mardi 26 avril 2011

« La Chine prépare la voiture de 2030 »


Le Figaro, no. 20755 - Le Figaro et vous, mardi, 26 avril 2011, p. 37

Comment l'automobile chinoise va-t-elle évoluer ?
Les explications de l'expert Serge Berthier.

Établi à Hongkong depuis 1986, Serge Berthier conseille plusieurs groupes industriels installés en Chine. Consultant auprès de Geely, l'acquéreur de Volvo, voici quelques années, il nous livre sa perception de l'automobile chinoise.

La Chine est-elle déjà un opérateur crédible du secteur automobile ?

Absolument, mais pas sur le plan international. La demande des consommateurs chinois est très supérieure aux capacités de fabrication des acteurs locaux. Leur premier objectif est donc de produire. L'idée d'exporter, de même que l'exigence technologique, passe au second plan. Cette situation arrivera à son terme quand la Chine ne sera plus un marché de primo-équipement, mais de renouvellement.

Les voitures d'origine chinoise ont mauvaise réputation. Est-elle méritée ?

Si elles restent toujours assez éloignées des standards occidentaux, leur sécurité passive et leurs qualités dynamiques se sont améliorées. Tout simplement parce que les Chinois veulent pouvoir rouler à des vitesses soutenues sur de longues distances. Il ne faut pas perdre de vue que la Chine possède 75 000 km d'autoroutes (100 000 prévus en 2020).

Quels sont les domaines où l'automobile chinoise est actuellement en retard ?

Les pneumatiques, en premier lieu, ainsi que tout ce qui concerne les liaisons au sol ainsi que la plupart des technologies de pointe, en particulier dans la sécurité. Il y a trois ans, un important constructeur chinois est venu frapper à ma porte pour que je lui trouve un partenaire européen. Il proposait le développement en commun d'un véhicule de taille moyenne. Le cahier des charges prévoyait qu'il devait intégrer le meilleur de la technique occidentale dans les domaines de la transmission et de la gestion de l'énergie. Ce projet n'a finalement pas abouti.

Les labels chinois développeront-ils un jour leur propre technologie ?

Je le pense, mais, comme pour le secteur aéronautique ou la conquête spatiale, ils le font dans une perspective de rupture technologique en préparant la voiture de l'horizon 2030. N'en déplaise à Carlos Ghosn, ils disposent d'une excellente maîtrise du véhicule électrique, et dans tous ses aspects. Ils sont aidés par le leadership mondial de la Chine dans la fourniture d'accumulateurs.

Les constructeurs chinois sont-ils toujours à la recherche d'alliances, et même d'acquisitions ?

Ils examineront toute opportunité extérieure, à condition qu'elle leur apporte une expertise dont ils ne disposent pas et qui leur fera gagner du temps. Ni l'achat de capacités de production ni des acquisitions de prestige ne les intéressent. L'autre solution, plus simple, est pour eux d'offrir à des techniciens des salaires deux fois supérieurs à ceux versés, par exemple, dans une grande ville française située en Auvergne...

Quelles sont les forces indiscutables de l'automobile chinoise ?

Elle peut mettre en oeuvre de puissantes ressources capitalistiques mais également humaines. Sur certaines études, ses chercheurs sont déjà dix fois plus nombreux qu'en Europe ou aux États-Unis. Et s'ils ne sont pas encore au même niveau, l'inévitable convergence des technologies les y amènera. À cela s'ajoute l'appui du gouvernement. La Chine est un pays d'économie mixte, avec une vision industrielle que je comparerais à celle du gaullisme des années 1960. La préférence nationale n'est pas ici un vain mot.

Propos recueillis par Philippe Doucet

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