jeudi 24 février 2011

Le casse-tête des étudiants chinois en France - Jean-François Polo

Les Echos, no. 20876 - L_enquête, mercredi, 23 février 2011, p. 9

Trois témoignages d'étudiants chinois

Après les affaires de fraude qui ont défrayé la chronique l'an dernier, la France a revu les conditions d'accueil des étudiants chinois. L'objectif reste d'accroître leur nombre, mais il se heurte au manque de postulants de qualité et à la concurrence des autres pays.

Diffusée à l'envi l'an dernier, l'image d'une « étudiante chinoise » interrogée devant les caméras sur un campus du sud de la France et incapable d'aligner deux mots dans la langue de Molière a ébahi les téléspectateurs. De quoi alimenter la rumeur selon laquelle nombre des jeunes venus étudier dans l'Hexagone depuis Pékin ou Shanghai n'ont dû ce supposé privilège qu'à la triche ou à la corruption. Avec, au passage, des accusations de laxisme, voire de malhonnêteté à l'encontre des établissements qui les accueillent. Depuis lors, un ménage a été effectué dans l'urgence. L'administration a commandité des missions d'inspection et l'ex-président de l'université de Toulon-Var Laroussi Oueslati a été mis en examen et révoqué de la fonction publique. Reste que pareille affaire ne pouvait tomber plus mal. Car, pour l'enseignement supérieur français, le développement de relations étroites avec la puissance montante de la planète constitue une priorité affichée. Déjà, les étudiants chinois sont près d'une trentaine de milliers dans les facultés et grandes écoles, à la deuxième place derrière les Marocains. Au rythme où vont les choses, ils passeront bientôt au premier rang. A Paris fin novembre, le président Hu Jintao a affirmé sa volonté de voir leur nombre atteindre 50.000 d'ici à cinq ans.

Les ambitions de la France se heurtent toutefois à un obstacle de taille. Confrontée à la concurrence des pays anglo-saxons, références incontestées de la jeune génération chinoise, elle a perdu du terrain. Alors qu'elle recevait il y a une décennie 14 % des étudiants chinois expatriés, elle n'en attire plus que 5 %. Dès lors, pour les responsables de la politique universitaire tricolore, la conciliation entre les objectifs contradictoires que sont l'augmentation du flux estudiantin et la recherche de sa qualité apparaît presque aussi ardue à trouver que la « voie » de Lao-tseu. Au ministère de l'Enseignement supérieur, on souligne les efforts d'assainissement entrepris, tout en affichant une stratégie volontariste pour l'avenir. « L'affaire toulonnaise a été un cas exceptionnel, qui a suscité un processus d'enquête interne et des suites pénales. Mais 99,9 % de nos universités se comportent de manière honnête, dans un processus qui n'est pas simple », plaide-t-on chez Valérie Pécresse. Après les mesures à chaud, un rapport de fond a été commandé à l'inspection générale de l'administration de l'Education nationale, qui travaille en liaison avec celle des Affaires étrangères. Il devrait être remis d'ici à quelques semaines. Une première mouture, évoquée en novembre par Le Point.fr, brossait de la situation un tableau très sévère : « La France accueille très majoritairement des étudiants qui ne sont pas admis dans le système d'enseignement supérieur chinois, qui ne seront probablement pas la future élite chinoise et qui arrivent avec un niveau d'études globalement inférieur à celui des autres étudiants étrangers. » Ce document n'aura donc eu, telle la première version de la biographie d'Hemingway publiée par Patrick Poivre d'Arvor, qu'un statut éphémère.

Promouvoir la mobilité encadrée

Pour corriger les errements du passé, les pouvoirs publics ont identifié le remède miracle : la « mobilité encadrée ». « Jusqu'ici, les quatre cinquièmes des Chinois venant étudier en France le faisaient de façon indépendante et un cinquième via des partenariats entre établissements des deux pays. Notre but est d'inverser cette proportion », affirme-t-on rue Descartes. Quelque 300 accords interuniversitaires sont d'ores et déjà en application. Depuis la dernière rentrée, un « catalogue Chine » propose aux candidats au départ un éventail de 215 formations, dont certaines accompagnées, comme à Lille-I, Aix-Marseille, ou Grenoble Joseph-Fourier, d'un paquet de prestations incluant accueil, cours de français, logement. L'objectif est, en parallèle, de relever le niveau académique des arrivants, en faisant passer de 50 % à 75 % la proportion d'inscrits en master ou en doctorat. Cette stratégie s'accompagne d'un effort accru de promotion sur le terrain. Elle a pour bras armé l'agence publique Campus France. « Nous possédons en Chine l'un de nos plus gros réseaux au monde. Nous avons ouvert en janvier notre sixième centre, situé à Shenyang, dans le nord du pays. S'y ajoutent sept antennes d'information », indique la responsable de l'organisme pour la zone. Deux Salons sont organisés chaque année, qui mobilisent au total une centaine d'établissements français. Ceux-ci peuvent y rencontrer de jeunes postulants présélectionnés via Internet. Un forum franco-chinois de l'enseignement supérieur, qui a rassemblé 200 intervenants, s'est par ailleurs tenu à Shanghai en novembre dernier dans le cadre de l'Exposition universelle.

Les nouvelles orientations définies par Paris font sentir leurs effets. Ainsi, alors que 34 % des étudiants originaires de la région de Shanghai venaient en France en 2007 dans le cadre de mobilités organisées, cette proportion est montée à 43 % l'an dernier. Les conséquences sont tangibles dans les facultés. « Nous avons réorienté notre politique de façon drastique. Les neuf dixièmes de nos étudiants chinois arrivent désormais sur la base de conventions, alors qu'ils n'étaient que la moitié il y a dix-huit mois. Ce résultat a été obtenu en élargissant les partenariats que nous avions déjà avec une demi-douzaine d'établissements », explique Jean-Loup Salzmann, président de Paris-XIII. Traduction de cette sélectivité, le nombre de Chinois sur les campus de l'université nord-parisienne est passé de 750 à moins de 500.

La réforme du mode de financement de l'enseignement supérieur en vigueur depuis 2009 a, également, joué un rôle important, en permettant de mettre fin à une source d'abus. Dans l'ancien système, les crédits distribués par l'Etat étaient fonction du nombre des inscrits dans chaque établissement, ce qui incitait ces derniers à gonfler leurs effectifs avec des étrangers, sans se montrer regardants sur leur réelle implication. Désormais, seuls les étudiants passant effectivement les examens sont pris en compte.

Omerta sur la sélection

Si les lignes de conduite affichées sont salutaires, tous les problèmes ne sont pas, loin s'en faut, résolus. Tandis que la pression politique en faveur d'une augmentation du nombre des Chinois est forte, l'offre n'a guère varié en quantité et qualité. La majorité des arrivants a notamment besoin d'une mise à niveau en langue française. Beaucoup d'établissements continuent donc de les courtiser pour des raisons peu avouables. Ils leur facturent en effet au prix fort, en préalable à leur intégration à un cycle d'études reconnu nationalement, une année d'adaptation linguistique sanctionnée d'un simple diplôme d'université. Quant à la question de la sélection initiale, elle reste toujours hypersensible. Les dérives du passé, avec à la clef intermédiaires douteux garantissant pour 5.000 dollars l'obtention d'un sésame vers la France, candidats apprenant par coeur les réponses à l'épreuve de français sans les comprendre, présentation de faux diplômes et administration consulaire laxiste dans l'octroi des visas par souci de faire du chiffre, ont été telles que la filière en demeure traumatisée. Quiconque cherche à obtenir des informations précises sur la façon dont les choses se passent aujourd'hui se heurte à une omerta digne des ateliers clandestins du 13e arrondissement.

Le dispositif a certes été assaini. Des entremetteurs sulfureux ont été mis hors d'état de nuire. « Notre ministère de l'Education nationale a créé un bureau de supervision de l'enseignement à l'étranger. Des cas de fraude ont été dénoncés, des agences ontdû fermer, des poursuites pénales ont été engagées », insiste Dai Tianhua, premier secrétaire chargé de l'éducation à l'ambassade de Chine à Paris. Le test de langue française est pour sa part renouvelé plus souvent qu'auparavant. La sévérité de l'entretien de motivation passé par les postulants, une fois obtenue leur préinscription universitaire, a été renforcée et l'administration se montre moins prodigue dans l'octroi des visas. Entre 2009 et 2010, le taux d'admission est passé de 75 % à 69 %.

Un pourcentage de succès qui ferait néanmoins la joie des candidats à n'importe quel concours hexagonal de deuxième zone et qui démontre que la logique qualitative reste à ce jour loin de prévaloir. Ainsi, si l'université de Poitiers se flatte de mettre en oeuvre depuis quinze ans un partenariat exemplaire avec l'université de Nanchang, celui-ci ne concerne qu'une minorité des 600 Chinois du campus. Seuls, en réalité, les établissements à forte réputation d'excellence peuvent se permettre de faire leur marché. Les grandes écoles, à l'instar de l'ENA ou d'HEC, ont des représentants en Chine ou y organisent des épreuves de recrutement spécifiques. Même position privilégiée pour Dauphine, qui pratique une politique délibérément restrictive. « Nous recevons chaque jour des propositions émanant de Chine, parfois pour 2.000 étudiants à la fois. Mais nous voulons éviter de nous laisser prendre dans un engrenage. Nous recherchons un développement maîtrisé et contenu, en nous limitant à 2 ou 3 partenariats », affirme Arnaud Raynouard, vice-président chargé des affaires internationales de la prestigieuse université de gestion. Celle-ci a en particulier instauré un programme d'échange avec son homologue de Jiao Tong, à Shanghai : choix judicieux, puisque cette dernière est célèbre pour le classement mondial de l'enseignement supérieur qu'elle établit chaque année.

JEAN-FRANÇOIS POLO

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