Moins de personnel, tarifs en hausse, trafic en augmentation continue, les bénéfices des sociétés d'autoroutes explosent. Et elles ne manquent pas d'idées pour en rajouter...
"C'est une bonne question !" Tellement bonne que Jean Mesqui, le délégué général de l'Association des sociétés françaises d'autoroutes (Asfa), hilare, n'y a pas répondu. Et n'y répondra pas. Interrogé récemment par TF1 sur les bénéfices réalisés par les autoroutes désormais privatisées, il ne souhaitait visiblement rien dire. Quelques jours plus tard, un porte-parole de l'Asfa opposera le même refus à Marianne.
Qu'importe ! Selon nos informations et nos calculs, nous pouvons révéler ce que l'Asfa cherche tant à cacher : sur 10 € payés par un automobiliste lors de son passage au péage, 1,4 € va dans les poches des actionnaires. Quatorze pour cent ! Un taux de profit en hausse d'un point par rapport à 2005, lorsque l'Asfa communiquait encore sur la rentabilité. Avant la privatisation...
Pourquoi cette soudaine pudeur des émirs du bitume ? La réponse tient dans ce chiffre que Marianne a calculé à partir, notamment, des documents officiels des sociétés, comme Vinci, Eiffage ou l'espagnole Albertis : 1,3 milliard d'euros de profits en 2009. Difficile d'assumer, sans rougir, ce gros milliard, quand la récession rogne le pouvoir d'achat des Français. Délicat également de justifier la politique qui a permis un tel résultat : le prix moyen du kilomètre facturé à l'automobiliste est passé de 10,13 c en 2005 à 11,30 c en 2009 (derniers chiffres disponibles). Résultat : le ticket de péage affiche une progression de 11,5 % en quatre ans, presque deux fois plus rapide que celle de l'inflation, légèrement supérieure à 6 % sur la même période.
Le ticket n'est pas le seul levier sur lequel les sociétés ont joué pour faire carburer leur rentabilité. Dans le même temps, elles ont massivement dégraissé leur personnel. Depuis la privatisation, l'effectif total du secteur a fondu de 10 %, pour se situer légèrement au-dessus des 16 000 salariés. Moins de personnel, donc moins de coûts, conjugués à des tarifs en hausse : sans surprise, le bénéfice réalisé sur chaque kilomètre facturé s'est amélioré de 20 %, entre 2005 et 2009, pour atteindre 1,58 c. Et, comme le trafic a continué d'augmenter durant cette période, le bénéfice total des sociétés d'autoroutes a fait un bond en avant de 30 % ! De quoi expliquer le mutisme embarrassé de l'Asfa, quelques jours avant la nouvelle hausse des tarifs des péages, effective depuis le 1er février : + 2,24 % en moyenne. Déroutante litanie de chiffres, dont on comprend que leur révélation risque de faire crisser les dents des automobilistes...
Comme celles de tous les Français, d'ailleurs, car, depuis 2005, la privatisation des autoroutes va de scandale en scandale. A commencer par le prix de leur cession - 14,8 milliards d'euros - alors dénoncé par Marianne. "Mon client était alors prêt à payer 40 % de plus pour s'offrir APRR [les Autoroutes Paris-Rhin-Rhône]", nous confiait le banquier Bernard Migus. Le client de cet influent banquier, patron de la banque d'affaires Ixis ? Eiffage, le groupe de BTP qui, avec son partenaire australien Macquarie, s'est offert les 2 240 km de la société APRR. Voilà de quoi corroborer l'évaluation de la Cour des comptes (ce fut une des dernières grandes colères de son président, Philippe Séguin) du véritable prix des ces "bijoux de famille" : 22 milliards d'euros. Loin des 14,8 milliards d'euros demandés par le gouvernement Villepin... Merci, Dominique !
Mais merci aussi à Jean-Louis... Car, fin 2009, le ministre de l'Ecologie et des Transports, Jean-Louis Borloo, a fait, discrètement, un joli cadeau aux sociétés d'autoroutes en prolongeant d'un an la durée de leur concession, qui court, selon les cas, jusqu'aux alentours de 2030. Un an de plus, c'est autant de profits garantis, de l'ordre de 2 milliards. Il y a bien sûr une contrepartie : les sociétés se sont engagées à investir 1 milliard d'euros en faveur de l'environnement au cours des trois prochaines années.
Mais l'examen attentif des dépenses de ce "paquet vert" éclaire la véritable nature de l'accord. Seuls 3 % des sommes prévues sont destinés à la sauvegarde de la biodiversité, le reste relevant d'un contrat léonin, qui chouchoute les intérêts des autoroutes. "On n'a rien vu de ce tour de passe-passe", se désole un député socialiste, membre de la commission des Finances de l'Assemblée.
Gagnants sur tous les plans
Ainsi, sous couvert de réduire les bouchons aux péages, responsables d'émission de gaz à effet de serre, les autoroutiers ont prévu d'investir 800 millions dans des portiques automatiques. Vinci Autoroutes va, ainsi, créer 172 voies sans arrêt. Cette automatisation, rendue possible grâce au télépéage, permet surtout de réduire les emplois et d'augmenter le rendement des autoroutes. "On a demandé à l'Etat de subventionner des pertes d'emplois. Pis, le personnel remplacé par les portiques est parti en préretraite, à moitié pris en charge par l'Etat !" s'emporte Bernard Jean, coordinateur CGT de la branche. Le reste de l'enveloppe du "paquet vert" est à l'avenant. Sanef (filiale d'Albertis) s'engage ainsi à la création d'un "écopôle" : un nouveau bâtiment regroupant ses services techniques, mais qui sera, c'est bien le moins, labellisé haute qualité environnementale.
Il y a mieux : 200 millions d'euros ne sont pas détaillés dans l'accord. Et pour cause, "écologiquement, ça n'est pas très parlant", finit par lâcher un responsable de l'Asfa. De quoi s'agit-il ? De programmes visant à fluidifier la circulation. Autrement dit, des systèmes d'information qui, sur la base du calcul de la vitesse optimale du trafic, informent les automobilistes. Une circulation plus fluide, c'est certes du CO2 en moins, mais, là aussi, du trafic en plus !
Bref, autant d'investissements qui, sous couvert d'écologie, vont booster les comptes d'exploitation des sociétés d'autoroutes. Et améliorer leur capacité de remboursement d'emprunt. Ce qui va rapprocher d'autant la date - jalousement tenue secrète par les intéressés - à partir de laquelle, leurs emprunts remboursés, l'essentiel du péage ira dans la poche des actionnaires.
Les voilà gagnants sur tous les plans : ils ont acheté les autoroutes à un prix sous-évalué et ont obtenu une prolongation de leur concession, dont ils tireront des bénéfices leur permettant de réduire leurs dépenses de personnel... Pas belle, la vie ?
© 2011 Marianne. Tous droits réservés.
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