mercredi 2 mars 2011

MÉDIA - Un CNN à la chinoise - Pierre Luther


Le Monde diplomatique - Mars 2011, p. 20 21

Pékin cherche à concilier puissance et stabilité

Si l'on définit le soft power comme le pouvoir d'influencer les idées et les comportements, l'information et sa diffusion à l'échelle mondiale en sont une composante stratégique. Par le biais d'accords de coopération et de mises à disposition gratuites de dépêches d'actualité, d'articles et de programmes radiophoniques ou par l'implantation de médias, la République populaire de Chine (RPC) a lancé une offensive de séduction, de prestige et d'omniprésence dans de nombreux pays où, faute de moyens et d'envie, les anciennes grandes puissances s'effacent.

Ainsi, CNC World, la chaîne d'information continue en langue anglaise de l'agence de presse Xinhua (Chine nouvelle), a été lancée le 1er juillet à Pékin. Diffusée par câble, par satellite, par Internet et sur téléphone mobile, elle a pour objectif, selon son directeur Li Congjiun, de " présenter une vision internationale avec une perspective chinoise ". En somme, de concurrencer l'américaine Cable News Network (CNN) et la British Broadcasting Corporation (BBC). CNC World promet d'être présente sur tous les continents et de s'enrichir de journaux en langue japonaise, russe, portugaise, arabe et française.

La chaîne est née après l'annonce par le gouvernement chinois, en janvier 2009, d'un projet estimé à 6 milliards de dollars concernant trois organes d'information : China Central TV (CCTV), l'agence Xinhua et People Daily, la version internationale en langue anglaise du Quotidien du peuple. Une aide motivée par le souci d'améliorer l'image de la Chine à l'étranger et de mieux faire porter la voix de Pékin. Tous ces médias dépendent en effet exclusivement du gouvernement central, à travers le bureau de l'information du Conseil d'Etat dont ils ne sont que des outils.

Nuance de taille par rapport aux médias occidentaux - fussent-ils financés par la redevance publique et leurs responsables nommés par le pouvoir -, leur ligne éditoriale est une pure émanation des orientations diplomatiques gouvernementales.

L'objectif de Pékin est d'investir tous les marchés de la planète pour y diffuser ses informations, sans contrainte de rentabilité. Cela concerne aussi la radio, notamment en Afrique, où elle représente le premier moyen d'information de la population. Le 27 février 2006, à Nairobi - la capitale du Kenya où se trouve depuis 1987 le principal bureau africain de Xinhua -, Radio China International (RCI) inaugurait, à plus de cinq mille kilomètres de Pékin, une station diffusée sur la bande FM en chinois, anglais et swahili.

Des programmes en français, en langues locales et en mandarin

Ce relais de la Chine à l'étranger était le premier d'une centaine d'autres appelés à prendre place sur les ondes mondiales. RCI allait aussi, en août 2010, ouvrir des antennes à Dakar (Sénégal) et à Niamey (Niger), avec comme objectif, à terme, des programmes en français, en chinois et dans les langues locales.

En Afrique, c'est désormais à travers les informations transmises par la dizaine de correspondants du bureau de Xinhua à Bruxelles que l'on s'informe sur les décisions des instances européennes. Mieux : c'est de plus en plus à travers Xinhua et grâce à ses dizaines d'accords de partenariat que les Camerounais suivent les événements survenant au Tchad, les Congolais en Tunisie, les Zimbabwéens au Sénégal...

Cette coopération place le regard chinois - et son approche " pragmatique " l'incitant par exemple à s'abstenir au Conseil de sécurité des Nations unies lors du vote de résolutions contre le Soudan à propos du Darfour (1) - au centre de la vie politique de l'Afrique, ainsi que de la plupart des pays les moins avancés d'Asie ou d'Amérique du Sud. Charme de cette " coopération Sud-Sud entre pays en voie de développement " : il n'est pas question d'exercer une quelconque ingérence, et moins encore de donner de leçons de bonne gouvernance, que ce soit sur les droits humains, la corruption, les normes environnementales ou le droit du travail.

L'armée des " petites mains " que sont les journalistes des médias chinois de l'extérieur sont recrutés moins pour leurs compétences professionnelles que pour leur fidélité au régime. Ils jouent le rôle à la fois d'agents de renseignement et de représentants de l'empire, promoteurs d'une " coopération mutuellement bénéfique " et porte-voix des discours officiels.

" Ici, si tu veux que les journalistes se déplacent à ta conférence de presse, il faut leur faire un cadeau. " Président d'une association à Bamako (Mali), et peu désireux qu'on le cite nommément, Amadou évoque ainsi les enveloppes remises aux journalistes avec les communiqués de presse, qu'ils reproduiront dès lors bien volontiers. Quel journaliste demandant une autorisation de reportage ou sollicitant une interview en Afrique ne s'est-il jamais vu demander combien sa prestation serait facturée ?

Grande habituée de ce mélange des genres, la presse africaine et panafricaine est depuis toujours abonnée au bricolage des chiffres de vente, aux " entretiens exclusifs " qui sont autant de publireportages déguisés. Une pratique " gagnant-gagnant " - pour ne pas prononcer le mot de corruption - que les organisations professionnelles de la presse du Niger et du Sénégal ont décidé de dénoncer, en septembre 2010 : rappelant aux directeurs des journaux que c'est à eux de payer leurs employés, elles réclament la fin du versement aux journalistes, par le secteur tant privé que public, de per diem ou de " frais de transport ".

Un bureau du " Quotidien du peuple " au Nigeria

Mais ce panorama peu reluisant, pour partie hérité de la " Françafrique ", où les médias réellement indépendants se comptent sur les doigts de la main, est en passe d'être remplacé par un autre, guère plus brillant : celui de la " Chinafrique ". Les médias africains sont désormais alimentés à jet continu par l'agence Xinhua, forte de ses dix mille salariés, dont environ cent cinquante correspondants sur le continent.

Au Togo, où les relations avec la Chine sont au beau fixe, un accord de partenariat lie depuis 2007 le portail officiel de la république à l'agence Xinhua. Cette dernière a conclu des ententes similaires avec la Tunisie, le Maroc, l'Algérie, le Cameroun, le Congo, le Gabon, le Burundi, la Syrie, l'Egypte... et des dizaines d'autres pays, dont elle est ainsi devenue l'une des principales sources d'information. Au total, Xinhua diffuse environ mille dépêches par jour, en sept langues (chinois, anglais, français, espagnol, arabe, russe et portugais), à destination de ses abonnés à travers le monde. Elle transmet aussi des articles et reportages à des journaux édités dans cent cinquante pays, échange des photos avec des dizaines d'agences de presse et fournit à ses abonnés un service informatique clés en main.

Images de télévision et reportages radio commencent également à faire l'objet de programmes d'échanges. L'enjeu n'est pas tant la possibilité pour des agences africaines ou arabes exsangues de voir leurs informations reprises en Chine que pour la Chine de bénéficier en Afrique de canaux lui permettant de diffuser sa vision du monde.

Alors que l'Afrique est quasi absente des journaux occidentaux, la version grand public du site en langue française de l'agence Xinhua place le continent en troisième position, après les rubriques " Chine " et " Monde ". Derrière viennent les rubriques " Economie ", " Culture ", " Sports ", " Société et santé ". En août dernier, Le Quotidien du peuple ouvrait un bureau à Abuja, la capitale du Nigeria. Son site y publie désormais, en plus d'articles sur la vie politique et économique nigériane, l'ensemble des résultats des matchs de football... Le ballet incessant des séminaires auxquels sont conviés aussi bien les journalistes que les fonctionnaires africains a autant pour but de conquérir de précieux alliés que de créer des relations interpersonnelles qui aideront à mettre une sourdine aux protestations populaires que les pratiques des entreprises chinoises déclenchent désormais régulièrement dans les pays où elles s'implantent.

Fondée en 1959, l'Agence de presse sénégalaise (APS) est considérée par l'Organisation internationale de la francophonie (OIF) comme la plus consultée dans les pays francophones d'Afrique de l'Ouest. Ses partenaires : International Islamic News, organe de la Conférence islamique mondiale basé en Arabie saoudite, la Fondation Konrad- Adenauer, dans le cadre de son programme d'appui à la démocratie, l'OIF et désormais l'Agence Chine nouvelle, Xinhua News.

De son côté, l'Agence de presse africaine (APA), première agence privée du continent, basée à Dakar, recevait de l'ambassade de Chine au Sénégal, en octobre 2009, un appui institutionnel financier de 6 millions de francs CFA (9 000 euros), sous la forme d'une caméra de télévision et d'un abonnement de soutien à ses services. Un premier pas visant peut-être à s'attirer un regard positif de la part de ce concurrent des médias officiels ?

Toujours plus de correspondants pour l'agence Xinhua

Chine nouvelle - qui, avant 1949, s'appelait l'Agence rouge d'information de Chine - est loin d'être une agence de presse comme les autres. Considérée dans son pays comme " les oreilles, les yeux, la gorge et la langue du Parti (2) ", elle y conserve le monopole absolu de la diffusion des nouvelles et dépend totalement des autorités pour fonctionner, avec un rang équivalent à celui d'un ministère. Sans vocation commerciale - à la différence des agences de presse mondiales que sont l'Agence France-Presse (AFP), la britannique Reuters et l'américaine Associated Press (AP) -, elle remplit donc une fonction stratégique de premier plan.

Si l'AFP couvre cent soixante-cinq pays, avec cent dix bureaux et cinquante correspondants, si Reuters dispose d'un réseau de près de cent cinquante correspondants et l'AP de bureaux dans soixante-douze pays, Xinhua comptait cent bureaux de correspondants en 2009 et cent trente en juillet 2010. Une stratégie d'expansion continue qui, selon Newsweek, devrait la faire passer à terme à quelque six mille journalistes à l'étranger (3).


(1) Philip S. Golub, " La Chine, l'Iran et le Conseil de sécurité de l'ONU ", La valise diplomatique, 15 avril 2010.
(2) Wang Heyuan, " A quoi servent les publications internes de l'agence Xinhua ? ", Perspectives chinoises, n° 5-6, Hongkong, 1992.
(3) Isaac Stone Fish et Tony Dokoupil, " All the propaganda that's fit to print ", Newsweek, New York, 3 septembre 2010.

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