Nul n'ignore la montée en puissance militaire de la Chine, mais celle du Japon reste, elle, plus discrète. Elle n'en est pas moins réelle : Tokyo occupe le septième rang mondial pour les dépenses d'armement (au même niveau que l'Allemagne), juste derrière la Russie, le Royaume-Uni, la France, la Chine et surtout les Etats-Unis, champion toutes catégories. Officiellement, les dépenses nippones ne doivent pas dépasser 1 % du produit intérieur brut (PIB) ; mais les gouvernements successifs s'arrangent avec les chiffres. Ainsi, les coûts des garde-côtes - essentiels pour une île - sont comptabilisés à part, tout comme les pensions de retraite des militaires... Selon Edouard Pflimlin (1), qui décrit le processus de remilitarisation de l'Archipel, le budget militaire approcherait 1,5 % du PIB. Certes, on est loin du Japon des années 1930, mais le retour du militaire est patent : le budget représente le quatrième grand poste de dépenses de l'Etat, derrière la sécurité sociale, le bâtiment et les travaux publics, l'éducation et la science.
Plusieurs éléments expliquent ce revirement : le sentiment d'insécurité lié à des voisins armés jusqu'aux dents (Chine, Corée du Nord et même Corée du Sud) ; les conflits territoriaux toujours pas réglés (avec la Russie, les îles Kouriles du Sud, appelées Territoires du Nord par le Japon ; avec la Chine, les îles Diaoyu, nommées Senkaku...) ; la recherche d'un plus grand poids sur la scène asiatique - et même internationale - ainsi que la volonté de s'émanciper des Etats-Unis. Toutefois, comme le montre Pflimlin, l'alliance avec Washington reste fondamentale.
Ce sont soixante-cinq ans de politique japonaise de défense que décortique Guibourg Delamotte, spécialiste des questions de défense et chercheuse invitée au National Institute for Defense Studies au Japon (2). Elle commence par la Constitution de 1947, qui, contrairement à l'idée généralement admise, ne peut être réduite à une " Constitution américaine " imposée par le général MacArthur. Dès le début, montre-t-elle, les élites japonaises, réintégrées malgré leur participation ou leur soutien à la guerre, sont partie prenante des débats, notamment en ce qui concerne le fameux article 9, qui précise : " Le peuple japonais renonce à jamais à la guerre en tant que droit souverain de la nation. " Ce qui éclaire d'un jour différent la politique actuelle.
Comment le premier pays au monde à consacrer le pacifisme peut-il se retrouver avec un budget qui le propulse parmi les dix pays les plus militaristes de la planète ? Delamotte insiste sur la rupture qu'a représentée la guerre de Corée (qui éclate en juin 1950). " La guerre froide a fait passer le Japon du statut d'ancien ennemi à celui d'allié ", souligne-t-elle. Ce rôle survivra à la fin de la guerre froide et se renforcera avec l'arrivée fracassante de la Chine sur la scène internationale. Petit à petit, l'armée japonaise va se fortifier à l'intérieur et intervenir à l'extérieur.
L'ancrage américain ne s'est jamais démenti. Pour avoir cherché à s'en émanciper quelque peu, en promettant de réduire les bases d'Okinawa, le premier ministre Hatoyama Yukio a essuyé la colère des Etats-Unis, avant d'être contraint à la démission en juin 2010. Quant à l'article 9, il a fait l'objet de multiples interprétations, mais aucun dirigeant n'a pu l'abroger. " Le Japon, conclut Delamotte, est en quête de reconnaissance ; il recherche, comme par le passé, la juste puissance, sans parvenir à la définir. "
C'est également ce que montre la chercheuse Régine Serra (3), qui élargit le propos à l'ensemble de la politique étrangère. Si l'alliance avec Washington constitue le coeur de la diplomatie japonaise, Serra met l'accent sur les tentatives nippones de jouer sur " l'Asie pour exister face aux Etats-Unis " et sur " les Nations unies pour exister globalement ". A l'intérieur comme à l'extérieur, le Japon cherche sa voie.
(1) Edouard Pflimlin, Le Retour du Soleil levant. La nouvelle ascension militaire du Japon, Ellipses, Paris, 2010, 220 pages, 19,50 euros.
(2) Guibourg Delamotte, La Politique de défense du Japon, Presses universitaires de France, Paris, 2010, 330 pages, 28 euros.
(3) Régine Serra, Le Défi japonais, André Versaille éditeur, Bruxelles, 2011, 138 pages, 17,90 euros.
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