Facebook. L'influence de Mark Zuckerberg s'étend des révolutions arabes à la table d'Obama. Enquête.
Mark Zuckerberg a un nouveau voisin. La cinquantaine, petite moustache, break gris banalisé... Dès qu'un véhicule s'approche d'Amherst Street, paisible ruelle de Palo Alto, à une demi-heure de San Francisco, Mike replie en un clin d'oeil son journal pour se jeter sur son talkie-walkie. Il y a encore un mois, il faisait dans l'accompagnement de fourgons blindés. Maintenant, il est en poste devant la résidence de Zuckerberg. Tout ça parce que, depuis février, Pradeep Manukonda, un Californien de 31 ans, se rendait régulièrement devant le domicile du patron de Facebook, affirmant qu'il était « prêt à mourir pour lui ». Cet halluciné a désormais interdiction de se tenir à moins de 300 mètres de l'intéressé. Voilà comment Zuckerberg fait l'objet d'une surveillance 24 heures sur 24. Une forme de reconnaissance. Enfin, à 26 ans, le milliardaire est pris au sérieux !
Facebook, l'entreprise de Zuckerberg, n'est-il pas le dernier endroit chéri des VIP ? Une visite au siège, au 1669 California Street, à 200 mètres de la résidence du boss, est édifiante. Il n'est que 7 h 30 ce vendredi quand déjà une limousine se présente au poste de sécurité. Cinq autres suivront avant le déjeuner. Le 19 janvier, la pop-star Katy Perry avait poussé la chansonnette, quatre mois après le rappeur Kanye West. Le 29 novembre, Bush, venu y présenter ses Mémoires, racontait les piques échangées avec Poutine à propos de leurs chiens. Pour sa part, Obama n'a pas hésité : quand, le 17 février, il a dîné avec les pontes de la Silicon Valley, il n'a placé à sa droite ni Larry Ellison (Oracle) ni Eric Schmidt (Google), mais bien Mark Zuckerberg, le plus jeune de la tablée...
Zuckerberg ? Le « patron high-tech le plus mal habillé du monde », selon les lecteurs d'Esquire. Lui qui, il y a sept ans, ne pouvait parler à une fille que derrière un écran d'ordinateur tient sa revanche. C'est parce qu'il était refoulé des soirées de Harvard qu'il a lancé un trombinoscope géant.
Maître du monde. Aujourd'hui, son site, toujours pas coté en Bourse, est valorisé à plus de 65 milliards de dollars, montant déduit de l'offre récente faite par General Atlantic, un fonds d'investissement, d'acquérir 0,1 % des parts de Facebook. Pas étonnant que l'on atteigne pareils sommets : aux Etats-Unis, les internautes passent plus de temps sur Facebook que sur Google. D'Hermès à Air France, plus aucune entreprise ne conçoit de marketing sans lancer sur Facebook, ici, un concours, là, des promos à destination d'une communauté de fans. Mieux même, certaines entreprises n'existeraient pas sans Facebook. C'est le cas de l'éditeur de jeux conçu pour le réseau social Zynga (1 500 employés après quatre ans).
Elu « homme de l'année » par Time, Zuckerberg ajoute le pouvoir à la richesse. Sorte de chef d'Etat en tee-shirt. Cette consécration n'est-elle pas arrivée trop vite ? A la mi-décembre, on le voyait encore siffler des Budweiser à l'Antonio's Nut House, un bar de Palo Alto où le sport national consiste à décortiquer des cacahouètes. Aux toilettes, des blagues potaches -« Prière de ne pas jeter les cigarettes dans la cuvette, cela leur donne mauvaise haleine ».« Un jour, il est même passé derrière le comptoir », se souvient José, serveur depuis quinze ans. Depuis, une poignée d'admiratrices fait chaque week-end le pied de grue en espérant claquer une bise au nouveau maître du monde.
Mark Zuckerberg est aussi devenu une star au Moyen-Orient. Parce qu'il était révolté par la mort d'un jeune Egyptien tabassé à mort par les autorités, Wael Ghonim a créé une page sur Facebook baptisée « Nous sommes tous des Khaled Saïd ». Cette page a recueilli plus d'un demi-million de messages de soutien...« Avec Facebook, je me suis rendu compte que je n'étais plus seul », a expliqué Ghonim, qui, avant la chute d'Hosni Moubarak, a passé onze jours derrière les barreaux pour son acte de « cyberdissidence ». Depuis, il veut à tout prix rencontrer Zuckerberg...« Si vous voulez mettre en place un plan Marshall pour le Moyen-Orient libre, n'envoyez pas de nourriture, mais de la bande passante », s'enflammait début mars Jeff Jarvis, professeur de journalisme à l'université Columbia.
Le voisinage de Zuckerberg ne ressemble ni à Beyrouth ni à Grosny. La maison qu'il loue près de 10 000 dollars par mois se trouve à proximité du campus arboré de Stanford, paradis des écureuils. Le dimanche, quand il se rend en sandales au marché bio Farmer's Market, il lui arrive de croiser Terri Hatcher, la Susan de « Desperate Housewives », ou Condoleezza Rice, l'ancienne prêtresse de la diplomatie américaine. A bord de sa berline Acura noire, il lui faut moins d'un quart d'heure pour se rendre chez Steve Jobs, avec lequel il a parlé mi-octobre de l'intégration de Facebook dans Ping, un service musical de la firme à la pomme. Dès qu'il le peut, Zuckerberg se réfugie au Lotus Thai Bistro, modeste restaurant sur California Avenue.
Sur une table au fond à droite, il y déguste un poulet à la mangue en compagnie de sa petite amie, Priscilla Chan. L'ex-étudiante en biologie rencontrée il y a six ans à Harvard (et qu'il a depuis recrutée dans sa firme) lui a fait jurer de lui consacrer chaque semaine cent minutes d'affilée. En tête-à-tête, hors du bureau et de la maison.
Croisade. L'ordinateur du patron de Facebook reste toujours branché, comme s'il cherchait en permanence à repousser les limites de son site. Facebook est un « pays » avec 600 millions de « citoyens ». Sur le site, on peut s'envoyer des courriels sans passer par les Yahoo !, Gmail ou autres MSN. Il y a trois mois, Facebook a lancé BranchOut. L'idée ? Supplanter le site de relations professionnelles LinkedIn. Ces jours-ci, il s'attaque à la vidéo : Warner lance aux Etats-Unis un service de vente de films que l'on pourra payer grâce aux Facebook credits, une monnaie virtuelle. Bref, tout est fait pour que, une fois choisi Facebook, on n'ait plus à en sortir.
Résultat, les revenus publicitaires sont passés de 775 millions de dollars en 2009 à 2 milliards en 2010, et l'on s'attend à une progression à trois chiffres cette année. Symbole de cette expansion débridée : la société va déménager en juin à Menlo Park, à moins de 5 kilomètres du siège actuel, dans les anciens locaux de Sun Microsystems, où elle disposera de plus de 100 000 mètres carrés.
C'est là que Facebook va poursuivre son offensive. Son service est déjà disponible sur les dernières télévisions LG et Samsung. Et Zuckerberg veut mettre le paquet sur les appareils mobiles. Déjà, dans le monde, 200 millions de personnes utilisent Facebook sur leur téléphone portable.« Le téléphone va vous appeler davantage que vous ne vous en servez pour appeler », s'enthousiasme Henri Moissinac, le Français qui gère tout le développement mobile du site californien. Un petit exemple ? Grâce à la géolocalisation, un restaurant sera en mesure de vous faire des offres au fur et à mesure que vous vous en approcherez. Facebook veut s'imposer aussi dans la cuisine.
« Des marques d'électroménager réfléchissent à intégrer une fonction Facebook sur les frigos : alors que vous recevez des amis à dîner, vous déciderez quels plats préparer en fonction des ingrédients qu'ils aiment », explique Christian Hernandez, responsable des partenariats chez Facebook. La voiture et l'avion sont aussi dans le collimateur de l'entreprise...
Une seule terre de conquête lui résiste pour l'instant : la Chine ! Tout n'est peut-être pas perdu. La petite amie de Zuckerberg, Priscilla Chan, d'origine chinoise, pourrait l'aider à y mettre un pied. Depuis qu'elle s'est installée chez lui en octobre, il étudie le mandarin tous les jours. En décembre, les deux tourtereaux sont partis parcourir la Chine. A Pékin, accompagné de Priscilla, il a déjeuné à la cantine de Baidu, le Google chinois, avec son grand patron, Robin Li. Apparemment, il n'est pas rebuté par la concurrence locale, qui devrait pourtant lui donner du fil à retordre. Avec Renren, qui s'apprête à entrer au Nasdaq, la Chine a déjà son Facebook.
Pour mobiliser ses troupes, Mark Zuckerberg veille sur l'ADN de son entreprise. A l'entrée du siège de Facebook, un panneau « HACK » incite les employés à rester hors des sentiers battus, tout comme le cri de guerre « Move fast and break things »(« Aller vite et briser les tabous ») placardé au mur. Les clins d'oeil à la contre-culture sont omniprésents, à l'instar des références à Thor, un superhéros vengeur des BD Marvel Comics du début des années 60. Le thème de la bar-mitsva de Mark n'était-il pas « Star Wars », une autre référence chez les geeks ? Bousculer donc, au risque de choquer; il y a encore trois ans, on pouvait lire sur sa carte de visite : « Je suis le PDG, garce ! »
Assurance. Et si Zuckerberg était trop sûr de lui ? Jouissant d'une position inexpugnable en possédant 25 % du site, il sous-estime peut-être les embûches. Ses rivaux ont l'arme au pied. Google, qui peut compter sur Android, ne le laissera pas s'emparer du gâteau du mobile sans coup férir. Des « bébés Facebook », comme le site de questions/réponses Quora, fondé par des transfuges, sont en embuscade... Le danger, c'est qu'il se laisse griser par son irrésistible réussite. Zuckerberg, qui a eu le beau rôle au Proche-Orient, sera montré du doigt à chaque dérapage. Ce fut le cas en septembre quand un pasteur de Floride a appelé sur Facebook à brûler des exemplaires du Coran. De même, est-il normal qu'au nom des bonnes manières le tableau de Courbet « L'origine du monde » soit banni du réseau social ?
Mark Zuckerberg reste muet. Sûrement pas par ignorance. Le timbre rentré de sa voix croqué dans le film « The Social Network » ne doit pas tromper : « Zuck » est tout sauf un benêt. De son enfance à Dobbs Ferry, banlieue chic de New York, ce fils d'une psychiatre et d'un dentiste a hérité d'une éducation classique. L'ancien amateur d'escrime lit le français, le grec ancien, l'hébreu et le latin. Il est fasciné par « L'énéide », de Virgile, dont il a récité un passage lors d'une réunion d'investisseurs. Sera-t-il aussi persévérant qu'Enée, qui a trouvé le bonheur après des années de combat sans merci ? Lui pense qu'il n'est qu'au début de son épopée.
Attention, intox !
Sur Facebook, le risque de perdre le contrôle de son compte est réel. Le 8 juillet, un message attribué au top-modèle Irina Shayk annonçait son mariage avec Cristiano Rinaldo : une « farce ». Le 23 janvier, une brève postée sur la page officielle de Nicolas Sarkozy annonçait qu'il ne se représenterait pas en 2012 : l'oeuvre d'un pirate... Enfin, Mark Zuckerberg a fait lui-même les frais d'un détournement d'identité. Le 26 janvier, un message annonçait sa volonté de transformer Facebook en coopérative : absolument pas à l'ordre du jour.
Il aime
Les « carnitas » : sandwichs au porc braisé, servis avec du guacamole.
Les « hacklatons » (contraction de « hack » et « marathons ») : compétitions de hackers.
Le « giving pledge » : initiative lancée par Gates et Buffett qui recommande de donner la moitié de sa fortune.
Il n'aime pas
Le film « The Social Network », qui le dépeint comme un être asocial.
Les frères Winklevoss, qui lui réclament de l'argent parce qu'ils revendiquent l'idée du site.
Qu'on publie des photos non autorisées de lui.
Les haricots.
Les précédents "maîtres du monde"
Lou Gerstner
IBM, créé en 1911 Patron de 1993 à 2002. On reprochait à « Big Blue » de vouloir acheter la planète à force d'acquisitions. Effectifs actuels : 400 000 salariés
Bill Gates
Microsoft, fondé en 1975 A dû affronter des procès à répétition pour abus de position dominante par l'UE et les Etats-Unis au milieu des années 90. Effectifs actuels : 89 000 salariés
Steve Jobs
Apple, fondé en 1976 Ses détracteurs regrettent le système fermé qu'il a créé autour de ses smartphones et ses tablettes. Effectifs actuels : 49 400 salariés
Larry Page
Google, fondé en 1998 On lui reproche, ainsi qu'à Sergey Brin, cocréateur de Google, de vouloir contrôler l'information du monde. Effectifs actuels : 20 000 salariés
Facebook en chiffres
2 000 employés
65 milliards de dollars de valorisation (+ 40 % en deux mois)
600 millions d'utilisateurs réguliers Principaux investisseurs : Digital Sky Technology, Goldman Sachs, General Atlantic
6 C'est le nombre de «milliardaires Facebook ». Quatre dirigeants ou cofondateurs (dont Zuckerberg, avec 13,5 milliards de dollars) et deux investisseurs bien inspirés.
Ordinateur : 400 millions d'utilisateurs
Téléphone mobile : 200 millions d'utilisateurs
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