mardi 15 février 2011

L'ascension de la Chine ne fait pas trembler le Japon - Yann Rousseau

Les Echos, no. 20870 - International, mardi, 15 février 2011, p. 6

Malgré une croissance de 3,9 % sur l'année 2010, l'Archipel a vu l'an dernier, son PIB nominal dépassé de 400 milliards de dollars par celui de la Chine. Pour entretenir sa reprise, le pays espère profiter en 2011 de l'appétit de l'Occident et des pays émergents pour ses exportations.

Après avoir détenu pendant quarante-deux ans le titre de deuxième économie mondiale derrière les Etats-Unis, le Japon a reconnu, hier, officiellement qu'il avait été dépassé en 2010 par la Chine. Selon les statistiques publiées par le gouvernement, le produit intérieur brut (PIB) du pays, en terme nominal, s'est élevé sur l'année à 5.474,2 milliards de dollars quand le PIB chinois était, lui, mesuré sur la même période, à 5.878,6 milliards de dollars.

Si la taille de l'économie chinoise était encore il y a cinq ans inférieure de moitié à celle du Japon, la spectaculaire croissance orchestrée par Pékin a permis au pays de 1,3 milliard d'habitants de rattraper en un temps record l'Archipel, peuplé de 127 millions de personnes. L'an dernier, le PIB chinois a ainsi progressé de 10,3 %, quand celui du Japon enregistrait une très honorable hausse de 3,9 %, bien supérieure à nombre de pays de l'OCDE qui ont eu plus de mal à sortir de la crise financière.

Profitant du rebond de ses exportations, notamment vers la Chine, son premier partenaire commercial, et du dynamisme d'une consommation intérieure portée par plusieurs programmes de subventions publiques, le Japon a généré une reprise très vigoureuse au cours des trois premiers trimestres avant de connaître des difficultés aux cours des derniers mois de 2010. La fin, en septembre, d'un généreux programme de soutien aux achats de véhicules dits « verts », la hausse d'une taxe sur le tabac en octobre puis la réduction progressive des subventions à l'achat d'écrans plats, de réfrigérateurs et de climatiseurs peu gourmands en électricité ont pesé sur la consommation intérieure, qui représente encore près de 60 % du PIB nippon. Les exportations, l'autre grand moteur de croissance du pays, ont, elles, souffert de la « flambée » du yen qui plafonne, depuis l'été 2010, à son plus haut niveau des quinze dernières années face au dollar et nuit à la compétitivité des produits « made in Japan » sur les marchés étrangers. Pointant ces difficultés, le gouvernement a annoncé, hier, que le PIB nippon avait reculé de 1,1 %, en rythme annualisé au dernier trimestre.

Optimisme

A Tokyo, les officiels et la plupart des économistes restent toutefois optimistes et excluent toute replongée de l'Archipel dans la récession (en 2009, le PIB nippon avait reculé de 6,3 %). « Nous estimons que l'impact positif des exportations vers les économies émergentes florissantes neutralisera les conséquences de la hausse du prix des matières premières et devrait permettre à l'économie de poursuivre modestement son expansion », expliquait, hier soir, Ryutaro Kono, l'économiste en chef de BNP Paribas au Japon. Pour Norio Miyagawa, un analyste de Mizuho Research and Consulting, le PIB japonais devrait être légèrement inférieur à 2 % sur l'ensemble de 2011. « L'économie japonaise devrait repartir grâce à l'amélioration des économies étrangères et aux politiques du gouvernement », avait récemment assuré Kaoru Yosano, le ministre de l'Economie, qui espère, avec son Premier ministre, Naoto Kan, qu'un ancrage dans la croissance donnera au pays le courage d'affronter un débat national sur la dette publique et la réforme du financement des grands programmes sociaux.

A la fin de 2010, la dette japonaise atteignait la somme colossale de... 919.000 milliards de yens, (11.000 milliards de dollars), soit l'équivalent de 194 % de son PIB.



Le sacre chinois n'émeut pas les Japonais
YANN ROUSSEAU

S'il est conscient de la montée en puissance de son voisin communiste, le Japon pointe ses réussites sociales et son PIB par habitant qui reste dix fois supérieur à celui de la Chine.

En 1979, Ezra Vogel, un professeur d'Harvard, fit frissonner l'Occident en proclamant dans son livre « Le Japon médaille d'or » que l'Archipel, qui enchaînait alors les records de croissance, allait rapidement s'imposer comme la nation industrielle la plus puissante de la planète. Les économistes rivalisaient de courbes programmant, à courte échéance, le sacre du pays. Trois décennies plus tard, le gouvernement nippon a annoncé, hier, sans émotion, que le PIB nominal de la Chine était désormais supérieur au sien. La nouvelle, perçue, depuis plusieurs années, comme « inéluctable » par les Japonais n'a enclenché aucun débat dans le pays. « Nous ne sommes pas engagés dans des activités économiques pourfaire bonne figure dans un classement mais pour améliorer la vie des gens », a expliqué Kaoru Yosano, le ministre de l'Economie avant de rappeler que le développement de la Chine représentait un formidable moteur de croissance pour le Japon.

Aucun complexe

La Chine absorbe désormais 19 % des exportations de l'Archipel et l'an dernier 1,41 million de touristes chinois sont venus visiter le pays et acheter les produits Canon, Sony, Shiseido, ect., réputés pour leur qualité. Si l'Occident aime à pointer, pour conjurer ses propres angoisses, la « décadence » du Japon, qui souffre d'atonie depuis l'éclatement dans les années 1990 de ses bulles immobilière et boursière, l'Asie porte toujours un regard admirateur sur le pays. « L'Inde, le Vietnam et la Thaïlande louent la réussite économique du pays et sa capacité à générer une croissance basée sur la qualité et la valeur ajoutée et non sur la production de masse », note Sherman Abe, le responsable de la chaire de stratégie économique internationale financée par le fonds belge Gimv à l'université Hitotsubashi. Cette vision conforte la population japonaise, qui tout en reconnaissant la perte d'influence de Tokyo et la montée en puissance de la Chine, se délecte de la qualité de vie que son développement a généré. Jouissant d'un PIB annuel par habitant de 34.000 dollars, dix fois supérieur à l'équivalent chinois, d'un taux de chômage d'à peine 5 %, d'une espérance de vie de plus de 82 ans et d'une paix sociale inébranlable, le Japon ne nourrit dès lors aucun complexe face à son grand voisin communiste.

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