lundi 25 avril 2011

A Shanghaï, les chauffeurs se révoltent contre la hausse du prix de l'essence

Le Monde - Economie, lundi, 25 avril 2011, p. 11

A Shanghaï, les chauffeurs routiers indépendants se révoltent contre la hausse du prix de l'essence

L'appel a été transmis par texto. " Arrêtons tous nos camions, restons unis et mettons-nous en grève pour obtenir une augmentation de la paye à la livraison. " Les chauffeurs routiers indépendants desservant les nombreux ports de Shanghaï ont cessé le travail depuis mercredi 20 avril, et garé leurs engins près des docks, protestant contre la hausse du prix de l'essence et du coût de la vie. Près du port de Waigaoqiao, le long de l'estuaire du Yangzi, plusieurs centaines de camions occupaient encore vendredi soir un pont et les routes menant aux docks.

" Le faible prix à la course n'est pas la faute du gouvernement, mais il doit nous aider à faire pression, et les prix de l'essence sont directement de sa responsabilité ", s'agace un routier de la province du Henan, qui ne compte pas abandonner le mouvement avant le 1er mai si ses revendications ne sont pas entendues.

En Chine, les prix de l'essence sont fixés par le régulateur. Un mécanisme prévoit l'augmentation du prix à la pompe dès lors que le cours du baril de brut croît de plus de 4 % en vingt-deux jours consécutifs. Sous la pression des cours du pétrole - à 112 dollars le baril vendredi à New York - deux hausses ont été répercutées dans les stations-service depuis le début de l'année.

Le chauffeur du Henan explique que le prix du litre d'essence était de 5,5 yuans en 2010 mais a désormais grimpé à 7,7 yuans tandis que la rémunération d'une livraison de conteneurs à Zhangjiagang, à 150 km de Shanghaï, n'a été réévaluée que de 50 yuans (5,28 euros). " Au même moment, les coûts des pneus, des réparations, et de la vie de ma famille ont tous augmenté ", ajoute-t-il. Une fois payée l'échéance mensuelle du crédit d'achat du camion, il ne lui reste que 3 500 yuans (370 euros) chaque mois pour vivre. Comme lui, beaucoup n'ont d'autre choix que de se reposer moins de six heures par jour.

Dans un effort de conciliation envers d'autres victimes des prix du pétrole, la municipalité de Shanghaï a annoncé, jeudi 21 avril, une baisse de 300 yuans de la mensualité de location de véhicule dont s'acquittent les chauffeurs de taxi de la ville, jusqu'alors de 8 500 yuans (environ 900 euros).

Le mouvement illustre la difficulté éprouvée par le gouvernement chinois pour contenir l'inflation et ses possibles conséquences sociales. L'indice des prix à la consommation a de nouveau augmenté en mars, de 5,4 % sur un an, un niveau inédit depuis trente-deux mois, tiré par les prix des denrées alimentaires, qui ont bondi de 11,7 %. Cela malgré quatre hausses des taux d'intérêt de la banque centrale depuis l'automne 2010.

Près du port de Waigaoqiao comme de celui de Baoshan, dans un district du nord de la ville, la réponse des autorités a été cinglante. Des violences ont éclaté mercredi, jeudi et vendredi entre forces de l'ordre et routiers, dont certains ont été arrêtés. " Plutôt que de nous aider, la police s'oppose à nous, le gouvernement ne propose rien, les médias locaux ne parlent pas de la grève, et le forum qui me permettait de trouver certaines missions sur Internet a été bloqué ", lâche un gréviste.

Les conséquences de ce mouvement sur l'activité portuaire de Shanghaï, première plate-forme mondiale de chargement de marchandises, restent incertaines. " Des retards à la réception de conteneurs destinés à l'export pourraient avoir des répercussions sur le fret maritime, avec de possibles délais ou reports des transporteurs ", prévient la compagnie ROE Logistics dans un communiqué.

Le trafic n'est pas totalement bloqué à l'entrée des ports concernés, seuls les indépendants ayant cessé le travail. Les routiers de grandes compagnies chinoises de fret bénéficient de la capacité de leurs employeurs à mitiger, grâce à leurs marges, les conséquences du prix du pétrole sur les salaires.

Les pare-brise de conducteurs indépendants refusant de joindre le mouvement - en général par nécessité économique directe - sont souvent caillassés, raconte le patron d'une échoppe face au port. Ce qu'admet le gréviste du Henan : " Il faut comprendre que les gens soient à bout. "

Harold Thibault

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