mardi 12 avril 2011

ANALYSE - Le printemps arabe rend Pékin nerveux - Jean-Pierre Cabestan


Le Figaro, no. 20743 - Le Figaro, mardi, 12 avril 2011, p. 14

Pour l'auteur, professeur à la faculté baptiste de Hongkong, la « révolution de jasmin » n'est pas pour demain, mais l'avenir politique de la Chine reste très ouvert.

Alors que la fin du régime Kadhafi approche, le gouvernement chinois redouble sa répression de toute dissidence politique. Les « révolutions du jasmin » du monde arabe seraient-elles contagieuses ? La nervosité même des autorités suscite un certain nombre d'interrogations.

La Chine n'a-t-elle rien à voir avec le Moyen-Orient ? Les différences entre la situation des deux régions sont évidentes. Le Moyen-Orient traverse des difficultés économiques et une crise sociale grave, alors que la Chine « surfe » au sommet de trente années « glorieuses » de sortie de la pauvreté, d'enrichissement et de montée en puissance. L'un est en général dirigé par des dictatures personnelles, alors que l'autre est piloté par un « conseil d'administration » certes coopté mais régulièrement renouvelé. L'un est gangrené par des mouvements d'opposition souvent souterrains, l'autre a empêché l'apparition d'une quelconque force organisée de contestation. C'est pourquoi les sociétés arabes sont en général pessimistes, alors que la chinoise est foncièrement optimiste. Toutefois, la direction du Parti communiste chinois a raison de s'inquiéter. Le printemps arabe a suscité un véritable intérêt en Chine, en particulier au sein de la jeunesse. Le pouvoir craint clairement la possible fusion entre une revendication démocratique en partie inspirée de l'extérieur et des exigences économiques, sociales mais aussi en matière de bonne gouvernance chaque jour plus fortes. En effet, l'insoluble corruption et le népotisme croissant de la classe dirigeante communiste, le creusement sans précédent des inégalités sociales, l'augmentation rapide du coût de la vie, et l'accroissement du chômage, notamment parmi les diplômés de l'université, constituent autant de ferments connus et durables de tensions sociales.

Lors de la récente réunion de l'Assemblée populaire nationale (mars 2011), le premier ministre Wen Jiabao s'est efforcé d'apporter des réponses à ces difficultés. Le prochain plan quinquennal (2011-2015) prévoit par exemple de créer chaque année 9 millions d'emplois, d'accélérer la construction de logements sociaux (36 millions en cinq ans), de contrôler l'inflation au-dessous de 4 %, d'accroître le salaire minimum de 80 % et de généraliser (villes) ou d'étendre (campagne) les systèmes d'assurance-santé ou de retraire.

Mais dans l'ensemble, la direction du PC continue de privilégier le maintien d'une « sécurité rigide » qui ne souffre d'aucune contestation organisée. Depuis février, plus d'une centaine d'activistes connus, ou plutôt de « suspects habituels », ont été mis à l'ombre. La société harmonieuse voulue par la majorité des responsables chinois est, pour reprendre une expression popularisée par l'architecte Ai Weiwei, aujourd'hui détenu, une société « harmonisée » à leur volonté.

Mais ce projet de stabilité ne nourrit-il pas, en repoussant aux calendes grecques toute ouverture politique véritable, les tensions entre le pouvoir et la société ? Un nombreux croissant d'experts chinois, dont le célèbre sociologue Yu Jianrong, le pensent. Confiant en sa capacité à garder la main et profitant de la faiblesse structurelle du mouvement démocratique, le Parti communiste fait le pari qu'il lui est préférable de tenir. Cependant, la société chinoise se mondialise et prend peu à peu conscience que d'autres pays en développement et de culture non occidentale ont réussi à se démocratiser.

Alors, « pourquoi pas nous ? » Les Chinois qui posent cette question sont probablement encore minoritaires. Mais il serait étonnant que leur nombre diminue, au lieu de s'accroître. En d'autres termes, la « révolution du jasmin » n'est pas pour aujourd'hui mais l'avenir politique de la Chine reste plus ouvert que jamais. Et pour l'heure, alors que le pays entame une transition difficile d'une économie axée sur l'exportation vers une économie privilégiant la consommation, l'on peut s'attendre à une augmentation des tensions sociales, tensions qui contraindront le pouvoir à redoubler d'efforts pour s'adapter à la réalité dont il a été pourtant le principal architecte.

Jean-Pierre Cabestan, auteur de « La Politique internationale de la Chine. Entre intégration et volonté de puissance », Presses de Sciences Po, 2010.

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