lundi 25 avril 2011

L'affaire Li Zhuang, un test pour les réformes en Chine - Arnaud de la Grange

Le Figaro, no. 20753 - Le Figaro, samedi, 23 avril 2011, p. 7

Les droits de la défense sont au coeur d'un procès dans le fief de Bo Xilai, l'étoile montante du parti.

Ni la ville ni l'homme ne sont vraiment connus, au-delà des frontières chinoises. Et pourtant, l'affaire Li Zhuang, un avocat emprisonné à Chongqing, est un moment essentiel dans la marche vers l'État de droit en Chine. Et, plus généralement, pour l'avenir des réformes en Chine.

L'avocat de 50 ans a été accusé d'avoir incité un client au faux témoignage. L'affaire a pour cadre l'opération « mains propres » lancée en 2009 dans la gigantesque métropole sudiste de Chongqing. Li Zhuang assurait la défense d'un chef mafieux, Gong Gangmo, jugé pour meurtres, trafic de drogue et d'armes. Or, les autorités ont fini par l'accuser d'avoir poussé son client à dénoncer des tortures de la part de la police. En janvier 2010, l'avocat est condamné à deux ans et demi de prison, peine réduite à 18 mois pour sa « coopération ». Mardi, Li Zhuang est retourné devant le tribunal, là encore pour fabrication de faux témoignage. Mais hier, les chefs d'accusation, apparemment pas assez solides, ont été retirés, sans pour autant qu'il ne soit déclaré innocent.

L'affaire a fait grand bruit en Chine et n'a d'ailleurs pas été totalement censurée dans la presse et sur Internet. Une grande majorité de l'opinion comme des membres du milieu judiciaire est persuadée que l'avocat est innocent. Et tout le monde pointe le contexte très politique de l'affaire. Chongqing est le fief du flamboyant Bo Xilai, ancien ministre du Commerce qui ambitionne d'entrer en 2012 parmi les neuf membres du comité permanent du bureau politique, le coeur du pouvoir chinois. L'homme s'est forgé une étonnante image, sorte d'hybride d'Eliot Ness et de maoïste modernisé, en nettoyant sa ville et faisant du retour à la morale dans le Parti une croisade. S'il est promu, on dit qu'il pourrait être chargé des questions de justice et d'ordre public.

« Trente ans en arrière »

Sur Internet, certains raillent ce mauvais feuilleton, parlant de « saison 1 et 2 » pour les procès et se demandent si une « saison 3 » est prévue... Ils notent que Li Zhuang devait sortir de prison en juin et n'hésitent pas à dire que ce nouveau procès visait à le garder au frais jusqu'au congrès du Parti de 2012, par peur de ce qu'il pourrait raconter. Mais surtout, le cas Li Zhuang a suscité une émotion sans précédent chez les avocats chinois. Pour eux, son issue éclairera sur l'avenir de leur profession, alors qu'ils sont depuis deux ans sous intense pression.

Une lettre ouverte de Hei Weifang, éminent professeur de droit de l'université de Pékin, connu pour sa liberté de parole, a eu beaucoup d'impact. Selon lui, l'affaire « rejetait la réforme judiciaire chinoise trente ans en arrière ». Même son de cloche chez un célèbre avocat, Wei Rujiu, ancien défenseur de Li Zhuang, qui estime que « le défendre, c'est défendre le droit de travailler pour les avocats en Chine, et un idéal de justice ».

Chercheur de Sciences Po basé à Pékin, Stéphanie Balme estime que cette affaire hautement symbolique « montre la constitution d'un corps d'avocats qui se mobilisent et ont conscience de la nécessité d'une justice indépendante, même si les juges et procureurs sont encore en retrait ». Selon elle, ces acteurs du droit peuvent jouer un « rôle déterminant pour l'avenir des réformes dans leur ensemble ».

Signe encourageant, le China Daily - organe de presse officiel - n'a pas hésité à publier une tribune de Xu Xianming, président de la China University of Political Science and Law, intitulée « La loi doit être plus que des mots. » Il y écrit « qu'un dispositif de lois et d'institutions judiciaires ne suffit pas, qu'il faut aussi un parti au pouvoir et un gouvernement respectant la loi dans leurs propres agissements ». Et dans un climat dégradé sur le terrain des droits de l'homme, la décision de Chongqing était hier perçue comme un geste positif.

© 2011 Le Figaro. Tous droits réservés.

0 commentaires: