jeudi 17 février 2011

Patrick Weil : « La notion de "Français de souche" n'a aucun fondement »

Le Point, no. 2005 - Littérature, jeudi, 17 février 2011, p. 98

Le Point : « Le camp des saints » décrit l'arrivée d'un million d'immigrants sur les côtes françaises. Que vous inspire ce scénario ?

Patrick Weil : La plupart des gens respectent les lois en matière d'immigration, même si elles sont difficiles à accepter. Seule une minorité obtient un visa pour voyager et une infime minorité encore voyage sans visa ni passeport. Et ces clandestins passent essentiellement par les frontières terrestres, moins périlleuses. Les gens ne bougent donc pas si facilement. En cas de crise politique ou de catastrophe naturelle, les populations peuvent fuir, mais les migrations maritimes dépassent rarement les milliers, à l'image de ce qui se passe actuellement avec les clandestins tunisiens.

Ce roman développe la crainte de la disparition de l'identité nationale et des valeurs occidentales...

Ces mêmes craintes s'exprimaient déjà avant et après la Première Guerre mondiale. Je viens de publier un petit texte, « Etre français », sur les quatre piliers de notre nationalité : l'égalité, la langue française, une mémoire positive de la Révolution et la laïcité. Les enfants de l'immigration partagent majoritairement ces valeurs et les comprennent souvent mieux - le principe de laïcité, par exemple - que le président de la République lui-même. Nos valeurs historiques conservent toujours un très fort pouvoir d'attraction, tout comme l'ensemble des valeurs occidentales à dimension universelle (démocratie, droits de l'homme...). Les exemples de la Tunisie et de l'Egypte nous le démontrent ces jours-ci amplement.

Que pensez-vous de la notion de « Français de souche » chère à Jean Raspail ?

Elle n'a aucun fondement. Les souches sont immobiles, tandis que les êtres humains bougent et évoluent. La France a été une terre d'invasion puis de migrations, et les nouveaux venus ont toujours fini par s'intégrer. Ses citoyens ont fait son Histoire et construit des valeurs qui sont devenues des références communes toujours transformables. Cette expression « Français de souche » me fait penser à Pétain, qui disait que la terre « ne ment pas » et qu'elle représente « la patrie elle-même ». Quelques mois plus tard, des Français envoyés au Service du travail obligatoire [STO] découvraient avec surprise que les paysages de l'Allemagne ressemblaient à ceux de la Dordogne et que la terre là-bas n'y était guère différente de la nôtre.

D'après Jean Raspail, la majorité de la population active française sera en 2050 d'origine extraeuropéenne...

Une très récente étude du think thank américain Pew Research Center projette que les musulmans représenteront 10 % de la population française en 2030. Tout le reste relève du pur fantasme visant à se faire peur.

Propos recueillis par Thomas Mahler

* Patrick Weil est historien spécialiste de l'immigration, directeur de recherche au CNrS, professeur associé à Yale, auteur de « la France et ses étrangers » (Calmann-lévy et Folio) et « Qu'est-ce qu'un Français ? » (Grasset et Folio).
« Etre français : les quatre piliers de la nationalité », de Patrick Weil (Ed. de l'Aube, 36 p., 5 E).

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