Le Monde - Economie, mardi, 25 janvier 2011, p. MDE2
La taille d'un pays est un facteur important de l'analyse économique. Si nous ne considérons que le niveau moyen de développement de la Chine, nous voyons un pays d'un niveau de vie équivalent à celui de la Thaïlande. Si nous ne prenons en compte que sa taille, nous voyons la deuxième économie du monde, le plus gros exportateur - si nous considérons les différents pays de l'Union européenne (UE) comme des économies séparées -, le deuxième importateur et le détenteur des plus grosses réserves de devises.
Les dirigeants chinois sont, naturellement et légitimement, attentifs à maintenir la stabilité et à atteindre la prospérité. Le reste du monde, de façon non moins naturelle et légitime, se demande comment Pékin va exercer sa puissance et sa responsabilité croissantes.
Jusqu'à présent, l'ajustement à l'émergence de la Chine a été très efficace, notamment si l'on réfléchit au fossé existant entre ce pays et les puissances actuelles dans les domaines de la culture, de l'histoire et des systèmes politiques. L'économie chinoise s'est montrée dynamique et de plus en plus guidée par le marché. L'Occident, en retour, s'en est accommodé. C'était la meilleure chose à faire.
Il suffit de comparer les coûts dévastateurs du protectionnisme américain et de la Grande Dépression dans l'entre-deux-guerres, à l'ouverture de plus en plus grande de l'économie chinoise et à la réussite de sa réponse keynésienne aux défis de la récente " grande récession ". Pensez aussi à l'entrée de la Chine dans l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et à la capacité impressionnante du monde à s'ajuster à la croissance rapide du commerce chinois, qui est passé de 4 % des échanges mondiaux, il y a une dizaine d'années, à 10 % aujourd'hui.
Chine et Occident ont de quoi être fiers. Mais cela ne signifie pas que tout s'est passé sans difficulté. Les deux parties ont commis des erreurs dans la gestion de leur interaction économique.
Ainsi, Pékin a laissé exploser ses exportations et son excédent des comptes courants afin de masquer le développement d'une économie intérieure de plus en plus déséquilibrée. La consommation des ménages chinois s'est effondrée, passant de 46 % du produit intérieur brut (PIB) en 2000, ce qui était déjà un niveau faible, à tout juste 35 % en 2008.
En partie en raison de sa décision de maintenir son taux de change à un faible niveau, la Chine est devenue la principale économie excédentaire du monde, avec un surplus des comptes courants atteignant aujourd'hui 11 % du PIB, et des réserves de devises équivalant à environ 50 % du PIB. C'étaient là des investissements stupides résultant de politiques stupides. Il est absurde que Pékin se plaigne aujourd'hui de la vulnérabilité chinoise par rapport aux politiques budgétaires et monétaires américaines qui en a résulté (de façon en outre inutile).
Pendant ce temps, les Etats-Unis et d'autres pays occidentaux ont laissé l'afflux d'épargne à bas prix, provenant en partie de Chine, susciter une flambée de l'endettement du secteur financier, de celui des ménages, de la consommation privée et de la construction résidentielle. Si les excédents d'épargne des pays émergents ne furent pas la cause principale de la crise financière, ils y contribuèrent.
Heureusement, l'essentiel de ce qui doit être fait pour parvenir à une économie mondiale mieux équilibrée et moins instable est dans l'intérêt économique des deux parties. Et cela devient de plus en plus évident au fur et à mesure que la Chine se trouve confrontée à des pressions inflationnistes et aux effets décalés de la flambée du crédit qui fut utilisée pour compenser la baisse des exportations pendant la crise.
De toute évidence, une forte appréciation réelle du taux de change chinois est inévitable. Ce serait également le moyen de faciliter une réorientation de l'économie vers un meilleur ancrage dans la consommation intérieure. Toutefois, une hausse du taux de change nominal serait un bien meilleur moyen de réaliser la nécessaire appréciation réelle qu'une hausse de l'inflation.
Un tel rééquilibrage économique n'est cependant qu'un élément de l'agenda. La Chine est aux prises avec les défis que pose l'accession à une croissance rapide, largement partagée et écologiquement durable.
En face, le reste du monde doit apprendre à s'ajuster à l'impact croissant de l'empire du Milieu. En s'attaquant à ces défis, Pékin et ses partenaires doivent avoir à l'esprit deux considérations.
La première, c'est que les conséquences politiques et économiques d'une rupture des relations entre la Chine et l'Occident seraient catastrophiques. Au mieux, il serait impossible de maintenir la prospérité et d'affronter les défis communs qu'entraîne la pression de l'humanité sur les ressources mondiales. Au pire, cela pourrait signifier la guerre.
La seconde, c'est qu'il est crucial de renforcer la légitimité et l'efficacité de la gouvernance mondiale. Pékin voit peut-être ces structures internationales comme des inventions occidentales, sinon comme des contraintes imposées par l'étranger. Elles restent pourtant le meilleur moyen de gérer un monde dans lequel aucun pays - même aussi puissant que les Etats-Unis ou que pourrait l'être la Chine - ne peut obtenir seul ce qu'il veut procurer à sa population.
Quel est dans ces conditions l'agenda économique sur lequel les deux parties doivent s'accorder ? On le connaît bien : maintenir un commerce ouvert; assurer l'ajustement extérieur; réformer le système monétaire international; gérer les ressources mondiales communes; maîtriser les conflits potentiels liés à l'accès aux ressources naturelles.
La toute récente visite du président Hu Jintao à Barack Obama a été l'occasion pour les deux hommes de peser les responsabilités qui leur incombent. Chine et Etats-Unis entretiennent une grande méfiance l'un envers l'autre. Tous deux détestent se voir imposer des limites à leur liberté. Chacun juge inacceptables certains des comportements de l'autre.
Les deux pays, pourtant, doivent aussi être conscients que ce qui les attend, c'est une relation durable et intense. La technologie et les réalités économiques ont en effet rendu le monde plus petit que jamais. Et le développement de la Chine est en train de mettre un terme à la suprématie occidentale incontestée sur le monde. Orient et Occident doivent donc coopérer... ou périr.
Par Martin Wolf
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