lundi 7 février 2011

FINANCE - Quand le nord de la Chine rêve de concurrencer Shanghai


Les Echos, no. 20864 - Marchés, lundi, 7 février 2011, p. 30

Les autorités de Tianjin veulent faire sortir de terre le plus grand centre financier mondial. Elles ont déjà mobilisé 200 milliards de yuans pour les seules infrastructures. Reste à convaincre les grandes institutions financières de la pertinence du projet. Reportage.

Shanghai n'a qu'à bien se tenir. Depuis que Wen Jiabao est devenu Premier ministre chinois, la ville dont il est issu, Tianjin, a connu un développement accéléré. A deux heures de route de Pékin, sa zone de développement économique est parvenue à attirer des entreprises prestigieuses, à l'image d'Airbus avec son usine d'assemblage de l'A320. A tel point que, pour la première fois, au premier semestre 2010, le PIB de cette zone dite « de Binhai » a dépassé celui de celle de Pudong, à Shanghai.

La comparaison avec la capitale financière de la Chine, dans les journaux chinois, n'est pas anodine : forte de son activité industrielle, la zone de Binhai a l'intention de devenir, aux dépens de Shanghai, le pôle financier qu'il manquait à la Chine du Nord. Et même, d'après ses promoteurs enthousiastes, « le plus grand centre financier du monde ». En termes géographiques, bien sûr.

Du projet... à la réalité

Pour l'heure, on en est loin. La maquette que vous présente le comité organisateur du futur centre financier de Yujiapu est certes d'une remarquable précision, avec sa tour de 600 mètres de haut, ses réseaux routiers souterrains, ses centres commerciaux également situés sous le sol pour minimiser l'exposition aux températures polaires de l'hiver, son golf à proximité, ses cinq lignes de métro et sa gare TGV qui promet de mettre Pékin à quarante-cinq minutes de trajet. Sim City est en plastique et carton. Mais, lorsqu'on ressort de ce « showroom » pour observer le terrain extérieur, il faut un effort certain d'imagination pour faire le parallèle avec ce qu'on vient de voir. Sur un vaste terrain de 3,86 kilomètres carrés, des grues s'affairent sans que ne sorte de terre le moindre bâtiment. De fait, à 4 kilomètres de la mer, il importe, d'abord, de sécuriser les fondations du futur site. Le seul bâtiment visible dans la zone est celui destiné au pilotage du projet.

Peut-on créer, ex nihilo, un centre financier mondial, selon le souhait des autorités locales ? Ces dernières veulent y croire et elles ont mobilisé 200 milliards de yuans pour les seules infrastructures, en se donnant jusqu'à 2020 pour concrétiser ce chantier. A terme, 300.000 personnes sont censées vivre et travailler sur place. Pour autant, la prudence s'impose. Quatre phases de travaux sont prévues, avec l'objectif de construire le site au fur et à mesure que les entreprises viendront s'y installer.

Poumon économique de la Chine

Reste donc à convaincre les grandes institutions financières mondiales de la pertinence du projet. Pour Xiao Qitian, l'un des directeurs du projet, l'argument clef est celui de l'importance économique de la zone de Binhai. « Le gouvernement central a fait de Binhai une priorité en 2006, mais cela fait beaucoup plus longtemps que cette zone connaît un développement accéléré, avec des croissances de 25 % par an », plaide-t-il, avant d'ajouter que « qui dit industrie dit nécessairement centre financier ». De fait, la ville de Tianjin, qui souffre d'un déficit de notoriété à l'étranger, est en réalité, depuis l'époque coloniale, un poumon économique de la Chine, porte d'entrée maritime vers Pékin.

L'autre argument mis en avant par Xiao Qitian est la volonté des autorités de faire de Yujiapu un laboratoire des expériences financières de la Chine. Dans un pays où tout ce qui n'est pas explicitement autorisé est, par défaut, interdit, beaucoup reste à faire en matière de développement de nouveaux types de marchés ou de libéralisation du taux de change. Yujiapu sera-t-il à l'avant-garde de ces expériences ? Il faudra d'abord qu'il sorte de terre. Et, ajoute un bon connaisseur de la finance en Chine, qu'« il trouve une niche pour se distinguer de la vingtaine de zones sur le territoire chinois qui, chacune, entendent devenir un centre financier majeur ».

GABRIEL GRESILLON

PHOTO - Delegates attend the opening plenary session of the Shanghai Municipal People's congress in Shanghai January 16, 2011. Shanghai hopes to encourage foreign companies to raise capital through stock and bond issuance in Shanghai this year, Mayor Han Zheng said on Sunday, while also confirming the city plans a trial property tax during 2011.



Le marché obligataire chinois en plein boom

Au cours des trois premières semaines de l'année, les émissions de dette ont été en hausse de 68 % sur un an. Face à un resserrement des conditions de crédit et à un marché actions déprimé, les obligations ont la cote.

Et si le durcissement monétaire profitait au marché obligataire chinois ? C'est une hypothèse que l'on peut formuler à la lecture des tout premiers chiffres disponibles pour l'année 2011. Entre le 1er et le 24 janvier 2011, les sociétés chinoises ont en effet émis quatre fois plus de dette que d'actions, pour un montant cumulé de 100 milliards de yuans (un peu plus de 15 milliards de dollars). C'est une hausse de 68 % par rapport au début de l'année dernière. Sur la même période, les actions émises en yuans se sont élevées à 23,5 milliards de yuans, soit une baisse de 34 % par rapport à l'an dernier.

Même si trois semaines d'observation ne suffisent pas à tirer des conclusions définitives, il semble que l'émission d'obligations apparaisse actuellement comme une option pertinente, dans un contexte de resserrement monétaire. Après deux hausses de taux d'intérêt et quatre hausses des réserves obligatoires au cours des seuls trois derniers mois, les banques n'ont plus les coudées franches pour prêter largement aux entreprises. L'anticipation de nouvelles hausses de taux, dont l'une pourrait intervenir dès le début de ce mois, n'arrange pas les choses. Même si de nombreux analystes pensent que les autorités n'ont pas encore assez serré la vis, les conditions d'accès aux liquidités se sont nettement dégradées. Les banques paient des taux élevés pour trouver du cash. Et la banque centrale a cessé ses opérations d'« open market » afin de ne pas assécher un peu plus le marché.

Alternative tentante

Quant au marché actions, il n'est pas très attractif. Shanghai a baissé de 13 % l'an dernier, en bonne partie à cause de ce contexte monétaire. De plus, la plupart des introductions en Bourse, ces derniers mois, se sont faites à des prix surévalués et ont été suivies de baisses de cours assez fortes, ce qui n'est pas de nature à attirer de nouveaux investisseurs.

Pour les entreprises, émettre directement de la dette est donc une alternative tentante. Il en va de même pour les collectivités locales, qui ont plus de mal encore à obtenir des crédits bancaires compte tenu de leur piètre santé financière. Au-delà des conditions monétaires actuelles, il ne fait d'ailleurs pas de doute que le marché obligataire chinois est en plein boom depuis plusieurs années. Si 3.000 milliards de yuans avaient été émis en 2003, ce montant a été de 50.000 milliards en 2009, ce qui représente, en moyenne, une croissance annuelle de 60 %. Grandement simplifiée depuis 2007, la procédure pour émettre des obligations est devenue plus rapide que celle d'une introduction en Bourse.

Reste à savoir si les émetteurs de dette sont financièrement solides. Les collectivités locales, notamment, sont au centre des inquiétudes. Comme le remarque un économiste, émettre des obligations est bien souvent pour elles « le seul moyen de ne pas faire défaut sans solliciter l'aide des fonds publics ». Plus globalement, la Chine a encore de gros progrès à faire en matière de notation et d'information financière. Il ne faudrait pas que le marché obligataire chinois devienne le lieu de repli de tous les emprunteurs auxquels les banques ne veulent plus faire confiance...

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