Libération - Monde, lundi, 21 février 2011, p. 11
A Shanghai, la mobilisation pour la démocratie s'est soldée par des arrestations.
L'arrestation s'est déroulée devant un café de la place du Peuple, au coeur de Shanghai. Trois policiers accompagnés d'au moins cinq agents en civil se sont emparés hier d'un étudiant d'une vingtaine d'années. Le jeune homme avait commencé à s'adresser à une petite foule qui avait répondu à l'appel à manifester pour la démocratie lancé sur Internet par la dissidence. «La Chine a besoin, elle aussi, d'une révolution du jasmin», écrivait le site Boxun - géré par des dissidents chinois à l'étranger. Celui-ci avait demandé aux Chinois de suivre l'exemple de la Tunisie et de l'Egypte en se réunissant pacifiquement, hier à 14 heures, dans les grandes villes du pays pour scander : «Nous voulons manger, nous voulons du travail, des logements et un système équitable.» Mais la police, qui suit de près les microblogs comme Twitter ayant relayé cet appel, était prête à toute éventualité.
«Hooligans». Autour de la place du Peuple, des dizaines de policiers ainsi qu'un camion antiémeute équipé de caméras vidéo avaient été mobilisés. La petite foule qui s'était déplacée n'a pratiquement pas réagi lorsque les policiers ont tiré le jeune audacieux par ses vêtements avant de l'embarquer. Les participants, dont beaucoup faisaient mine de passer pour des promeneurs, se sont contentés de prendre quelques photos de l'arrestation avec leurs téléphones portables. «Les Chinois détestent le communisme. Mais les Chinois ont peur, et c'est ça le problème ici», explique Zhao, un retraité de 78 ans, en observant la scène. «Ce gouvernement est un gouvernement de bandits et de hooligans», chuchote-t-il au milieu de la foule, en employant l'anglais pour plus de sécurité. Nous prenant à l'écart, il ajoute : «Il n'y a pas de démocratie en Chine, pas de liberté de parole, pas de liberté tout court. Dans les pays normaux, l'armée sert la nation, mais en Chine elle sert le Parti communiste.»
Deux autres personnes auraient été arrêtées à Shanghai. De timides réunions se sont aussi déroulées à Pékin - sur la grande avenue Wangfujing - ainsi que dans onze autres villes, dont Chengdu, Changsha et Canton. Partout, la police avait déployé un dispositif des plus dissuasifs. La veille, et ce n'est sans doute pas un hasard, le président chinois, Hu Jintao, avait exigé l'imposition de contrôles plus stricts sur Internet - qui est déjà la cible d'une censure draconienne. Le mot «jasmin» est désormais prohibé sur les forums de discussion, au même tire qu'«Egypte», «Tunisie» et «démocratie».
Anxiété. L'échec de la mobilisation dissidente d'hier, estiment les opposants chinois, n'est que relatif. «Même si elle n'a pas eu le résultat escompté, cet appel à manifester montre que le peuple chinois aspire à la démocratie», juge Bao Tong, le secrétaire particulier de Zhao Ziyang - chef du PC chinois limogé après la répression de Tiananmen, en 1989. «Le maintien de la stabilité par la force peut être efficace à court terme, mais jamais sur le long terme, estime pour sa part l'écrivain He Qinglian sur son compte Twitter, en fustigeant un gouvernement chinois paranoïaque qui ferait mieux de rendre le pouvoir au peuple.» Un utilisateur de Twitter propose, sous le pseudonyme FreeMandchuria, «de lancer tous les un ou deux mois» un appel internet à manifester «afin que ce bandit de Parti communiste vive dans l'anxiété permanente [...]. L'important n'est pas de descendre effectivement dans la rue».«La fleur de jasmin n'a pas fleuri, déplore un autre abonné à Twitter. Il aurait fallu un élément déclencheur, un slogan mobilisateur, une revendication et un objectif clair. J'espère que le jasmin éclora la prochaine fois.»
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