mardi 26 avril 2011

Le rôle futur du yuan comme monnaie internationale

Le Temps - Finance, mardi, 26 avril 2011

- Pierre Leconte: Que se passe-t-il en cas d'accident? Si, demain, la dette américaine ou la zone euro implose, cela présente un risque systémique, alors qu'avant les dangers pouvaient être localisés. Et il y avait des phénomènes de rééquilibrages automatiques. Par exemple, jamais un Etat n'aurait pu avoir des dettes aussi importantes sous l'étalon-or et jamais les déséquilibres commerciaux n'auraient été si importants.

- Charles Wyplosz: Parmi les pays dits avancés, le record de dette publique (300% du PIB) est détenu par la Grande-Bretagne, juste après les guerres napoléoniennes.

- P.L.: C'est une parenthèse. Elle avait dû sortir de l'étalon-or et suspendre la convertibilité de sa monnaie.

- C.W.: Ah non, il n'y avait pas de monnaie. On était sur l'étalon-or. C'est d'ailleurs à cette époque que sont apparus les grands banquiers florentins et britanniques dont les grands clients étaient les Etats. Le rôle de l'Etat était extrêmement limité par rapport à ce que l'on connaît maintenant et leurs besoins de financement étaient surtout liés aux périodes de guerre. Aujourd'hui, ils remplissent bien d'autres fonctions. On peut regretter cette époque où tout était simple. Mais on ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre. Ce qui caractérise la modernité, c'est que tout devient plus complexe.

- P.L.: Alors pourquoi les banques centrales des pays émergents convertissent-elles de plus en plus de réserve de papier en or?

- C.W.: Il y a quelques banques centrales qui ont des angoisses et qui achètent de l'or. Mais c'est un épiphénomène.

- P.L.: Pourtant, si la confiance dans la monnaie était là, on n'aurait pas besoin de se tourner vers les métaux précieux.

- C.W.: Mais la confiance en la monnaie est là. Sinon, nous n'en aurions pas dans nos poches.

- Le risque que les pays émergents ne veuillent plus acheter de la dette américaine est-il réel?

- C.W.: Le risque n'est pas qu'ils ne veuillent plus en acheter. Tant qu'ils auront des surplus de leur balance courante, ils doivent acquérir des instruments pour leur épargne. Dans la mesure où ils veulent des instruments réputés sûrs, ils achètent des emprunts souverains. L'idée que la dette américaine ne soit plus triple A signifie qu'il n'y a plus d'actifs sûrs. C'est un monde qui s'effondre sous nos pieds. S'il n'y a plus d'actifs sûrs, ce n'est plus seulement le problème des banques centrales qui en ont acheté, c'est le problème de tout le monde. Comment redéfinir les portefeuilles?

- P.L.: Si le dollar est la monnaie internationale, c'est précisément parce qu'il n'y a pas d'alternative au marché de la dette américaine, qui est le plus large du monde. C'est parce que les Etats-Unis se sont largement endettés que le dollar est devenu la monnaie du monde.

- C.W.: Et parce qu'il y avait une bonne gestion du dollar.

- P.L.: On est à l'aube d'un grand changement des marchés et il est possible que des pays émergents décident de rééquilibrer leurs réserves. Il n'existe rien d'autre que les actifs réels. D'où les achats de mines en Amérique latine par la Chine qui cherche aussi des possibilités pétrolières en Afrique. L'augmentation des réserves est telle que les Chinois vont continuer d'acheter de la dette américaine, mais le feront-ils au même rythme?

- C.W.: Il faut souligner que l'affaiblissement de la qualité de la dette publique américaine n'est pas en premier lieu un problème de réserves de change des banques centrales. L'essentiel de la dette est détenue aux Etats-Unis. L'instabilité ne viendra pas des réserves de change, qui sont dans les mains des banques centrales qui ont pour mission d'assurer la stabilité monétaire. Il n'est pas dans leur intérêt de se débarrasser de leurs dollars car cela créera une instabilité majeure à laquelle ils n'échapperont pas. C'est à Wall Street qu'il y aura ou non une panique sur les emprunts américains.

- P.L.: Et Pimco, le plus grand gérant obligataire, a non seulement liquidé ses emprunts souverains américains, mais spécule à la baisse sur ces titres. C'est symbolique et plus grave que la mise en surveillance de S & P.?

- Quelle sera la monnaie de demain? Peut-on peut remplacer le dollar?

- C.W.: Une monnaie internationale ne se décrète pas. Si le dollar est en une, c'est qu'elle offre des services que les autres n'offrent pas.

- La Chine, la Russie essaient pourtant de faire des échanges dans leurs propres monnaies...

- C.W.: Il existe aussi des gens qui font du troc. Cela reste anecdotique. Tous les jours, 4000 milliards s'échangent sur les marchés de devises, dont 84,9% en dollars. Il faut garder les ordres de grandeur à l'esprit. La menace d'une crise de la dette souveraine est un autre problème. Cela pourrait devenir cataclysmique, parce qu'il n'y a pas d'alternative. Quant aux droits de tirage spéciaux (DTS), ce n'est pas plus une alternative crédible. Une monnaie n'a d'intérêt que si beaucoup de gens l'utilisent. Les DTS sont utilisés par 188 personnes: 187 banques centrales et le Fonds monétaire international. C'est la pire monnaie au monde.

- Le nouveau monde monétaire n'est-il pas tout simplement devant nos yeux: avec la Chine et les Etats-Unis au centre?

- C.W.: La Chine - puis l'Inde suivra - deviendra la première puissance économique mondiale. Le yuan aura donc vocation à jouer un rôle international. Des changements devront cependant intervenir: la monnaie devra être convertible, il faudra des vrais marchés financiers, une libéralisation financière et un développement d'un centre financier. Shanghai devra être plus grand que Wall Street pour détrôner le dollar. Ils le feront sans doute, mais lentement, et à supposer qu'ils puissent tout contrôler car c'est un régime totalitaire.

- P.L.: Encore faut-il que la Chine commence à réduire ses excédents puisque le propre d'une monnaie mondiale est d'être celle d'un pays qui s'endette.

Propos recueillis par Mathilde Farine et Frédéric Lelièvre

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