Pékin peine à contrôler les dérives des tontines, un système de prêts ancestral et parallèle aux banques
Dans la province du Jiangsu, les taux d'intérêt atteignaient 50 %. Mais la pyramide s'est effondrée.
Tout le monde à Huangqiao (est de la Chine) connaît les deux histoires de la rue des Dix-Ponts, mais personne ne veut s'aventurer à les raconter. A un angle de cette artère, le siège de la société d'investissements Mingfeng a fermé. Sur la porte, une note explique que le patron, Lu Wenming, purge sa peine de prison à perpétuité. A la tête d'un réseau de crédit traditionnel, cet homme d'affaires a cessé de payer ses mensualités et s'est enrichi sur l'usure de certains de ses concitoyens, devenus à leur tour insolvables.
Plus loin, une autre maison bien plus modeste est cadenassée elle aussi, celle de He Jianjun, une jeune femme dont la famille a depuis fait ses valises. Chaque jour, des dizaines de créanciers venaient lui réclamer le paiement de ses 200 000 yuans de dettes (23 393 euros). Jusqu'à ce qu'elle en finisse, le 23 juillet 2010, en avalant une bouteille de détergent. « Moi je dois encore les mêmes sommes, lâche une habitante. Ici, neuf personnes sur dix étaient dans un «dahui», tout le monde sauf les très jeunes et les très vieux. »
Dans cette bourgade de 196 500 âmes de la province du Jiangsu, l'effondrement l'été dernier d'un système ancestral de tontines a ébranlé les finances locales et est devenu emblématique de cette économie parallèle au système bancaire formel que le gouvernement peine à contrôler. Les dahui - littéralement « un accord lors d'une rencontre » - permettent depuis des générations de lever des fonds. Celui qui souhaite emprunter organise un banquet au cours duquel une dizaine de proches mettent une somme équivalente en commun.
Il devient alors « tête de hui », profitant de ce pécule pendant autant de mois que le groupe compte de membres, et s'engage sur l'honneur et sans collatéral à rembourser l'échéance venue. En contrepartie, il participe, dès le deuxième mois, à un nouveau tour bénéficiant à un autre membre du cercle, et à toutes les boucles jusqu'à ce que chacun ait bénéficié d'un prêt.
A la suite des réformes économiques de Deng Xiaoping, ce système a permis le développement de l'économie locale, en pleine expansion, tout en évitant la rigueur des banques. Dans les années 1980, explique Lu Jilin, vice-secrétaire du Parti communiste de Huangqiao, les taux d'intérêt étaient déjà du double de ceux du système formel.
« En 2007, si vous prêtiez 3 000 yuans, vous pouviez en obtenir 10 000 en retour grâce aux intérêts. C'est à ce moment que nous avons commencé à alerter la population », se rappelle M. Lu. Mais début 2010, les prêts étaient attribués aux enchères au plus offrant pour des intérêts grimpant jusqu'à 50 %.
BMW, Mercedes, Audi et même Bentley... Un chauffeur de taxi énumère les marques apparues dans les rues de la commune avant les liquidations : « La rumeur dit que les dahui ont permis de lever 3,5 milliards de yuans. Si l'on additionne tout cela, ce doit être encore plus. »
Certains se sont enfuis
Ce système a permis à Hong Qingming de développer ses affaires. Les habitants racontent que ce patron d'une petite chaîne de magasins de viande séchée roulait aussi en berline noire à l'époque. Il était à la fois à la tête de trois petits hui, au sein desquels des gens modestes lui prêtaient sans s'interroger puisqu'il était un notable, et membre d'un grand cercle rassemblant les plus riches. Lorsque les gros poissons de Huangqiao ont fait défaut, en juillet 2010, la pyramide s'est effondrée. Certains se sont enfuis à Shanghaï ou ailleurs.
M. Hong s'est à son tour retrouvé incapable d'honorer une dette de 1 million de yuans envers des créanciers plus pauvres : « Je payerai, je suis un homme d'honneur, mais laissez-moi deux ans. »
« C'est le petit train du capitalisme, lorsqu'un wagon décroche l'ensemble s'arrête », conclut, pédagogue, le numéro deux du Parti communiste de Huangqiao, devant une affiche ornée de la faucille et du marteau. Vingt-six personnes ont été condamnées.
Face au chaos, les dirigeants politiques locaux ont publié une lettre ouverte demandant à chacun d'accepter le rééchelonnement des paiements sans violences. A l'automne encore, des dizaines de créanciers réclamaient chaque soir leur dû devant les maisons des plus endettés et tout le monde est encore terrifié. « Revenez fin janvier, conseille un habitant. Le Nouvel An chinois approchant, les gens vont de nouveau réclamer leur argent. »
Harold Thibault
© 2011 SA Le Monde. Tous droits réservés.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire