Une partie de l'opinion japonaise est inquiète. Non pas parce que le Japon a cédé la deuxième place de l'économie mondiale à la Chine, mais parce que celle-ci serait en train d'" acheter " leur archipel. Par infimes parcelles, certes, mais la tendance est assez forte pour avoir ouvert un débat au sein du parti gouvernemental sur les mesures à prendre pour contrôler les achats de biens immobiliers et fonciers par des étrangers. Une commission doit remettre, fin mars, des propositions de révision des dispositions légales d'acquisitions de terrains qui pourraient mettre en danger la sécurité des ressources naturelles.
En octobre 2010, la chaîne de télévision publique NHK avait tiré la sonnette d'alarme avec une émission sur le thème : " Le Japon, cible de l'argent étranger - Nos forêts à vendre ". Elle reprenait le sujet d'un livre publié un peu avant au titre évocateur, La Forêt japonaise dérobée : comment le capital étranger menace nos ressources en eau, de Hideki Hirano et Yoshinori Yasuda.
La crainte d'une arrivée massive de capital étranger - montée en épingle par la presse de droite - mettant à l'index les Chinois, qui s'empareraient des ressources naturelles nippones, est partie d'achats de terrains sur l'île d'Hokkaido, dont 400 hectares de forêts. Depuis 2007, deux stations de ski, cinq golfs, cinq hôtels ont été acquis par des Chinois et des Hongkongais. Puis, ce furent des stations thermales dans d'autres régions, des complexes touristiques près du mont Fuji, ainsi que de nombreux appartements dans le centre de Tokyo.
La vente des terrains forestiers, longtemps stagnante, a augmenté ces dernières années. Le Japon est composé à 70 % de montagnes couvertes de forêts. Celles-ci sont souvent négligées, le bois de charpente importé étant meilleur marché. Aussi le prix des terrains forestiers a-t-il baissé. Ils ne sont pas l'objet de dispositions particulières concernant la nationalité de l'acquéreur et, le relevé cadastral laissant à désirer, beaucoup de cessions sont opérées sans contrôle approfondi de l'administration. Le bois ainsi que les eaux souterraines semblent intéresser les Chinois.
Les entreprises ne sont pas non plus à l'abri de leur appétit : dans les six premiers mois de 2010, des entrepreneurs chinois ont acheté des petites et moyennes sociétés nippones pour 100 millions d'euros - somme modeste mais six fois supérieure au montant pour la même période de 2009.
La déflation, le recul de la demande en biens immobiliers et fonciers de la part des Japonais, et un certain laxisme de la législation, stimulent l'appétit des investisseurs chinois, soucieux de se prémunir contre un éclatement de la " bulle " économique chez eux. Les Australiens, Coréens du Sud et Singapouriens sont aussi parties prenantes sur un marché qui n'est pas assez réglementé, selon les autorités locales.
Dans le cas de la Chine, une partie de ces achats sont opérés par le biais de résidents chinois au Japon. Les banques nippones restent prudentes dans les prêts à des investisseurs qui n'ont pas un statut de résident permanent. Dans certains cas, les fonds transitent par l'entremise de " banques " souterraines gérées par les pègres chinoise et japonaise. L'investissement foncier dans l'Archipel serait aussi utilisé dans des opérations de blanchiment d'argent. Depuis 2008, le Japon a renforcé les mesures de lutte contre les transferts de fonds douteux de l'étranger, mais apparemment pas assez.
En dépit du sursaut nationaliste d'une partie de l'opinion, les agents immobiliers et les opérateurs de l'industrie du tourisme ne voient pas que des inconvénients dans l'arrivée des capitaux chinois : les plus riches dépensent sans compter et l'effet de masse est là. Les Chinois représentent un quart des touristes, soit deux fois plus qu'en 2009, et ils repartent chargés de produits. Certains magasins du quartier de l'électronique Akihabara à Tokyo sont entièrement chinois.
Outre l'immobilier, les riches Chinois s'intéressent au marché de l'art et fréquentent assidûment les ventes aux enchères. Ils ne représentent qu'un dixième des acheteurs, mais effectuent les plus grosses acquisitions. Ils rachètent notamment des oeuvres chinoises de la dynastie Qing (1644-1912) arrivées au Japon au cours de la Révolution culturelle - ou auparavant. Juste retour des choses.
Philippe Pons
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