vendredi 4 février 2011

REPORTAGE - Dans le secret du plus grand sexodrome d'Europe


Marianne, no. 720 - Magazine, samedi, 5 février 2011, p. 60

La Jonquera est un petit bourg catalan devenu un haut lieu de la prostitution, où se noue le drame de toutes les misères. Plongée dans un no man's land sinistre, où sexe et argent règnent sans pitié.

Gavés, repus, satisfaits. Mains jointes sur des bedaines hypertendues, trois quinquagénaires rubiconds devisent bruyamment sur "les cinq jours de rodéo" qui les attendent. Entre rots de béatitude et gloussements égrillards, chacun écrase un barreau de chaise mâchouillé sur la nappe en papier d'une table du 2001. Dans cet estaminet de Catalogne espagnole, à quelques encablures du Perthus, Michel, leader manifeste de la fine équipe, procède aux ultimes réglages avant le grand lâchage. "Eh, les gars, vous avez pensé à vous débaguer ?" tonitrue-t-il. Ses acolytes, qui avaient occulté ce marital détail, remisent illico leur alliance dans la poche arrière de leur velours côtelé. Spectatrices de ce risible manège, Dana et Andréa, 20 ans annoncés, lèvent leurs yeux fardés au ciel. "Pensionnaires" du Club Paradise, "marketé" comme "le plus grand bordel d'Europe" lors de son inauguration en octobre, ces inséparables fraîchement débarquées de Roumanie se le promettent : si elles croisent "l'un de ces types au club", elles "ne le calculeront pas". "Tape là !" se sourient-elles en révélant des fossettes de gamines complices. "Un garçon normal ne paie pas pour avoir du sexe, commente Andréa, poupée aux faux airs de Nadia Comaneci époque JO de 1976, à Montréal. Franchement, des vieux comme ça, c'est des nuls, des zéros. Heureusement que Dana et moi sommes jolies et pouvons choisir les mecs avec qui nous montons." Bienvenue à La Jonquera, nouvelle terre de conquête(s) de Français nostalgiques (1) de la République d'avant "la veuve qui clôt", ainsi qu'Antoine Blondin surnommait Marthe Richard (2).

Dans ce lambeau de frontière de 2 800 habitants pour 800 prostituées officiant en club ou dans la rue, le flux incessant des trafics contraste avec le cours paisible du Llobregat, fleuve alangui qui serpente jusqu'à Barcelone. Ici, la carrer Major, rue principale jalonnée de maisonnettes ocre et de commerces que la morale ne réprouve pas, tient lieu d'aide-mémoire. "Tout a basculé en 1993 avec l'ouverture des frontières, se souvient Pere Bahi, directeur de l'école primaire. Nous vivions essentiellement des activités douanières et comptions 80 agences de dédouanement. Aujourd'hui, elles ne sont plus qu'une vingtaine. Cette saignée, qui a laissé 900 personnes sur le carreau, a défiguré La Jonquera et traumatisé les habitants." Et pour cause : "Décidé à sauvegarder une économie en péril, le maire a facilité l'installation des entreprises dans une gigantesque zone d'activités. Le hic, c'est que la commune est aujourd'hui dépassée par le monstre qu'elle a créé." Un monstre ultralibéral que rien ne semble rassasier. En témoignent les 400 commerces, 46 restaurants, 16 supermarchés et autant de stations-service agglutinés dans ce mouchoir de poche où alcool, essence et cigarettes s'écoulent à prix cassés. "Sans ce développement anarchique qui fait le lit de la corruption, la prostitution n'atteindrait pas de telles proportions", martèle l'enseignant, halluciné de voir ce territoire échevelé se transformer en "nouveau Far West".

Avant sa reconversion en lupanar géant, La Jonquera fut, en effet, un village. Avant de céder aux diktats d'une mondialisation où corps et marchandises de toutes provenances se négocient indifféremment, elle eut donc une identité. Michel et sa petite bande en arpentent les vestiges. A l'heure du café con leche, ils poussent la porte d'un bistrot où d'antiques joueurs de cartes disputent une partie de botifarra ("saucisse" en espagnol - ça ne s'invente pas !). Air dégagé mais sourcils circon- flexes, Augustino, Esteban et Francisco auscultent le trio en goguette. "Encore des papas qui vont s'encanailler dans les puticlubs", marmonne Esteban en abattant un atout sur le tapis. Juste intuition. Les Français sont tous pères de famille. "Les putes, y a pas mieux : ça revient bien moins cher qu'une liaison avec les cadeaux, les invit au restau et tout le tintouin, estime Michel. Avec elles, pas de suivi, pas de promesses, pas de "je t'aime". Tu paies, elles s'occupent de Popaul et quand tu rentres chez toi tu laisses bobonne roupiller." Et Esteban de "reconnaître qu'elles sont jolies, les petites des "maisons d'à côté" : lorsqu'elles viennent boire un coup ici, on en perd la concentration à force de se rincer l'oeil. On a beau être vieux, on est toujours des messieurs". Des messieurs de peu alléchés par les quelque 5 à 7 milliards d'euros générés par la mala vida ("mauvaise vie") des 20 000 filles de petite vertu répertoriées dans la seule Catalogne.

Grâce au Paradise, 80 chambres, une discothèque, un bar prétendument VIP et une moyenne de 170 filles au compteur, le vieil Augustino améliore son ordinaire. "Quand je repère des touristes égarés, je sais bien qu'ils cherchent les prostibulos [maisons closes dont 80 % des clients sont français]. Alors, moi, je me mets à leur disposition et je les y accompagne. Je n'ai pas de permis de taxi, mais chez nous tout le monde est un peu hors la loi. On se débrouille, c'est la crise, c'est comme ça." Mauvaise pioche pour Augustino, ces Français-là sont motorisés. Et connaissent tout de la géographie de La Jonquera et des patelins alentour, royaume des "claques" officiels depuis qu'en 2002 le gouvernement de Catalogne a légalisé par décret tout "bordel" sollicitant une licence d'exploitation. Justifiée par la volonté d'éradiquer le racolage de rue, cette mesure permet aussi et surtout aux autorités régionales d'engranger une manne de taxes, professionnelle ou d'habitation, estimée à 200 millions d'euros. Un fromage pour une illusion de réforme qui s'est contentée d'entériner une situation de fait : "Depuis 1975, en Espagne, nombre de clubs de passe surfent sur un vide juridique, développe Alain Tarrius (3), sociologue spécialiste de l'économie souterraine du pourtour méditerranéen. En effet, la loi ne reconnaît pas la prostitution comme une activité autorisée, mais elle ne la considère pas pour autant comme un délit. Ce ni-ni relègue cette pratique dans une zone "alégale", un flou qui s'est toujours traduit par une grande tolérance."

Route de l'or rose

Et, du côté de La Jonquera plus qu'ailleurs, la tolérance, il y a des maisons pour ça. La carretera ("route nationale") II, qui file jusqu'à Gérone, capitale de la province, recense quelque 50 adresses où, comme le scandent les Perpignanais du groupe de rock Al Chemist, "pour 50 €, t'es le plus beau" : Moonlight, Baby Doll, Lady's Dallas, Gran Madam's, La Isla... Une vraie route de l'or rose. Une route égayée par des "établissements parfaitement transparents", prétend José Moreno, trouble patron du Paradise. "Dieu lui-même, s'il venait à descendre sur Terre, figurerait parmi nos clients, car nos prestations répondent à des besoins et obéissent, au même titre qu'un magasin de chaussures, au code du commerce. Moi, je loue des chambres à des filles qui, contre 70 € par jour, bénéficient des mêmes services que dans un trois-étoiles. Je ne suis pas un chulo ["proxénète"], mais un honnête patron d'hôtel. Les girls font des passes dans les chambres, et alors ? Ce qui m'importe, c'est qu'elles paient leur demi-pension", provoque ce sexagénaire, dont le postérieur aimante non pas des casseroles mais une véritable quincaillerie. Aux manettes de deux autres "hôtels" coquins, el señor Moreno feint de s'agacer de sa sulfureuse réputation : "Moi, je fais oeuvre de salut public : les hommes pensent avec leurs couilles. Personnellement, si je ne fais pas l'amour, je vire dangereux. Alors, por favor, qu'on arrête de me taxer de tous les maux, parce que sans les puticlubs le monde serait une jungle pour le sexe faible. A ma façon, je lutte bien plus efficacement contre le viol que ces lesbiennes de féministes !" plaide ce bon Samaritain dont la justice, qui l'a déjà inquiété pour blanchiment d'argent et le poursuit aujourd'hui pour "traite des femmes", s'obstine à nier les humanistes mérites.

Avec la bénédiction du "padre"

Michel et les faux célibataires qui l'escortent seraient, eux, plutôt prompts à lui ériger une statue. La preuve par l'intérêt qu'ils portent au panneau d'affichage municipal de La Jonquera : "Elles t'attendent, Gogo's, avec le cocktail de bienvenue", promet un poster siglé Gran Madam's Club. "Jouis d'un gobelet dans la compagnie des meilleures demoiselles de la province", renchérit, dans une syntaxe contrariée, une pub à la gloire du Lady's Dallas... D'ostentatoires invitations à la luxure qui voisinent avec les annonces de l'église Santa Maria et les horaires des messes. Une sorte de "chacun cherche son culte" dont s'accommode le padre John, curé colombien récemment parachuté dans cette drôle de paroisse : "Certaines dames des clubs assistent aux offices, allument un cierge et partent ensuite à l'institut de beauté. Ce sont des brebis sacrifiées sur l'autel de l'argent roi brassé par les mafias. J'ai de la compassion pour elles", confesse ce clone de Gary Coleman, mini-acteur de la série "Arnold et Willy". Magnanimes, ces propos font écho à ceux du diocèse local. "Les ecclésiastiques espagnols n'ont jamais condamné la prostitution. Ils la considèrent comme un mal nécessaire mais un péril mineur dans la mesure où, à l'inverse de l'adultère, elle ne menace pas la famille, analyse l'historien Jean-Louis Guereña (4). En clair, on peut quitter son épouse pour une maîtresse, pas pour une pute !" Alors que vont sonner les vêpres, Michel et sa troupe pressent le pas. Le temps n'est plus à la génuflexion, Le Paradise s'apprête à accueillir ses premières ouailles.

"Montagne de chair"

Sur le parking de l'une des moult zones commerciales de La Jonquera, quelques impatients trépignent en attendant que les vigiles de ce gigahangar de la fesse sifflent le début de la récré. Ils trompent l'ennui, à moins que cela ne soit l'envie, en jetant de distraits coups d'oeil aux enseignes environnantes : Repsol, Michelin, un club de Bingo et, en ces lieux à fort coefficient érotique, un sex-shop aux néons aveuglants. C'est là qu'émoustillés par les "oro simulator for men", "royal vibrating vagina", "very bondage" et autres les clients du Paradise "font monter la mayonnaise", comme l'explique délicatement Michel. 17 heures, la "foire aux filles" s'ouvre enfin. Les "débagués du 2001" s'acquittent d'un droit d'entrée de 10 € et s'évanouissent pour une nuit de galipettes. Sur le seuil de cet eros center à la catalane, Alain, 40 ans, bombe le torse. A ses côtés, une vingtaine de vigiles arborent des tonfas - matraques chères aux forces de l'ordre - et sont soutenus dans leur mission de filtrage par une batterie de caméras de vidéosurveillance assorties d'un portique détecteur de métaux. C'est qu'au Paradise on veut bien magouiller, oui, mais sans embrouille. "La mairie de La Jonquera nous a fait l'enfer, commente Alain, homme de main de José Moreno. Il a fallu batailler cinq ans avant que le tribunal des contentieux administratifs n'autorise notre implantation. C'est n'importe quoi ! Le club fait tout de même bosser 54 familles du coin et sans nous, franchement, les filles crèveraient la faim dans leur pays de misère. El señor Moreno a investi pas moins de 3 millions d'euros pour leur trouver du boulot." A quand la palme du commerce éthique ?

Ex-chippendale parisien expatrié en Espagne, "parce qu'au moins, ici, tu peux exhiber ton sexe en dansant sans que ça fasse problème", Alain se pose en "promoteur de charmes". Et s'autoproclame "amoureux des femmes". Dans un décor de boîte de nuit, dont les effets de laser éclairent les regards cernés de filles contraintes à parader en string et soutiens-gorge pailletés, Alain joue les julots sans classe : "Ici, c'est de la grande distribution, pas du haut de gamme. L'important, c'est que les hommes aient le choix : alors on mise sur un ratio d'au moins huit nanas pour un mec." Juchées sur des tabourets disposés le long des 60 m de bar qui enlacent la piste de danse, des employées à demi dévêtues croisent et décroisent mécaniquement leurs jambes. Zakia, Marocaine nue sous son pull aux mailles filet extralarges, convoque directement l'entrejambe des quidams. "On n'est pas là pour discuter, faut que ça tourne, souffle en aparté cette adepte de la culture du résultat. Au lit, c'est pareil : si ça ne vient pas, je fournis des lotions sensibilisantes pour que les clients fassent leur affaire plus vite. Eux bandent comme des taureaux et je gagne mon blé rapido." Il faut bien stimuler le pigeon. "A l'oeil, comme ça, quand on débarque, on a l'impression de se retrouver au milieu d'un troupeau de gonzesses en chaleur, c'est le but ! Moi, bien sûr, je suis un pro, ça ne me défrise pas une minute, fanfaronne Alain. Ces filles, je les vois comme de la viande. Une pure montagne de chair." Alors qu'une longiligne blonde en Bikini léopard s'échine à déniaiser un jeune Maghrébin gêné aux entournures, Alain, toujours plus "amoureux des femmes", poursuit façon seigneur en son cheptel : "En ce moment, les Latinas sont absentes, elles passent l'hiver au Brésil ou en République dominicaine et reviennent chez nous l'été. Alors, on a un max d'arrivages des Balkans, une surreprésentation de Roumaines. Et la Roumaine, ça a un beau petit visage, d'accord, mais pour ce qui est du corps, ça ne le fait pas. Elles sont flasques et courtes sur pattes. Ça manque de sport, tout ça. Les Maghrébines, on n'en a presque plus et c'est pas un mal, parce que pour une vraiment belle tu hérites de dizaines de boudins..." Fermée, la boîte à inepties ? Pas tout à fait, car, avec sieur Alain, quand il n'y en a plus, il y en a encore : "Chez nous, les filles facturent la passe entre 60 et 100 €, c'est du discount adapté à notre clientèle : des Rebeus des cités françaises, des divorcés ou de vieux Gaulois, et je ne vous parle même pas des bouseux qui descendent des montagnes catalanes, dont les nanas doivent récurer le machin à grande eau."

Chasse au client à la sauvage

Sur un écran géant en suspension, l'Espanyol de Barcelone donne du fil à retordre au Barça. D'assourdissantes enceintes matraquent les tubes électro des années 80. Dana, aperçue plus tôt au 2001, n'en connaît aucun. Elle n'était pas née. Alors qu'elle réajuste son deux-pièces à frous-frous bleu électrique et discipline les mèches d'un chignon malmené par son dernier "gogo", cette gamine de Constanza, dans l'est de la Roumanie, envisage de faire une pause. Elle met le cap vers sa cantine, dans l'autre Jonquera.

La nuit est tombée. Et confère au paysage des allures de Las Vegas du pauvre. En retrait du Paradise, concurrent direct du Gran Madam's qui l'emploie, Kingsley grelotte. Surnommé "Michael", parce qu'il "danse bien", ce Nigérian taillé comme une armoire à glace s'affiche en Père Noël-sandwich. Capeline sur le râble, bonnet vermillon sur la tête, il fait de la retape pour les "pouliches" de Maurizio, son "gentil" patron, qui, bien sûr, a oublié de lui signer un contrat de travail. Comme nombre de migrants sans papiers aspirés dans les rouages de l'économie informelle de La Jonquera, Kingsley est l'une des toutes petites mains de l'industrie du sexe. Dans ce périmètre par lequel 10 000 poids lourds transitent chaque jour, les soutiers de la route, Lituaniens ou Polonais émargeant à quelque 300 € mensuels, veulent eux aussi leur part du gâteau. Trop pauvres pour batifoler en mode tarifé, beaucoup louent leurs cabines de camion aux filles de la rue. Warnings allumés égalent bahuts occupés et cagnotte des conducteurs alimentée. Aux abords d'un rond-point, Darina et Nadia, affublées de serre-têtes phosphorescents, ont le racolage agressif. Engoncées dans des doudounes colorées, elles chassent le client à la sauvage. S'incrustent sur la chaussée pour arrêter les voitures. Et éconduisent fissa les intrus. "T'as pas 30 € pour l'amour, tu te casses ! vocifèrent ces néophytes du trottoir. On est là pour travailler. Dégage !"

Ventes aux enchères de filles...

Et ces jeunes Bulgares, "gratifiées" par les mafieux de passeports roumains qui facilitent leur circulation en Europe, de jeter des regards obliques vers le parking d'en face. De ce poste d'observation, une poignée de gros bras leur rappellent qu'elles ne s'appartiennent plus. Darina et Nadia n'ont pas de temps à perdre. Elles sont en période d'essai. "Repérées dans les Bal-kans par des trafiquants qui acheminent aussi drogues et matériel hi-fi, ces gamines doivent convaincre de leur rentabilité dès leur arrivée dans le centre de tri qu'est La Jonquera, avance Alain Tarrius. Dans les ports du sud de l'Italie où elles font presque toutes étape, elles ont été "éduquées" à la prostitution mais aussi à la cocaïne afin de tenir les cadences. Aucune n'échappe au test de la rue : c'est sur cette base que se décident leur valeur marchande et leur affectation. Clubs pour les "plus méritantes", parkings à routiers ou maisons d'abattage pour les autres." Pour le sociologue, "ces filles sont objetisées au point que certaines sont vendues aux enchères à des notables du Roussillon : lors de discrets raouts organisés par les tenanciers des puticlubs, ces "spéculateurs de l'humain" investissent comme on entre en Bourse. Ils achètent des "parts de femmes" et entendent bien toucher les dividendes de leurs mises au prorata des passes réalisées". Histoire d'ajouter du glauque au sordide, quelques maîtresses de ces "boursicoteurs" assistent sans scrupule auxdites séances. Et invitent même leurs ni chers ni tendres à "tester la camelote" avant de "lâcher" leurs deniers. "La police le sait mais n'y peut rien. Pour intervenir, il faudrait que les filles portent plainte. Or, les menaces qui pèsent sur elles et leurs familles les en dissuadent, déplore José Luis Yecora, adjoint au maire en charge de la sécurité dans la commune toute proche de Figueras. En Espagne, et en Catalogne en particulier, la loi est plus respectueuse de la présomption d'innocence des truands que de la défense des victimes." Un aveu d'impuissance illustré par les chiffres : l'année dernière, les services du ministère de l'Intérieur n'ont identifié que 6 000 prostituées exploitées, à l'échelle d'un pays qui en compte quelque 300 000. A La Jonquera, de toute façon, les forces de l'ordre officielles ont rendu les armes depuis un bail. "Dans cet échantillon de la postmodernité, la régulation sociale est aux mains de milices privées gérées par des Serbes qui ont fait leurs gammes pendant la guerre des Balkans, se sont ressoudés après le conflit dans le sud de l'Italie et fonctionnent ici selon le même système hiérarchique", révèle Dominique Sistach, sociologue à l'université de Perpignan.

"Nous sommes libres"

Dans une Espagne pourtant signataire du traité du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, "le corps des femmes tient lieu de nouveau nickel, c'est la dernière mine d'or", s'indigne Alain Tarrius. "Si tu cogites sur la condition des putes quand tu couches avec elles, tu débandes aussitôt, prévient un trentenaire sur le perron du Paradise. Quand tu te régales d'un bon saucisson, tu ne penses pas au sort du cochon dans l'abattoir. Eh ben là, faut faire pareil." Dana, qui a rejoint Andrea au 2001, n'ignore rien de l'état d'esprit de la clientèle. Elle n'en sourit ni n'en pleure. "Le pire ne nous arrivera pas, c'est tout", tranche-t-elle en quêtant l'approbation de sa copine. "Nous sommes libres", s'enorgueillit Andréa. A l'image de "40 % des professionnelles de La Jonquera", précise Dominique Sistach, le tandem s'inscrit dans la cohorte des "appelées volontaires". "Contrairement aux filles arrachées par les réseaux, elles n'ont pas de souteneur mais débarquent souvent avec des petits amis, qui font office de protecteurs mais n'oublient pas de ramasser la monnaie", détaille le sociologue. Si Dana et Andrea se passent de "mac", elles n'échappent pas aux règles en vigueur dans le milieu. "Avant chaque passe en chambre, les meufs pointent leur index sur un lecteur d'empreintes digitales, raconte Malik, expert ès prostibulos, qu'il fréquente assidûment depuis quatre ans. Je ne suis pas dupe, je sais que ça permet aux gérants de quantifier leur activité et d'encaisser une commission." Cette information, José Moreno, entré "dans la carrière en vendant de l'or à toutes les tapineuses de Catalogne pendant douze ans", ne la conteste pas : "Au Paradise, nous ponctionnons à hauteur d'une marge raisonnable. Il y a des à-côtés, des faux-frais, comme dans toute affaire." Lucide sur un système qui tutoie le proxénétisme, Andrea n'en décrète pas moins qu'elle et Dana n'ont "pas de propriétaire. La seule emprise que nous ayons connue, c'est celle de la pauvreté : en Roumanie, le salaire moyen tourne autour de 150 €, et ça, c'est vraiment tragique. Quand tu ne peux ni nourrir ta famille ni valoriser tes diplômes, il faut bien une issue". Dans un français plus que parfait, Andréa souligne que, dans sa ville natale, "à Galati, on ne compte plus celles qui attendent leurs 18 ans pour aller faire des sous ailleurs. Avec Internet, on sait situer les bordels et comment postuler, on peut même se préinscrire sur les sites des clubs. Ceux qui trouvent ça triste sont des riches. Et ceux qui nous jugent sont des cons". Taquine, Dana pointe aussi "quelques idiotes" parmi ses consoeurs. "Certaines crament complètement leur capital : elles se laissent griser par le fric, la coke et l'alcool. Et vas-y que je m'habille en Armani et en Versace, et vas-y que je m'achète un diamant et que je frime grâce au dernier tatouage à la mode... Sauf qu'à la fin c'est t'as vu comme je suis débile, ruinée et coincée ici. Andréa et moi, on épargne, voilà !" Une ligne de conduite corroborée par la frugalité de leur menu. Omelette-café pour l'une, sandwich-Coca pour l'autre.

L'enfer du désir

Figure de l'espace "Privé de luxe", aile chic du Paradise, Daniela, 28 ans, mène plus grand train. Dans une nuisette de crêpe noir, cette native de Bucarest sous perfusion de vodka-tonic claque la bise à deux toutes petites vedettes du grand écran, deux acteurs nains, stars du porno ibérique, dont "les Espagnols raffolent", frétille Daniela. "Ils tournent un film chez nous, se gargarise- t-elle. Ici, c'est vraiment la classe. Il y a même une cabine de douche en surplomb du bar : je peux vous dire que, quand je vais m'y savonner à la demande des clients et que je me trémousse au-dessus de leurs têtes, ils deviennent dingues. Dans ces occases-là, je multiplie les passes et mes nuits rapportent très gros." Call-girl à Madrid puis à Barcelone, voilà pourtant Daniela échouée à La Jonquera. Itinéraire d'une dégringolade à force de rêves de grandeur et, reconnaît-elle, "d'addiction à l'argent facile". La ravissante Andréa, elle, "n'aime pas les goûts tordus des habitués du VIP" : "Je ne fais que les positions classiques et j'aligne quand même de 300 à 1 000 € par nuit. Je me donne les moyens de mes ambitions : dans deux ans, je rentre au pays, personne ne saura rien de mon passé et j'aurai un bel avenir. J'ai quand même un bac + 2 en "sécurité alimentaire". Parfois, au lit avec ces pauvres types, je pense à tous les rayons de supermarché qu'un jour j'inspecterai. On est comme ça, nous, les Roumaines : on se tient à distance !" Dana s'esclaffe. Pas question de bouder son plaisir quand Andréa tourne les clients en ridicule.

Descendu du Bourget pour un "week-end d'éclate avec son meilleur pote", David, 26 ans, croule sous les chaleureuses mais pressantes sollicitations des demoiselles du Lady's Dallas. Juke-box, podium chromé, boules à facettes, ce "bordel" historique de la Costa Brava n'a rien renié des codes des eighties. Normal, le Dallas a 30 ans. Et six jours sur sept, c'est une Fièvre du samedi soir version friponne qui s'y joue. "Quand je viens, je me mets en mode cinéma, sourit David, chauffeur-livreur de son état. Les filles simulent pour nous faire banquer, c'est tout. Un jour, l'une d'elles m'a dit qu'à La Jonquera ce n'étaient pas les ailes, mais les airs du désir qui étaient au programme. Je n'ai pas tout compris, mais j'ai trouvé ça joli." Et ce célibataire tiré à quatre épingles de vanter "la propreté des maisons closes. Dans le prix de la passe, 5 € sont dédiés à un kit hygiène : drap jetable comme à l'hosto, capote et serviette de toilette". Gérant de ces lieux un tantinet surannés, Nico, comme ses collègues du Gran Madam's ou du Paradise, dispose d'un budget "médecine galante". "Tous les quinze jours, un toubib s'assure de la bonne santé des filles", précise cet ancien producteur de pommes qu'une obscure opportunité "a poussé dans la filière du vice". Un vice auquel ce cinquantenaire à la dégaine rurale trouve quelques vertus : "Il arrive que des fils envoient leur père ici pour protéger leur mère de violences conjugales. J'ai même vu des épouses vouloir prouver leur largesse d'esprit à leurs conjoints en leur offrant une soirée au Dallas. Moi, j'ai une fille et je tomberais malade si elle vendait son corps. Mais je vois ça avec mes lunettes de privilégié : les petites de l'Est qui louent mes chambres sont souvent orientées vers La Jonquera par des soeurs ou des tantes passées ici avant elles. Certaines font même ce boulot avec la bénédiction de leurs parents, auxquels elles adressent régulièrement des mandats." Assignée au Dallas depuis huit mois, Maria, croix catholique au creux de ses seins menus, a divorcé de la colère : "C'est un sentiment de bourgeois. Moi, je viens de Brasov, au pied des Carpates, et je suis résignée à me sacrifier quelques années pour ma famille. Tous les mois, je mets de côté 300 € pour les soins de ma mère et la scolarité de mon petit frère. La Maria du Dallas n'est pas la vraie, je vaux bien mieux, même si, parfois, j'ai peur de me perdre." L'oeil sur sa montre, la frêle et diaphane Maria rejoint le bar. Ce soir, elle n'a pas encore "travaillé".

Le business de la pauvreté

"Tout ça participe du business de la pauvreté, diagnostique Nico. Quand les Balkans se prévaudront d'un niveau de vie décent, nous verrons déferler des pépettes de Chine ou d'Inde. C'est une histoire sans fin : la misère sexuelle des uns fera toujours bon ménage avec la misère tout court des autres." Et de rappeler qu'au milieu des années 70 les Espagnols, asphyxiés par l'interminable régime franquiste qui réprimait la pornographie, se ruaient dans les salles de cinéma du Roussillon pour se régaler des Emmanuelle, Histoire d'O et autres. "Aujourd'hui, la législation qui interdit les bordels et criminalise la prostitution depuis 2003 contraint les Français à l'exode sexuel." Les jeunes des quartiers forment le gros des troupes. "Pour les Arabes, la drague est compliquée, explique Malik, commercial toulousain de 27 ans. Notre réputation nous pollue les rencontres. Et puis nous, quand on tombe amoureux et qu'on gamberge mariage, on veut que la fille reste vierge. Sauf qu'en tant qu'hommes nous avons des impératifs. Les filles de La Jonquera y pourvoient, elles sont sympas et pas racistes, ça nous change." Ce qui ne change pas, en revanche, c'est la boulimie du copain de David : "Il s'est fait dépuceler par une prostituée et ne s'en est pas remis. Quand on est en virée ici, il "monte" quatre ou cinq fois par nuit ! Il préfère ça aux "plans normaux", parce qu'il ose tout, comme dans les films X." Désinhibé par la sono omniprésente, David confie qu'en réalité il est "un coeur d'artichaut". "Un grave de romantique. Dans les clubs, je ne me sens pas très à l'aise mais si je ne venais pas mes potes me colleraient une étiquette de tarlouze. Alors, je suis là. Pas à ma place mais là."

Exilée au Dallas depuis trois jours à peine, Ionela n'a pas davantage trouvé sa place. Guêpière turquoise et cuissardes surdimensionnées, cette trentenaire, mère de deux enfants laissés à Timisoara, déambule tel un zombie. "Je suis trop timide, je ne m'habitue pas, balbutie-t-elle. Je dois me forcer, je le sais, mais je crains de ne pas y arriver. En trois jours, je ne suis jamais montée. Il faut pourtant que je paie ma chambre et que je rembourse mon voyage en autobus." Cheveu en bataille et chemise froissée, l'ami de David réapparaît enfin. Il est 2 heures, il "a niqué trois fois". Gavé, repu, satisfait.

Nathalie Gathié avec Jocelyn Ramasseul

(1) Selon un sondage CSA publié le 18 mars 2010 par le Parisien, 59 % des Français sont favorables à la réouverture des maisons closes.

(2) La conseillère de Paris qui donna son nom à la loi du 13 avril 1946 imposant la fermeture des "maisons de tolérance".

(3) Migrants internationaux et nouveaux réseaux criminels, Trabucaire, 2010.

(4) La Prostitución en la España contemporanea, 2003, Marcial Pons.



France. Faut-il s'en prendre aux clients ?
MARIE HURET

Interdire, réglementer ou abolir ? La France va devoir choisir, car ses demi-mesures actuelles ne satisfont personne. Or, la tendance, c'est punir l'"acheteur d'acte sexuel".

Plus besoin de s'aventurer en Thaïlande, le tourisme sexuel commence à deux pas d'ici, chez nos voisins... Puisqu'une loi d'après-guerre (1946) bannit les maisons closes en France, les affamés de sexe discount filent le week-end dans les pays où les "clubs" sont tolérés. Aux Pays-Bas, les bordels s'appellent des "maisons d'amour". En Belgique, des "carrées". En Suisse, des "salons de massage". En Espagne, des prostibulos. Et c'est précisément à une dizaine de kilomètres de la frontière espagnole qu'a été inauguré il y a quelques semaines le Club Paradise, estampillé "plus gros bordel d'Europe". Un vaste complexe où les clients - dont une écrasante majorité de Français - peuvent se ravitailler en cigarettes, en essence et... en poupées bulgares. Près de 170 filles au compteur, en string et froufrous, y officient sans relâche (lire le reportage de Nathalie Gathié, p. 60).

Trois choix possibles

C'est là, dans ce temple de la passe industrielle, que doit se rendre du 16 au 18 février, menée par sa présidente, la députée Danielle Bousquet (PS), et son rapporteur, Guy Geoffroy (UMP), la mission parlementaire française chargée de plancher sur la prostitution en France. En un an, le groupe s'est déplacé en Suède, aux Pays-Bas, à Lyon et à Marseille. Ses propositions, très attendues et livrées en avril prochain, risquent de s'attirer les foudres de deux figures du féminisme, la philosophe Elisabeth Badinter et la juriste Marcela Iacub, qui défendent, au contraire des députés, le "libre choix" des prostituées à disposer de leur corps et refusent de diaboliser la sexualité masculine.

Car l'une des pistes privilégiées par la mission consiste à pénaliser le mâle, le client "prostituteur". Si la loi de 2002 brandit déjà cette menace, elle ne vise que les consommateurs de prostitué(e)s mineur(e)s. "La Suède a été la première, avant la Norvège, à punir le client. Il y a eu un effet mécanique, la prostitution de rue a chuté de 50 % en dix ans. Lorsqu'on diminue la demande, on diminue l'offre, souligne Danielle Bousquet. Chaque fois qu'un homme va voir une prostituée, il pérennise le système en achetant du sexe, il faut le responsabiliser."

Interdire, réglementer ou abolir ? Pour s'attaquer au commerce sexuel, la France a le choix entre trois positions. 1) La réglementation : rouvrir les maisons closes, comme l'Espagne ou l'Allemagne qui organisent la prostitution en espérant la contrôler. 2) La prohibition, comme aux Etats-Unis, qui punissent tous les acteurs, client, prostituée et proxénète ; tout est interdit, ce qui ne signifie pas qu'on applique vraiment la loi. 3) L'abolitionnisme, comme en Suède, où les clients et les proxénètes sont punis par la loi, mais pas les prostituées.

L'actuel bricolage à la française, un système mixte qui combine la posture abolitionniste avec le prohibitionnisme de la loi Sarkozy de 2003 (lire l'encadré, p. 71), déchire les féministes. "Le fait qu'on n'aborde la prostitution en France qu'en termes de genre et de domination masculine, ou, à l'inverse, de libération des femmes crispe les débats, observe l'anthropologue Catherine Deschamps, qui a cosigné Femmes publiques : les féminismes à l'épreuve de la prostitution (éd. Amsterdam). J'ai été heurtée par les discours de la plupart des associations féministes historiques qui enferment les femmes dans un statut de victimes pour mieux les faire taire."

Comme sur la plupart des questions éthiques - les mères porteuses ou le don d'ovocyte -, les oppositions se cristallisent autour de la liberté, chèrement acquise, de disposer de son corps, donc de le louer ou de le vendre.

Anti- et proabolitionnistes

Sur la prostitution, deux courants s'affrontent, les anti- et les proabolitionnistes. "C'est la femme qui doit être maître de son corps, et non l'Etat !" martèle le clan des Marcela Iacub, Elisabeth Badinter ou de la cinéaste-écrivain Virginie Despentes. Elles refusent de flanquer aux prostituées une étiquette de victimes absolues et réclament une décriminalisation totale de la prostitution. En face, le clan des abolitionnistes réfute cette vision idyllique du libre choix. Le chômage, les espoirs illusoires, les violences mafieuses sont les arguments de la philosophe Sylviane Agacinski, invitée à un colloque à l'Assemblée nationale, en février 2010, par l'association Le Nid qui se place "du côté des prostituées" mais contre la prostitution : "Une fois brisées par les traitements les plus dégradants, les femmes perdent jusqu'au sentiment de leur liberté et de leur dignité, et deviennent prisonnières du système qui les exploite." En clair, les pouvoirs publics doivent les protéger, y compris contre elles-mêmes, et même en punissant leurs clients.

Aujourd'hui, à droite comme à gauche, une même tendance l'emporte, balayant les clivages traditionnels : mieux vaut pénaliser le client que de créer des supermarchés du sexe tarifé. Invité à l'université d'été du PS à La Rochelle, Ruwen Ogien, le philosophe de l'éthique, auteur du Corps et l'argent (La Musardine), n'a pas convaincu les militants lorsqu'il leur a expliqué que "pénaliser les clients, c'est sanctionner un crime sans victime. Le but du client n'est pas nécessairement de porter atteinte à la femme qu'il sollicite". Plus de 200 auditions ont été menées sur le sujet : la pénalisation du client figure désormais dans un texte préparant le projet de campagne du PS pour 2012. "On s'attendait à une levée de boucliers, il n'y a rien eu de tout cela. Il n'y a qu'une minorité jusqu'au-boutiste pour défendre la prostitution comme une liberté individuelle, l'immense majorité veut punir l'acheteur d'acte sexuel", assure la socialiste Najat Vallaud-Belkacem, secrétaire nationale aux questions sociétales.

"La France ne fera pas l'économie d'une nouvelle loi, la traite des êtres humains à des fins d'exploitation sexuelle s'intensifie de manière plus violente, prévient le magistrat Yves Charpenel, membre de la Fondation Scelles, très impliquée dans ce combat. A Bordeaux, un juge vient de mettre en prison trois clients de prostituées mineures. Il faut aller plus loin, comme en Suède, si on ne décourage pas la demande, il y aura toujours une offre."

Pour un statut légal

Comme au PS, ce modèle suédois séduit aussi à l'UMP. "Dans ce pays chantre de l'égalité hommes-femmes, le client est interpellé au coeur du système", souligne le député UMP Philippe Geoffroy. Mais le parti au pouvoir ne ferme pas complètement le débat sur les maisons closes. Régulièrement, des femmes de droite réclament leur réouverture, Françoise de Panafieu en 2002 ou Christine Boutin en 2009. Comme 59 % des Français qui soutiennent cette idée, et même 70 % si on ne tient compte que des hommes, selon un sondage CSA. En 2010, la députée de Seine-et-Marne Chantal Brunel (UMP) crée la polémique en prônant la création de "maisons ouvertes", à l'abri des marchands d'esclaves, offrant aux travailleuses du sexe une protection médicale, juridique et financière (lire ci-contre). "C'est légaliser le proxénétisme !" s'insurge le mouvement Le Nid. A l'époque, la chercheuse féministe Tiphaine Besnard rencontre la députée UMP en tant que porte-parole du Strass, le Syndicat du travail sexuel, qui milite pour la reconnaissance d'un statut. "Chantal Brunel n'a jamais dit officiellement qu'elle nous avait consultés, confie Tiphaine Besnard. Je défends l'idée que les prostituées veulent avoir le choix, comme n'importe quelle profession libérale." Le 25 février 2010, sous la pression de Nadine Morano, alors secrétaire d'Etat à la Famille, Chantal Brunel renonce à déposer à l'Assemblée son amendement visant à supprimer le délit de racolage passif de la loi de 2003. Nadine Morano promet alors un groupe de travail avec le ministre de l'Intérieur, Brice Hortefeux : il s'est réuni une fois.

En attendant, juste de l'autre côté de la frontière espagnole, le Club Paradise prépare ses cocktails et ses 80 chambres pour ses clients français...


Les effets pervers de la loi Sarkozy
Frédéric Ploquin

C'est la pression des riverains dans les quartiers chic, relayée par des élus UMP, qui a poussé le gouvernement à changer les règles en matière de racolage. Nous sommes en 2003, la droite vient de revenir au pouvoir et Nicolas Sarkozy effectue ses premiers tours de piste au ministère de l'Intérieur. Les propriétaires d'appartement avec vue sur le bois de Boulogne en ont assez du ballet incessant des consommateurs de sexe tarifé. La période est au tout-sécuritaire, le cabinet du préfet de police croule sous les courriers à en-tête, et l'idée germe de ne plus seulement réprimer le racolage actif. "La prostitution dérangeait parce qu'elle était trop voyante", résume un pilier de la brigade de répression du proxénétisme. L'heure du ménage avait sonné. Et voilà les policiers priés de verbaliser désormais ces dames pour racolage "passif".

Au bout de quelques semaines, le résultat semble atteint. Lasses de se faire embarquer plusieurs fois par semaine, mais surtout à genoux financièrement, les filles se font discrètes. Et ne se privent pas de crier leur désarroi. Quant aux politiques, ils se frottent les mains en affichant la mine réjouie de ceux qui ont des résultats. Sur le plus long terme, c'est une autre histoire. D'abord, on verra les professionnelles reprendre peu à peu le dessus et les flics lâcher du lest, au point que le bois de Boulogne a retrouvé les couleurs d'avant. Quant à l'argument qui avait été avancé pour habiller ce texte, la possibilité pour les prostitués d'échanger une réinsertion et des papiers en règle contre la dénonciation des réseaux, elle a purement et simplement disparu des radars ! Y a-t-il eu seulement un cas concret ? Aucun des services de police concernés ne peut fournir le moindre bilan chiffré, mais on se rassure en disant que "cela pourra toujours servir"...

Cette même loi a aussi donné le top départ au développement d'une prostitution haut de gamme, avec des trottoirs et des oeillades plus virtuels que ceux de la rue Saint-Denis. Un glissement progressif vers Internet, pour une clientèle fortunée pas forcément prête à déambuler dans les rues, fût-ce l'avenue Foch.

Beaucoup plus grave, cette nouvelle législation a contribué à déplacer beaucoup de péripatéticiennes vers des quartiers plus populaires, où les riverains ne mouftent pas. Là où n'exerçaient jusque-là que des toxicomanes. Des zones bien plus dangereuses, moins éclairées aussi, où les policiers sont plus conciliants. Cette prostitution, plus sauvage, favorise l'émergence de réseaux de trafic d'êtres humains commandités depuis l'étranger, avec des filles de plus en plus jeu

© 2011 Marianne. Tous droits réservés.

3 commentaires:

sex shop a dit…

Après tout ... du moment que ce sont des décisions d'adultes consentents et majeurs, que l'hygiène y est respecté, çà ne fait de mal a personne. Le sexe est un des pivots de la société et tout ce qui peut la rendre heureuse est une avancée humaine. Ne boudons pas le plaisir sexuel.

sex-shop a dit…

C'est comme pour les cigarettes et l'aclool, il suffit de trtaverser une fontière et de pouvoitr jouir (c'est le cas de le dire) de conditions plus "open". La fermeture des maisons closes en France est une abbération, car beucoup de d'hommes sont demandeurs et c'est plus sain que la prostitution sauvage. IL reste les grands boulevards, certains sexshop pas trop regardant et la faune des sites de rencontres sexy sur le Web pou pouvoir fantasmer en France . ..

sex-shop a dit…

bon post merci