Les soulèvements de la liberté déstabilisent le consensus de Pékin.
L'accession de la Chine au rang de deuxième économie du monde devant le Japon marque le point d'orgue de ses Trente Glorieuses. En 2010, le PIB chinois a progressé de 10,3 % pour atteindre 5 878 milliards de dollars, contre 5 474 milliards pour l'archipel nippon. Depuis le célèbre mot d'ordre « Enrichissez-vous », par lequel Deng Xiaoping avait lancé ses « quatre modernisations », la production a été multipliée par 90, les exportations ont explosé pour atteindre 1 580 milliards de dollars et les réserves de change culminent à 2 850 milliards de dollars à la fin de 2010. La Chine dispose de tous les atouts pour dépasser au cours de la décennie 2020 les Etats-Unis. Cela n'implique en rien que son leadership s'exercera sans crise ni sans partage.
Face au surendettement des ménages et des Etats du monde développé, le moteur de la future croissance chinoise se situe dans la consommation intérieure et dans les nouvelles classes moyennes des pays émergents. Sous l'inflation, qui atteint déjà 5,1 %, mais plus de 11 % pour les prix alimentaires, pointent des dilemmes redoutables. D'un côté, l'emballement du crédit (7 950 milliards de yuans de nouveaux prêts en 2010) et des bulles spéculatives exige une forte hausse des taux d'intérêt, au risque de diminuer la croissance et de faire imploser un système bancaire miné par les créances douteuses. De l'autre, l'indispensable augmentation des salaires (+ 28 % pour les minima) et de la consommation (+ 19 %) menace de conforter la spirale inflationniste.
Face à un monde développé où coexistent des Etats surendettés (97 % du PIB) et des populations riches, la Chine est un pays riche peuplé d'une majorité de pauvres. Si la classe moyenne compte plus de 400 millions de personnes, 40 % de la population active continue à travailler dans l'agriculture, qui représente 12 % du PIB. Les inégalités se sont creusées, avec un rapport de 1 à 17 entre les revenus des 20 % les plus riches et des 20 % les plus pauvres (contre 9,2 aux Etats-Unis et 4,2 en France). Par ailleurs, la Chine sera vieille avant d'être riche, avec un déclin de sa population à compter de 2030 du fait de la politique de l'enfant unique et avec un senior pour quatre actifs. Tous ces éléments pèsent sur la mise en place de la protection sociale en matière de santé et de retraite, la Chine voulant à tout prix éviter la dérive de droits non financés qui caractérise les Etats-providence.
L'internationalisation du yuan ne répond que partiellement au grand écart entre le poids de la Chine d'une part, la sous-évaluation et la non-convertibilité de sa monnaie d'autre part. La gestion du yuan/renminbi obéit à un principe de souveraineté monétaire absolue. La stratégie monétaire de la Chine vise une internationalisation progressive qui s'appuie sur la dynamique de développement du Sud et échappe à toute dépendance vis-à-vis de l'Occident.
La Chine associe l'intransigeance à propos de son empire intérieur et extérieur- du Tibet à Taïwan - à une défense intraitable de ses intérêts face aux Etats-Unis ou au sein des instances multilatérales (G20, OMC, FMI, Conférence de Copenhague). Elle refuse tout engagement sur la réduction des déséquilibres ou la prévention des risques systémiques, qu'elle assimile à des contraintes sur son développement. Elle joue par ailleurs de tous les instruments de sa nouvelle puissance. Elle use de l'arme financière à travers des prêts aux pays pauvres supérieurs à ceux de la Banque mondiale (110 milliards de dollars, contre 100 depuis 2009), mais aussi par des concours aux Etats européens surendettés et le rachat d'actifs stratégiques, à l'image de la prise de contrôle du port du Pirée par Cosco.
Les révolutions tunisienne et égyptienne ravivent le spectre de Tiananmen. Le premier défi de la Chine reste politique, lié à son rapport à la liberté. En 1989, le soulèvement d'une jeunesse étudiante avide d'émancipation entra en résonance avec une hausse des prix de près de 20 % pour provoquer la révolution mort-née de Tiananmen. Aujourd'hui, la révolte des peuples s'étend dans le monde arabo-musulman. Il reste peu probable qu'elle déstabilise le total-capitalisme de Pékin. Les nouvelles classes moyennes chinoises sont confrontées au contrôle de la société par l'Etat, au verrouillage d'Internet, à la corruption. Mais la dynamique du développement et le sentiment nationaliste, tendu vers la réunification avec Taïwan, assurent la légitimité du Parti communiste. La nomenklatura déjoue le piège de l'immobilisme en renouvelant régulièrement sa direction collégiale. Le souvenir des violences de la Révolution culturelle demeure dissuasif. Cependant, les soulèvements de la liberté déstabilisent le consensus de Pékin, qui érigeait les régimes autoritaires en meilleurs alliés du capitalisme. A l'ère de la mondialisation, la liberté n'est pas un préalable au développement. A l'inverse, la croissance ne peut servir de substitut à la liberté, qui demeure à long terme le meilleur garant de la stabilité. En Chine aussi.
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