La Croix, no. 38910 - Evénement, jeudi, 3 mars 2011
La police chinoise de l'Internet surveille, pour les réprimer,tous les appels à la mobilisation qui circulent sur le Web
«Je redoute de ne plus pouvoir boire du thé au j. et qu'on nous force à ne plus boire que du thé rouge. » Yu Zhang n'ose même pas écrire le mot « jasmin » en entier, de crainte d'être repérée par la police chinoise d'Internet, en référence à la « révolution du jasmin » en Tunisie. Cette dessinatrice graphiste de Chengdu, capitale de la province du Sichuan, ne s'est pas rendue dimanche dernier sous la statue de Mao Zedong en centre-ville, où étaient appelés à manifester « les travailleurs sans emploi et les victimes des expulsions forcées afin de réclamer liberté, démocratie et réformes politiques ». Ces messages sur le Net, envoyés par la dissidence chinoise à l'étranger, ont provoqué la mobilisation générale... de la police antiémeute dans les grandes villes de Chine.
« Ces appels à manifester proviennent de tout un réseau de l'opposition chinoise hors du pays et ont aujourd'hui une multitude de relais à l'intérieur, assure Marie Holzman, sinologue, présidente de Solidarité Chine. La résistance civile s'exprime aujourd'hui au grand jour à travers les avocats, les chrétiens, les journalistes, les ONG, les militants pour l'environnement... »
À la question de savoir si ces appels peuvent cristalliser les mécontentements populaires provoqués par une forte inflation, de choquantes injustices et des inégalités sociales de plus en plus frappantes, Marie Holzman répond avec prudence : « Nous sommes dans la même incertitude que la Tunisie il y a deux mois. Il faudrait un élément déclencheur. À voir la réaction immédiate du premier ministre Wen Jiabao, qui a appelé à respecter "la dignité du peuple et à lutter contre les injustices", il y a une grande nervosité au sommet du régime.»
Ingénieur dans une usine de batterie à Dongguan, dans la riche province du Guangdong, Liao Toby s'affole de voir « les prix de l'immobilier exploser, tout comme les charges, le chauffage ou même les billets de train. Mais les gens ne vont pas manifester, car c'est interdit. Ils vont critiquer dans la sphère privée, de peur d'être arrêtés. »
Les organisations de défense des droits de l'homme ont confirmé l'arrestation, la mise en résidence surveillée ou la disparition d'une centaine de militants chinois de Pékin, Shanghaï et des provinces du Zhejiang, du Guizhou, du Sichuan et du Hunan. « Le régime réprime ceux qui sont en première ligne pour faire peur à tous les autres », explique encore Marie Holzman. Le quotidien très nationaliste Global Times accusait hier, dans son éditorial, la presse étrangère de « prendre ses désirs pour des réalités en imaginant un chaos en Chine » après le monde arabe.
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