lundi 21 mars 2011

ANALYSE - La Chine sur la voie de l'impérialisme ferroviaire - Joël Ruet

Le Monde - Economie, mardi, 22 mars 2011, p. MDE3

Les projets mondiaux de lignes de train à grande vitesse (LGV) s'accélèrent depuis deux mois. La Chine se trouve au centre de ce qui est en passe de devenir une guerre technologique et financière dans ce secteur. En six ans, elle est passée à la première place mondiale, avec 7 500 km de LGV. Le XIIe plan en annonce 45 000 pour 2015 - un investissement de 450 milliards de dollars (321 milliards d'euros) -, et 85 000 pour 2020 ! Les Etats-Unis ont lancé en février un programme de 53 milliards de dollars sur lequel les entreprises chinoises partent favorites; début janvier, la Grande-Bretagne a choisi la Chine pour sa ligne Londres-Ecosse... Des consortiums chinois construisent des LGV en Turquie et au Venezuela, visent la Pologne et l'Arabie saoudite. Des accords ont été signés avec la Russie (Sibérie) et le Brésil (ligne Rio de Janeiro-Sao Paulo).

Les grandes entreprises publiques de construction ferroviaire sont les bras armés du gouvernement, même si elles ont des filiales cotées en Bourse : China Northern Railway (CNR, cotée à Shanghaï) et China Southern Railway (CSR à Shanghaï et Hongkong). CSR maîtrise la technologie du train rapide grâce à sa " digestion " du Shinkansen japonais avec sa filiale Nanche Sifang Locomotive depuis 2004, dit-on au Japon, et grâce au développement d'autres technologies provenant de partenariats entre grands mondiaux et filiales chinoises, selon la Chine. Le train de CNR, lui, aurait bénéficié de la technologie de Siemens. Si Alstom avait refusé de transférer sa technologie, tous les autres grands du secteur ont noué des partenariats avec les filiales de CSR ou CNR.

Partenariat

Mais la question du leadership technologique ne trouble pas les Etats-Unis. Ces derniers ont relevé leur programme de 8 milliards de dollars il y a un an à 53 milliards grâce au soutien des banques chinoises à la LGV de Californie, à un projet de train magnétique chinois au Nevada et, fin janvier, à l'annonce par General Electric (GE) et la CSR du transfert de la technologie grande vitesse chinoise vers les Etats-Unis. Les concurrents occidentaux de la Chine sont-ils ainsi expulsés du marché américain ? Pas nécessairement. Il existe déjà une coentreprise entre CNR et Alstom, le Qingdao Sifang Institute; le groupe français a accéléré en décembre 2010 son partenariat avec Pékin pour se positionner sur les LGV en Chine et à l'étranger.

Mais l'enjeu ultime va bien au-delà : il s'agit de savoir si la Chine refinancera le programme américain. Elle y a intérêt, pour convertir ses dollars en commandes et actifs physiques, voire en prêts en yuans - rien n'est impossible. Dans des discussions en cours avec la Thaïlande, la Industrial and Commercial Bank of China (ICBC) veut financer un train rapide; elle soutient la CNR en Malaisie et la China Railway Engineering Corporation Group, autre géant, pour 30 milliards de dollars en Afrique du Sud; elle finance déjà une ligne ferroviaire classique au Cambodge. L'Eximbank chinoise le fait au Ghana.

La banque et les chemins de fer étaient, il y a plus d'un siècle, une méthode européenne pour prendre au piège de la dette les pays qui voulaient s'industrialiser par cette infrastructure lourde. La course aux " concessions ferroviaires " dans les empires russe, ottoman et chinois mettait alors aux prises Anglais, Français et Allemands. Une banque américaine a annoncé en février le financement d'un contrat de GE au Pakistan, par un prêt bonifié aligné sur les conditions offertes par ses concurrents chinois. ICBC a répliqué en signant début mars une " ligne de crédit " de 8 milliards de dollars à la branche aéronautique du géant ferroviaire canadien Bombardier pour garantir les achats d'avions de ses clients chinois.

Au fait, même si ces entreprises sont cotées, s'agit-il vraiment de capitalisme ?

Joël Ruet est chercheur CNRS au Centre d'études français sur la Chine contemporaine (Hongkong).

© 2011 SA Le Monde. Tous droits réservés.

2 commentaires:

Jeandaljean a dit…

Je répondrai par l’affirmative à la question de savoir s’il s’agit de capitalisme.
Le problème à relever est le suivant : la Chine dans sa volonté d’accroissement de puissance, en ces temps de guerre économique, use de tous les moyens mêmes illégaux et déloyaux pour rattraper l’occident. Cette voie de l’impérialisme ferroviaire passe par les gares pillages technologiques et concurrence déloyale.

Pour aller plus loin dans le débat, je vous recommande http://chineconquerante.com

Bonne continuation

Anonyme a dit…

En 1990 je travaillais sur un projet de recherche à la SNCF.
Le projet ASTREE ( Automatisation et suivi des trains en temps réel ) a mobilisé une centaine de personnes pendant 10 ans.
Finalement, pour des raisons "politiques" ( Disparité Européenne ) le projet n'a jamais vu le jour.
Je me souviens très bien qu'une délégation Française était partie en Chine pour y négocier une ligne TGV avec transfert de savoir-faire.
Nous en étions très étonnés.
20 ans après, on se prend la bétise de nos décideurs en pleine poire.