontres secrètes dans des hôtels à Hongkong, longues tractations sur les termes du contrat aboutissent en décembre 1986 à l'achat d'une cinquantaine de missiles Dongfen-3, connus en Occident sous l'appellation CSS-2, d'une portée de plus de trois mille kilomètres et pouvant, théoriquement, transporter des têtes nucléaires. Des bateaux chinois débarquent le matériel (pour tromper les Etats-Unis, ces livraisons sont censées être destinées à Bagdad) ; du personnel saoudien s'initie aux nouvelles armes.

Début 1988, les satellites américains découvrent les missiles. Informée, la presse aux Etats-Unis agite l'idée que ces engins, " porteurs de têtes nucléaires ", peuvent frapper n'importe où au Proche-Orient. Le gouvernement israélien menace de bombarder les bases saoudiennes où sont assemblées les fusées (7). Furieux d'avoir été tenus à l'écart, les Etats-Unis offrent à l'Arabie saoudite trois options : le démantèlement des missiles ; leur renvoi en Chine ; leur inspection par des militaires américains. La crise atteint son apogée quand l'ambassadeur américain porte au roi la protestation officielle de son pays, provoquant l'ire du souverain et l'expulsion du diplomate, geste sans précédent dans les relations entre les deux pays.

La tempête finira par s'apaiser. En mars 1988, l'Arabie saoudite signe le traité de non-prolifération nucléaire (TNP) pour confirmer qu'elle n'a pas d'ambition dans ce domaine. Les Etats-Unis calment Israël. Mais les Saoudiens n'oublieront pas que, dans un moment crucial, la Chine s'est tenue à leurs côtés. Et Pékin sera reconnaissant à Riyad d'avoir refusé l'inspection par Washington de ses fusées, un matériel " sensible ".

Les relations militaires entre la Chine et l'Arabie saoudite seront maintenues, toujours dans la discrétion. Si le seul achat connu de matériel chinois, en 2008, est constitué de pièces d'artillerie, on évoque régulièrement l'acquisition de missiles CSS-5 et CSS-6 : de quoi alimenter les fantasmes des milieux néoconservateurs américains sur l'existence d'un programme nucléaire militaire saoudien (8), conçu avec la complicité de Pékin et d'un autre allié historique et stratégique du royaume, le Pakistan.

L'accord sur les missiles a pavé la voie à l'établissement en 1990 de relations diplomatiques formelles entre les deux pays et donc à la rupture avec Taïwan (9), Riyad se ralliant, bien tardivement, à la doctrine d'une seule Chine. M. Abdul Karim Yaquob, directeur exécutif des chambres de commerce et d'industrie, remarque que, à l'époque, " les Saoudiens étaient très conscients qu'il était de leur intérêt de ne pas être toujours considérés comme des alliés de l'Occident, qu'une approche plus équilibrée était nécessaire, et la Chine était, de ce point de vue, un bon choix ".

Quand le président Hu Jintao s'adresse au Majliss al-Choura

L'épisode de la guerre du Golfe (1990-1991), durant laquelle Pékin ne votera pas les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies ouvrant la voie à la guerre, provoquera un certain froid, l'Arabie saoudite étant, après l'invasion du Koweït, très en pointe dans le front anti-Saddam Hussein. Il faudra quelques années pour que les relations connaissent leur grand bond en avant. En 2006, alors qu'il vient d'accéder au trône, le souverain saoudien Abdallah part en Asie pour sa première tournée officielle à l'étranger. Il se rend successivement en Chine, en Inde, en Malaisie et au Pakistan. C'est la première fois qu'un chef d'Etat saoudien débarque à Pékin. La visite a été minutieusement préparée, y compris par l'envoi de délégations de la société civile - vingt-cinq personnes, dont cinq ont des ascendants... chinois. En avril, le président Hu Jintao se rend lui-même à Riyad pour une semaine, intervient, privilège rare, devant le Conseil consultatif (Majliss al-Choura) et signe de nombreux accords, dont l'un prévoit l'introduction de la médecine chinoise dans le royaume.

On professe à Riyad, comme le confie cet intellectuel, " une solide admiration pour la Chine, pour sa civilisation, pour sa Grande Muraille, pour son organisation des Jeux olympiques. Nombre de Saoudiens veulent apprendre le chinois. Alors que la plupart des gens haïssent les Etats-Unis, les succès chinois sont une sorte de réconfort ". Même s'il reconnaît que cela n'est pas réciproque : " Les Chinois n'admirent pas le monde arabe, parce que nous sommes faibles et que la perception qu'ils en ont vient essentiellement d'Occident. " Néanmoins, des centaines de jeunes Saoudiens étudient désormais dans l'empire du Milieu, suivant à la lettre les prescriptions du prophète Mohammed : " Va chercher le savoir jusqu'en Chine. "

Oasis et palmiers à l'Exposition universelle de Shanghaï

Riyad ne ménage pas ses efforts pour changer son image. Après le tremblement de terre du Sichuan, à l'été 2006, le royaume a fourni l'aide la plus importante, avec plus de 40 millions d'euros, un geste très médiatisé en Chine. Et l'Arabie a édifié à l'Exposition universelle de Shanghaï un prestigieux pavillon, qui fut l'un des plus visités : un bateau géant, en forme de lune, avec des palmiers plantés sur le pont, une sorte de jardin suspendu symbolisant les oasis du désert - encore une référence à la route de la soie.

Sur cette route se dressent pourtant mille et une embûches, que les deux parties tentent de contourner. Le nucléaire iranien n'est pas la moins redoutable. Depuis des années, la Chine a consolidé ses relations avec l'Iran (son troisième fournisseur de pétrole, loin derrière l'Arabie saoudite et l'Angola) ; elle lui vend des armes et son commerce y est dynamique dans tous les domaines - il s'élevait à 30 milliards de dollars en 2009 et devrait atteindre 50 milliards à l'horizon 2015. Pékin se montre donc réticent à l'égard de toute extension des sanctions contre Téhéran. Des mois de négociation, une visite publique du ministre saoudien des affaires étrangères en mai 2010 et plusieurs rencontres secrètes de délégations ont contribué, avec l'effort majeur effectué par Washington, à arracher un vote positif chinois sur la résolution du Conseil de sécurité du 9 juin 2010. Des sources diplomatiques saoudiennes le confirment : leur pays a garanti à la Chine qu'il prendrait le relais en cas de suspension des livraisons iraniennes. Malgré tout, celle-ci reste circonspecte et s'en tient à la lettre du dernier texte onusien, refusant l'extension des sanctions voulues par les Etats-Unis et l'Union européenne, et se substituant même aux compagnies occidentales qui se désengagent d'Iran.

La crainte saoudienne de l'accession de l'Iran au nucléaire militaire - et ici, on est convaincu que Téhéran cherche à se doter de la bombe - tient, pour l'essentiel, à une raison rarement évoquée : les conséquences d'un tel changement sur... les relations saoudo-américaines. Washington ne sera-t-il pas alors tenté d'arriver à une entente avec un Téhéran nucléaire, au détriment des Arabes ? " L'idée que nos intérêts puissent être oubliés et par l'Iran et par les Etats-Unis nous préoccupe, confie le prince Turki Al-Fayçal. Nous serions alors coincés entre un Iran nucléaire et un Israël nucléaire. " Et d'ajouter en souriant : " Remercions Dieu pour Ahmadinejad " - qui rend plus difficile un tel retournement.

Ces péripéties n'ont pas affecté outre mesure les relations entre Pékin et Riyad, mais elles soulignent la prudence de la Chine à s'impliquer dans la région. Le temps est loin où elle soutenait les mouvements révolutionnaires dans tout le tiers-monde, et notamment au Proche-Orient. Qui se souvient qu'elle fut le premier pays, avec l'Algérie, à aider le Fatah de Yasser Arafat dans les années 1960 ? Désormais, elle s'en tient à des déclarations lénifiantes et s'abstient de tout engagement fort sur le conflit israélo-arabe. D'autant qu'elle a développé, au cours des années 1990, une coopération militaire étroite avec Israël - jusqu'au veto américain opposé à la vente par Israël d'un radar Phalcon à la Chine, en juillet 2000 (10). " Notre couverture de l'actualité de la région est divisée, explique un journaliste chinois. Deux visions coexistent, l'une assez pro-israélienne, l'autre proarabe. "

N'ayant pas été invitée en 2002 à rejoindre le Quartet (Union européenne, Nations unies, Etats-Unis et Russie) sur les négociations de paix israélo-arabe, la Chine a nommé un envoyé spécial pour le Proche-Orient, mais son rôle reste encore modeste. Pour la première fois, ses soldats participent à la mission internationale au Darfour et surtout à la Force intérimaire des Nations unies pour le Liban (Finul), avec trois cent cinquante hommes environ - Pékin avait proposé en 2006 d'en envoyer un millier, ce qui l'aurait beaucoup plus impliqué dans le conflit libanais, une perspective qui avait inquiété Paris et Washington (11).

Le retour des flottes de l'empire du Milieu dans l'océan Indien

Les dirigeants saoudiens le savent : la Chine ne peut leur promettre les mêmes " garanties de sécurité " que celles qu'offrent les Etats-Unis, mises en oeuvre lors de l'invasion irakienne du Koweït en 1990. Et demain ? En décembre 2008, la Chine annonçait l'envoi de ses premiers vaisseaux de guerre au large de la Somalie pour protéger ses navires, son approvisionnement en pétrole, ses exportations vers la Méditerranée par le canal de Suez. En mars 2010, deux de ses bâtiments étaient à quai dans le port Zayed à Abou Dhabi. En novembre, trois autres mouillaient à Djedda.

La presse de la région souligna que c'était la première fois depuis le début du XVe siècle que des navires chinois se déployaient dans l'océan Indien. Entre 1405 et 1433, l'amiral Zheng He, un Chinois musulman, avait conduit les flottes de l'empereur et sillonné les mers, atteignant Ormuz, la mer Rouge et la côte est de l'Afrique. Selon certaines conjectures, il aurait même effectué la circumnavigation de l'Afrique et se serait aventuré jusqu'aux Antilles (12). En rappelant ces hypothèses, un intellectuel saoudien ne cachait pas son désir de voir revenir cet âge d'or chinois qui permettrait à son pays d'échapper au face-à-face obligé avec Washington.

Note(s) :

(1) D'autant que l'Arabie saoudite a demandé son adhésion au BRIC, le regroupement du Brésil, de la Russie, de l'Inde et de la Chine.
(2) Cité dans Ben Simpfendorfer, The New Silk Road, Palgrave Macmillan, New York, 2009. Cf. aussi John Garver, Flynt Leverett et Hillary Mann Leverett, Moving (Slightly) Closer to Iran. China's Shifting Calculus for Managing its " Persian Gulf Dilemma ", The Edwin O. Reischauer Center for East Asian Studies, Washington, 2009.
(3) Arab News, Djedda, 13 octobre 2010.
(4) Times Weekly, Pékin, 4 novembre 2010.
(5) http://arabic.cntv.cn
(6) Lire Olivier Da Lage, " Un vade-mecum pour responsables de la coopération militaire ", Le Monde diplomatique, janvier 1985.
(7) Sur la dimension israélienne de la crise, cf. David B. Ottaway, The King's Messenger. Prince Bandar Bin Sultan and America's Tangled Relationships with Saudi Arabia, Walker & Company, New York, 2008.
(8) Sur ces théories du complot, cf., sur le site du Washington Post, " Former CIA analyst alleges China-Saudi nuclear deal ", blog de Jeff Stein, 7 juin 2010.
(9) Comme pour d'autres pays, il reste une représentation commerciale de Taïwan très active à Riyad.
(10) Lire Isabelle Saint-Mézard, " Inde et Israël, des partenaires très discrets ", Le Monde diplomatique, novembre 2010.
(11) " China's growing role in UN peacekeeping ", International Crisis Group, Bruxelles, 17 avril 2009.
(12) Gavin Menzies, 1421, l'année où la Chine a découvert l'Amérique, Intervalles, Paris, 2007.

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