mardi 22 mars 2011

Querelles sémantiques et sociales sur le luxe à Pékin

Le Monde - Economie, mercredi, 23 mars 2011, p. 22

Banni des écrans. Tout ce qui vante un style de vie opulent et le vocabulaire qui s'y affère, comme " luxe ", " suprême ", " royal ", voire " classe ", est désormais interdit dans les campagnes d'affichage à Pékin, a rapporté, lundi 21 mars, le quotidien China Daily. Querelle sémantique ? Refus orthodoxe de toute inflation du vocabulaire ? Pas vraiment. L'avis est motivé par des raisons sociales : de tels (gros) mots créent un climat " malsain ", affirme l'Administration de Pékin pour l'industrie et le commerce, et risquent d'aggraver le fossé grandissant entre riches et pauvres.

L'Administration a donné aux annonceurs un petit délai, jusqu'au 15 avril, pour corriger leurs publicités litigieuses et cesser enfin " la promotion de l'hédonisme " et du " culte des produits étrangers " dans la capitale. Les réfractaires risquent tout de même une amende pouvant aller jusqu'à 3 400 euros.

La Chine est pourtant devenue l'endroit de la planète le plus couru des grands noms du luxe : Louis Vuitton, Chanel, Cartier, Prada, Gucci y réalisent une expansion spectaculaire et devraient encore progresser de 25 % par an dans les prochaines années, selon le Boston Consulting Group. En 2010, les géants du secteur - LVMH, le pôle luxe de PPR ou Richemont - y réalisaient entre 25 % et 34 % de leur chiffre d'affaires. Le Crédit lyonnais Securities Asia affirme sans hésiter que la Chine deviendra le premier marché mondial du luxe dans les dix prochaines années.

Heureux hasard, le philosophe Yves Michaud expliquait quant à lui lundi, lors d'une intervention au centre du luxe et de la création à Paris, combien " les maisons de luxe empruntent au vocabulaire du sacré. Elles parlent de temple (pour un magasin), de créateur (pour un couturier), d'icône (pour un sac à main ou un produit qui se vend bien), de vénération "...

Toutes les grandes griffes bâtissent leur réputation sur des histoires anciennes et cherchent à en faire des mythes. La recette des " attracteurs symboliques " que sont ces histoires, ces logos, ces noms, fonctionne à merveille. Trop parfois. Quand John Galliano, le designer déchu de Dior, faillit, il " est jeté à la lapidation ", affirme le philosophe.

Le jésuitisme des publicitaires permettra sans nul doute de contourner ce nouvel interdit : l'hédonisme étant un corollaire du luxe, il suffira de suggérer, faire rêver, montrer les objets du désir. Sans les qualifier. Ce qui sera sans doute aussi efficace qu'aujourd'hui.

Nicole Vulser

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