Le Figaro, no. 20696 - Le Figaro Économie, mercredi, 16 février 2011, p. 18
Les ateliers de microélectronique ont déménagé en Chine ou au Vietnam. Le pays multiplie les laboratoires et veut désormais être à la pointe de la recherche et du développement dans la région.
C'est probablement le bar le plus déjanté du monde. Au Clinic Restaurant, dans le quartier branché de Clarke Quay, on dîne sur des fauteuils roulants et l'on boit dans des seringues ou par perfusion. Singapour aime surprendre, voire choquer. Son port où les lourds porte-conteneurs attendent leurs chargements n'est plus le premier du monde, supplanté par Shanghaï l'an dernier. La finance qui, avec les services, assure 65 % de son PIB (produit intérieur brut) ne suffit plus à son bonheur.
Si, dans le quartier en pleine rénovation de Fullerton, les immenses restaurants chinois et leurs tables rondes tournantes font toujours salle comble le soir, Singapour tourne la page. Les ateliers de microélectronique qui ont fait, il y a une dizaine d'années, la fortune de la ville-État ont déménagé en Chine ou au Vietnam. Singapour se rêve désormais en capitale du savoir en Asie.
Rien n'est trop beau pour attirer les étrangers. Universités flambant neuves, laboratoires ultramodernes, espaces verts nombreux tant au milieu de la ville qu'autour. Et maintenant des activités de tourisme qui commencent à se développer.
Lim Chuan Poh n'a pas la tête de l'emploi. Il ressemble beaucoup plus au fonctionnaire qu'il est qu'au Professeur Nimbus. Mais le patron de la Singapore Agency for Science, Technology and Research, installée au coeur du nouveau complexe révolutionnaire de Fusionopolis, et familièrement appelée ici « A*Star », ne mâche pas ses mots. «Nous devons faire mieux que tout le monde parce que nous sommes plus petits que tout le monde », affirme-t-il, fort d'une équipe de 3 000 personnes et d'un budget de 5,4 milliards de dollars de Singapour (3 milliards d'euros) garantis par le gouvernement pour les cinq prochaines années.
Multinationalité
Il reconnaît bien sûr qu'en matière de recherche et de développement Singapour n'est pas encore en mesure d'égaler le Japon qui reste, selon lui, «le meilleur dans la région », tandis que «Taïwan et la Corée du Sud sont très bons sur l'électronique ». Avant d'ajouter : « Ce que nous voulons, nous, c'est faire quelque chose de totalement différent en attirant les spécialistes du monde entier. La multinationalité à Singapour, c'est une question de survie. » Il en sait quelque chose. Les chercheurs de son agence viennent pour plus de la moitié d'entre eux d'une soixantaine de pays étrangers.
Une étude de Gallup, publiée en novembre dernier, donne d'ailleurs raison à la ville-État. Singapour et le Japon figurent en tête des pays où les jeunes rêvent de s'installer. Elle précise même que Singapour «verrait sa population tripler si tous ceux qui voulaient y venir le pouvaient ». Et le ministre du Travail, Gan Kim Yong, insiste à chaque fois qu'il en a l'occasion sur « l'environnement et le capital humain qui permet mieux qu'ailleurs de développer une carrière ici ».
Le pays, champion de la croissance en Asie l'an dernier, avec un PIB en hausse de 14,7 %, ne veut plus se contenter de sa situation stratégique à l'embouchure du détroit de Malacca. Il souhaite diversifier au maximum ses capacités dans les technologies de pointe, les biotechnologies et les technologies liées à l'environnement. «Nos universités sont mobilisées pour préparer les meilleurs cerveaux à relever les défis qui vont se présenter en Asie et à trouver les solutions qui conviennent », rappelait fin septembre 2010 le vice-premier ministre Teo Chee Hean à l'occasion d'un sommet sur le management du futur à Singapour.
Le Clinic Restaurant de Clarke Quay n'est, tout compte fait, qu'une facette de cette ville-État qui n'en finit pas d'étonner. Ainsi, cette bouteille d'eau posée sur la table du président de l'Agence de la science, des technologies et de la recherche, sur laquelle on peut lire « oxygenerated drinking water », fabriquée à Singapour sous la licence du Docteur Who.
Angelina a trente ans et un très beau poste dans une agence de communication réputée. Elle n'est pas mariée et ne compte pas le faire dans un avenir proche. Elle ne souhaite pas d'enfant non plus. Sa vie, c'est son travail, les sorties le soir dans les endroits à la mode, le shopping et le casino de temps en temps. Un shopping de luxe, car à Singapour il n'y a plus que cela. Sur Orchard Road, les galeries en contrebas du trottoir qui abritaient jadis les boutiques de bric et de broc, majoritairement tenues par des Chinois, où tout se marchandait à bas prix, ont disparu. Elles ont cédé la place à des magasins chics aux vitrines flamboyantes et à des centres commerciaux illuminés, tous plus grands les uns que les autres. Il faut remonter très au nord pour retrouver des galeries populaires, des minuscules salons de massage et des vendeurs de petit matériel électronique. Aujourd'hui, Singapour respire l'argent. Les deux casinos géants du Marina Bay Sands et du Resort World Santosa font un tabac et ont rapporté 2,8 milliards de dollars de Singapour (1,6 milliard d'euros). Cette année, ils vont permettre de dégager 5,5 milliards de dollars de revenus, pour atteindre 8,3 milliards d'ici à 2014, prédit la société de consultants Pricewaterhouse Coopers. Ils attirent non seulement les riches Chinois du continent, mais encore des familles entières de Malaisiens qui n'ont qu'à franchir la frontière pour venir jouer. Immigration Sur ses hauts talons, Angelina symbolise parfaitement cette nouvelle génération de Singapouriennes qui n'hésiteront pas à payer les 100 dollars demandés aux résidents à chaque entrée au Marina Bay. Elles veulent toutes rester célibataires le plus longtemps possible et s'amuser. Si elles vivent en couple, elles n'ont qu'un enfant. Un casse-tête pour les autorités, qui viennent de conduire le premier ministre, Lee Hsien Loong, à l'occasion des voeux du Nouvel An, à exhorter ses concitoyens à « profiter de l'année du Lapin pour fonder une famille ou agrandir la leur ». Le taux de natalité dans la ville-État est en effet tombé l'an dernier à 1,16 enfant par femme, un chiffre très inférieur aux 2,1 nécessaires pour maintenir la population à son niveau. Résultat, Singapour, qui a franchi fin 2010 le seuil des 5 millions d'habitants, compense la baisse par l'immigration. Environ un tiers de sa population est désormais composé d'étrangers. Ils sont régulièrement l'objet de protestations en raison des coûts sociaux qu'ils représentent. Le gouvernement, qui maintient d'une main un certain nombre d'avantages spécifiques pour les Singapouriens de souche, appelle, de l'autre, ses compatriotes à conserver l'attitude la plus ouverte qui soit vis-à-vis des étrangers. Il promet simplement qu'à l'avenir ils devront « être plus qualifiés et porteurs de talents ». © 2011 Le Figaro. Tous droits réservés.
L'année du Lapin pour avoir des enfants
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire