mercredi 16 février 2011

Pékin écarte un ministre emblématique pour corruption - Arnaud de la Grange


Le Figaro, no. 20695 - Le Figaro, mardi, 15 février 2011, p. 10

Chargé des chemins de fer, Liu Zhijun a géré le développement du train à grande vitesse.

Même si l'on est habitué à ce que de gros « poissons » chinois tombent pour corruption, il est rare de voir un ministre démis de ses fonctions pour de tels chefs d'accusation. L'affaire est d'autant plus spectaculaire quand il s'agit du secteur ferroviaire, stratégique s'il en est, et emblématique de la montée en puissance économique chinoise. C'est sobrement que l'agence Chine nouvelle a annoncé ce week-end que le ministre des Chemins de fer, Liu Zhijun, avait été relevé de ses fonctions, faisant l'objet d'une enquête pour « violation sévère de la discipline » du Parti. En clair, pour corruption.

Liu Zhijun est sans doute le plus haut responsable politique chinois à tomber, après le patron du Parti communiste de Shanghaï, en 2006. Chen Liangyu, un ancien allié du président Jiang Zemin, a été condamné à 18 ans de prison. L'entourage familial du ministre des Chemins de fer, âgé de 58 ans, avait déjà été éclaboussé par des scandales. Au printemps 2006, son jeune frère Liu Zhixiang - patron des chemins de fer à Wuhan, dans le centre du pays - a été condamné à mort avec sursis pour avoir loué des sicaires afin d'éliminer un homme ayant révélé sa corruption.

Le ministère des Chemins de fer, qui emploie plus de 2,5 millions de personnes, est un gros potentat qui gère un budget colossal. Liu Zhijun, en poste depuis 2003, a eu notamment la haute main sur l'ambitieux projet de réseau de train à grande vitesse chinois. En 2009, il a été annoncé que 42 lignes à grande vitesse avaient été planifiées pour 2012, pour un investissement de 210 milliards d'euros.

La Chine a déjà le réseau de ce type le plus grand au monde, avec plus de 8 000 kilomètres de voies, et elle veut l'étendre à 25 000 kilomètres d'ici à 2015 et 50 00 kilomètres en 2020. Cette année, comme l'an dernier, Pékin devrait y investir 70 milliards d'euros. Depuis la fin de l'année 2009, le « train le plus rapide du monde » circule à 350 km/h entre Canton et Wuhan. En juin, Pékin devrait être relié à Shanghaï en quatre heures. Et en décembre dernier, la Chine a annoncé fièrement avoir battu le record mondial de vitesse avec une rame non modifiée, à 486,1 km/h.

Folle croissance du rail

Toute la question aujourd'hui est de savoir si la chute de Liu Zhijun va se traduire ou non par un ralentissement de cette folle croissance du rail chinois. De nombreuses voix en Chine dénoncent la mégalomanie du projet à grande vitesse et expriment des doutes sur sa rentabilité à terme. La réforme du secteur, à laquelle s'opposait Liu, pourrait aussi être accélérée. « Ce ministère des Chemins de fer est un étrange mélange du passé et du futur de la Chine, commente un acteur du secteur, avec une technocratie communiste à l'ancienne, gangrenée par le clientélisme et la corruption, et en même temps un domaine technologique de pointe. »

Il semble aussi qu'avant de lancer officiellement le douzième plan quinquennal le mois prochain, le régime ait eu envie de faire un peu de ménage, un exemple. La proximité de la transition politique de 2012 exacerbe en outre les luttes d'hommes et de factions. Et dans ce grand jeu de coulisses, le réseau de soutien de l'infortuné ministre de transports a pu tout simplement s'affaiblir.

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