Le directeur de l'Alliance française de Dalian vit au rythme des multiples attentes des habitants de ce grand port du nord de la Chine, où l'engouement pour la langue de Molière ne se dément pas.
«Allo ? Yes, OK ! Ni hao ! Bye ! Zai jian ! À bientôt ! » Téléphone portable collé à l'oreille, Gaël de Kerguenec jongle avec le français, l'anglais, le chinois, afin de répondre aux sollicitations dont il fait l'objet en permanence : salles à réserver pour le projet spectacle d'un chanteur français de passage ; agence photo locale pour confirmer la commande d'invitations officielles pour une exposition et une pièce de théâtre de Molière ; parents chinois de la haute classe moyenne soucieux d'inscrire au plus vite leurs enfants pour les cours de français du samedi matin ; jeunes couples chinois en partance pour le Québec voulant s'informer sur les cours accélérés de langue française... « Être directeur d'une Alliance française en Chine demande disponibilité, souplesse et flexibilité horaire », lance en souriant ce Breton de 37 ans, déjà en train de monter dans un taxi pour « un déjeuner privé avec Mme Shi », élégante présidente de l'université des langues étrangères de Dalian, l'une des plus prestigieuses de Chine, partenaire de l'Alliance française. Grâce à ses talents de polyglotte, ce brillant linguiste diplômé de la Sorbonne défend la langue et la culture françaises jusqu'aux confins de la Mandchourie chinoise, territoire immense et isolé qui s'enorgueillit d'accueillir de rares et courageux pionniers occidentaux.
« Dans cette province du Liaoning qui nous ouvre les bras, il faut assurer un gros travail de relationnel, rencontrer tout le monde et se faire connaître afin de promouvoir la francophonie dans sa dimension mondiale », assure Gaël de Kerguenec, qui a fait ses premières armes en 2004 à l'Alliance française de Chengdu, capitale de la province du Sichuan, « mon premier amour initiateur de la Chine ». Bouillonnant d'énergie, curieux des codes moraux et intellectuels chinois, le jeune professeur s'est patiemment construit un « réseau personnel, à l'image du réseau que chaque Chinois doit se constituer s'il veut réussir dans sa vie professionnelle et personnelle. Aux yeux de mes interlocuteurs chinois, j'incarne d'abord une institution, l'Alliance française, école officielle de la France en Chine. Mais cette dimension professionnelle ne suffit pas pour avancer et se faire accepter. J'ai dû y ajouter une très forte dimension personnelle, presque intime, afin de dépasser les obstacles officiels et protocolaires. » Atypique, le directeur fréquente toutes les strates et catégories sociales de la grande ville portuaire de Dalian (8 millions d'habitants), proche du Japon et de la Corée du Sud, au niveau de vie très élevé : patrons de grosses sociétés privées, millionnaires ou milliardaires en euros, dockers au salaire mensuel ne dépassant pas les 100 €, président communiste du parlement de la province aux larges pouvoirs, présidents d'universités de Shenyang, capitale du Liaoning... « En entrant dans le monde chinois intime, je suis sorti de la relation artificielle nourrie de flatteries et de faux compliments réservés aux Occidentaux qui ne font que passer », assure ce gastronome à l'appétit féroce qui a aussi su séduire ses interlocuteurs chinois en dévorant les mets les plus divers : concombres de mer, langues de canards, intestins d'agneaux, coeurs de poulet, oreilles de cochon, ou tripes en tout genre... Son initiation chinoise au Sichuan, où il a été « adopté par une seconde famille » quelques mois après le décès de sa mère en France, l'avait déjà bien aguerri. « Cette période fondatrice de mon bien-être en Chine m'a permis de gagner leur respect et leur amitié. »
La vie de l'universitaire dont la carrière de professeur semblait toute tracée en France, a basculé en 2004 lors d'un voyage dans l'immense ville de Chongqing, non loin de Chengdu, pour y rencontrer le président de l'université des langues étrangères, Li Ke Yong, lui aussi linguiste et parfaitement francophone. « C'est devenu un ami. Toute cette explosion humaine et cette générosité sans limites m'ont bouleversé. Je suis resté. » Cet ancien élève des Frères des écoles chrétiennes, né à Saint-Brieuc, n'échappe pas au destin familial : son grand-père a été au Vietnam au temps des colonies ; son père, en poste à Moscou, a été membre de la première délégation officielle française en Chine en 1964... Quant à lui, il ouvre les portes de la Mandchourie où la France a connu un passé glorieux au début du siècle dernier à Harbin, avec la construction du train par les Russes et les Français.
« L'image de la France dans l'opinion publique chinoise reste encore très positive, assure Gaël de Kerguenec, pour qui l'Alliance française est un vecteur de transmission de la culture française. Mais la perception de la France par les Chinois s'est beaucoup affinée. Elle devient moins caricaturale que par le passé. » Il y a encore trois ans, la France avait l'image d'un pays développé, riche, à l'économie florissante. Mais aujourd'hui, grâce à une meilleure information, Internet et des voyages de plus en plus nombreux en France, les Chinois la voient comme un pays qui a des problèmes, du chômage, de la violence urbaine, des grèves. « Les Chinois ont pris conscience de leur puissance nouvelle et ils sont passés d'une admiration aveugle pour la France à une image plus nuancée, certes toujours romantique, mais un peu déclinante sur la scène internationale. Les Chinois vont en vacances en France mais ils n'envisagent plus d'aller y gagner de l'argent et d'y faire leur vie. L'image d'un Eldorado où on peut faire fortune est dépassée. »
Cela n'empêche pas le directeur de l'Alliance française de Dalian d'afficher des chiffres de fréquentation en hausse : « Plus de 1 500 élèves en 2010 et 145 000 heures de cours vendues contre seulement 90 000 heures l'année précédente. » L'engouement ne se dément pas, à mesure que le niveau de vie des Chinois augmente. Beaucoup veulent poursuivre leurs études en France, d'autres migrent au Québec pour y trouver une qualité de vie supérieure. Quant aux jeunes, ils savent qu'ils pourront trouver un bon travail pendant quelques années dans un pays d'Afrique francophone au sein d'une grosse société chinoise.
Aux yeux des universités partenaires aussi bien à Dalian qu'à Shenyang, la présence de l'Alliance valorise leur enseignement et leur ouverture sur le monde. Après plusieurs cycles de conférences de linguistique assurés dans ces universités, de nombreux échanges de coopération, une présidence au jury pour le master de linguistique, Gaël de Kerguenec a même reçu l'année dernière l'une des plus hautes distinctions académiques chinoises de la part de l'université de Dalian, l'équivalent de chevalier des Arts et des Lettres, que seuls deux « experts étrangers » peuvent recevoir dans toute la Chine. « Au-delà de cette récompense prestigieuse qui me touche, explique le récipiendaire un brin modeste, c'est une reconnaissance de l'Alliance française de Dalian et de l'expertise française dans le domaine de la pédagogie et la linguistique. Elle symbolise la confiance de l'université envers la France. Et pour une Chine aujourd'hui deuxième puissance mondiale, un tel geste à forte charge émotionnelle exprime une véritable amitié.
Dorian MALOVIC
Le réseau Alliance française
Il existe aujourd'hui 15 Alliances françaises en Chine : à Pékin, Shanghaï, Canton, Wuhan, Chengdu, Nankin, Xian, Dalian, Qingdao, Jinan, Hangzhou, Chongqing, Tianjin, Hong Kong et Macao, ainsi que deux autres à Taïwan, à Taïpei et Gaoxiong. Près de 25 000 élèves y étudient, sous la baguette de professeurs français, mais aussi chinois, belges et québécois.
Le français est la seconde langue étrangère occidentale enseignée en Chine après l'anglais.
Fondée à Paris en 1883, l'Alliance française est une association à but non lucratif et reconnue d'utilité publique, dont le président de la République est statutairement président d'honneur. Plus de mille Alliances françaises assurent la diffusion de la langue et de la culture françaises dans 135 pays à travers le monde.
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