lundi 11 avril 2011

« La réforme de Wall Street risque de freiner la reprise »

Les Echos, no. 20909 - Entretien du lundi, lundi, 11 avril 2011, p. 15

Quel peut être, à vos yeux, l'impact de la crise japonaise sur la reprise économique mondiale et les marchés financiers ?

D'un point de vue humain, c'est évidemment une tragédie. Sur le plan économique, je ne pense pas que la crise japonaise aura un impact majeur sur la reprise globale. Le Japon représente 8 % ou 9 % de l'économie globale. Cette catastrophe risque de ralentir la croissance du PIB japonais de 2 % cette année, selon la plupart des estimations. Il y aura surtout une chute marquée de la croissance au premier trimestre. Mais la croissance japonaise repartira déjà l'année prochaine du fait de la reconstruction. Au final, cela pourrait réduire la croissance globale d'un quart de point cette année, de 4,5 % à 4 %, si l'on se réfère aux prévisions du Fonds monétaire international (FMI). Ce n'est donc pas un événement substantiel à l'échelle de l'économie globale.

Quelle est la principale menace qui pèse sur la vigueur de la reprise américaine ?

A mes yeux, le risque majeur pour la reprise américaine est la stagnation du marché immobilier résidentiel. Selon les derniers chiffres, les prix immobiliers sont même légèrement à la baisse. Le manque de financement privé limite les possibilités d'acquisitions de logements aux Etats-Unis. Actuellement, les banques ont des menottes aux poignets. Elles ne peuvent plus rien faire à l'encontre des emprunteurs s'ils ne remboursent pas leurs crédits. Le secteur privé est gelé en raison des incertitudes réglementaires sur les saisies immobilières. Les banques ne veulent plus accorder de prêts immobiliers car leurs droits ne sont plus garantis. Aujourd'hui, les mises en chantier de logements sont à leur plus bas niveau depuis cinquante ans ! C'est pourquoi nous avons une reprise si lente des créations d'emplois. Nous sommes à un niveau inférieur à 300.000 nouveaux logements par an contre un pic de 2 millions en 2007 (qui avait permis de créer 8 millions d'emplois). Sans un redémarrage du secteur immobilier et un niveau minimal de 1 à 1,2 million de logements construits par an, c'est difficile d'avoir une véritable reprise solide.

Avez-vous donc révisé à la baisse votre prévision d'un rebond de 8 % à 10 % des prix immobiliers en 2011 ?

Oui. Lorsque j'avais fait cette prévision l'année dernière, c'était avant la réforme Dodd-Frank de 2010. Depuis, les banques ont pratiquement fermé les robinets du financement immobilier en raison de l'absence de clarification sur la réglementation. Cela sera difficile d'avoir un rebond des prix immobiliers cette année. Mais avec un peu de chance, si les banques commencent à renouer avec les crédits immobiliers, on pourrait avoir une reprise de l'immobilier en 2012 et en 2013.

Cela veut-il dire que vous considérez la réforme financière de Wall Street comme un échec à cet égard ?

Oui. Elle risque de freiner la reprise. C'est un texte extrêmement lourd (2.000 pages !) et mal pensé qui sera très difficile à mettre en oeuvre. C'est une réforme précipitée essentiellement dictée par une réaction émotionnelle. Le résultat est qu'elle crée de nombreux conflits et incertitudes. Comme Alan Greenspan, je pense qu'elle va surtout créer des distorsions de marchés. L'approche européenne basée sur Bâle III est bien meilleure et plus flexible. La tentation de la surrégulation est contre-productive. La crise financière était liée au fait que les banques avaient un effet de levier excessif et trop d'actifs risqués. La solution n'est pas d'essayer de dicter aux banques ce qu'elles peuvent faire ou ne pas faire, mais d'exiger qu'elles renforcent leurs capitaux propres pour absorber des pertes potentielles et de détenir moins d'actifs risqués.

Peut-on dire néanmoins que les banques de Wall Street ont modifié leurs pratiques en tirant les leçons de la crise ?

Absolument. Elles ont drastiquement réduit leur effet de levier et ont une approche beaucoup plus conservatrice en matière de crédits.

Pensez-vous que l'administration Obama a changé d'attitude vis-à-vis des milieux d'affaires depuis les dernières élections de mi-mandat ?

Initialement, l'administration Obama a été tentée d'augmenter les impôts, l'approche démocrate traditionnelle. Ils sont en train de faire un pas en arrière aujourd'hui pour soutenir davantage le secteur privé en vue de favoriser la création d'emplois. Barack Obama a infléchi sa politique fiscale et accordé des incitations très agressives au secteur privé pour relancer l'investissement et stimuler la croissance. Le point faible reste la réforme financière. Avec un peu d'espoir, il y aura des modifications pour éliminer les aspects négatifs de cette réforme.

Que pensez-vous des critiques adressées à la stratégie de relance quantitative mise en oeuvre par la Fed pour relancer l'économie ?

N'oublions pas que nous avons connu la pire récession depuis la Grande Dépression. Cela imposait de recourir à des moyens non conventionnels pour éviter un effondrement économique. En ce sens, la relance monétaire et le plan de relance budgétaire fourni par le gouvernement ont été très utiles pour aider à remettre l'économie sur les rails. Le problème est que la relance quantitative n'est pas sans conséquences et crée le risque potentiel d'une inflation. Actuellement, nous n'avons pas d'inflation car nous avons encore des surcapacités. Mais le risque existe. Il est indéniable que cette relance monétaire revient à faire marcher la planche à billets. Il reste à voir si la Fed pourra résorber cette relance avant qu'elle ne devienne inflationniste.

Qui va refinancer la dette américaine depuis que la Chine et Pimco semblent désormais réticents à acheter des bons du Trésor ?

C'est une des graves incertitudes qui pèsent sur la stratégie de sortie de la Fed. Je serais très surpris s'il y avait un troisième round de relance quantitative. Même si nombre d'économistes pensent que la dette américaine reste à un niveau gérable, tôt ou tard, elle atteindra un seuil qui posera problème. Aujourd'hui, notre dette fédérale reste encore à un niveau relativement raisonnable (autour de 65 % du PIB), mais si l'on ajoute la dette locale des Etats fédérés et des collectivités locales, on approche du niveau des 100 % du PIB, qui commence à être proche de celui de la Grèce ou du Portugal. C'est un problème potentiel très sérieux. Car les Etats-Unis n'ont pas une capacité d'emprunt illimitée.

Pensez-vous que le dollar puisse perdre à terme son statut de « monnaie refuge », même s'il reste la devise dominante aujourd'hui ?

C'est une possibilité. Mais il faut regarder les monnaies en termes relatifs. Le Royaume-Uni s'est engagé dans la même voie que les Etats-Unis en termes de relance monétaire. L'euro a ses propres problèmes. En ces temps d'incertitudes sur les devises papier, je me sens plus sécurisé par l'or. Compte tenu des risques inflationnistes sur les trois ou cinq prochaines années et de l'instabilité de l'euro, l'or offre une bonne protection contre la dévaluation des devises papier et même la possibilité d'engendrer un retour sur investissement fixe. Outre notre fonds d'investissement dans l'or qui représente seulement 3 % de nos actifs gérés, nous avons créé une classe d'actions pour nos autres stratégies libellées en or. Et environ 40 % de nos investisseurs ont choisi cette option. Nous avons été le premier fonds à lancer cette classe d'actions volontaires qui a démarré un mois après le lancement du premier round de relance quantitative de la Fed en mars 2009.

Pensez-vous que le cours de l'or n'a toujours pas atteint un plateau ?

En effet. Au fil du temps, le cours de l'or va monter en proportion de la création de dollars papier. Dans un contexte inflationniste où la demande de protection augmente, le cours de l'or peut encore grimper davantage. Historiquement, l'or a toujours été une valeur refuge face à l'inflation et une valeur refuge en période d'instabilité politique. Or nous sommes confrontés à ces deux risques aujourd'hui.

Comment expliquez-vous les accusations de déstabilisation de l'euro dont vous avez fait l'objet à l'automne 2009 lorsque votre fonds a été cité dans une enquête du département de la Justice ?

C'était un malentendu total. D'abord, nous n'étions pas présents au prétendu « déjeuner d'idées », où l'on a débattu de l'euro. Surtout, nous ne sommes pas un fonds macro et nous ne prenons pas de position sur les devises. La directive européenne sur les fonds spéculatifs nous a sans doute permis de clarifier notre stratégie et notre position grâce à un meilleur dialogue avec les autorités européennes. Sur la crise de l'euro, je pense qu'elle est limitée à la Grèce, l'Irlande et le Portugal et je suis plutôt optimiste sur le plan de stabilisation mis en oeuvre.

Que répondez-vous aux critiques qui subsistent sur la taille excessive des fonds spéculatifs ?

A vrai dire, je ne vois pas de raison de s'inquiéter de notre taille ou de notre influence excessives. Bien que nous soyons le troisième fonds spéculatif avec 36 milliards de dollars d'actifs, nous sommes 100 fois plus petits que BlackRock qui gère 3.000 milliards de dollars. Nous sommes très petits en termes de gestion d'actifs. Notre spécialité est d'investir dans l'arbitrage d'événements. Au cours des dernières années, notre principal objectif a été d'aider les entreprises à éviter une faillite ou à émerger d'une faillite, ou encore à les aider à rembourser leurs dettes pour se recapitaliser. Au total, nous avons investi plus de 20 milliards de dollars sur les deux dernières années pour aider des entreprises à se restructurer, aussi bien en Europe qu'aux Etats-Unis, et à sortir renforcées de la récession.

Propos recueillis par Pierre de Gasquet

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