lundi 25 avril 2011

L'avenir du "pouvoir mondial", selon Jacques Attali

Marianne, no. 731 - Idées, samedi, 23 avril 2011, p. 85

Les "hyperpuissances" ont vécu et l'avenir passe par la recherche d'une gouvernance planétaire. C'est la thèse audacieuse de l'ancien sherpa de François Mitterrand.

Jacques Attali pratique volontiers l'art du contre-pied. Dans son nouveau livre, intitulé Demain, qui gouvernera le monde ?, l'ex-sherpa de François Mitterrand revisite l'avènement d'un droit cosmopolitique, celui-là même qu'envisageait le philosophe allemand du XVIIIe siècle Emmanuel Kant. Demain, dit Attali, le monde sera gouverné autrement. Par l'Europe ? Par les Etats-Unis ? Par le G20 ? Non, car le glas des "hyperpuissances" a sonné, assure-t-il. Les pays émergents, si offensifs dans la conquête de l'hégémonie mondiale, ont-ils alors une chance d'asseoir un pouvoir englobant ? Le verdict du futurologue est, là encore, sans ambiguïté : notre époque d'urgence planétaire appelle des solutions innovantes, "polycentriques".

Du poète italien Dante Alighieri (De Monarchia, 1313) au philosophe autrichien Karl Popper (1945) en passant par le financier milliardaire George Soros (2002), l'évocation d'une gouvernance mondiale a toujours mal dissimulé les visées de tel ou tel impérialisme national. Mais la mondialisation suscite un rapprochement si étroit des nations et des cultures que la reconnaissance mutuelle de l'universalité des principes généraux du droit va infailliblement provoquer une révolution dans la manière d'envisager le pouvoir.

Un monde occidental

Attali martèle sa foi dans l'"occidentalisation du monde". Celle-ci - autre nom de la mondialisation - devrait finir par faire triompher un codex du droit. Toutefois, il n'est pas par hasard l'auteur d'un essai déjà ancien, intitulé Bruits, dans lequel il théorisait ce qu'il nomme "l'ordre par le bruit". Selon lui, l'accentuation du tohu-bohu, de la dissonance planétaire, ne sera pas éternellement tenable. Quand elle deviendra franchement intenable, elle déclenchera un sursaut. De l'ouragan Katrina, en 2005, au séisme de Fukushima, en 2011, la fréquence des catastrophes d'origine naturelle - aggravées par l'activité humaine - s'est accrue. Voici comment l'auteur visualise l'avenir à moyen terme : "Un chaos polycentrique s'installera, avant de laisser place à un gouvernement mondial du marché, c'est-à-dire à des entreprises toutes-puissantes, à la disparition progressive de tout Etat de droit, à une anarchie explosive, [...] à des désordres financiers et climatiques." Attali se démarque d'ailleurs, dans cette évocation, de la joie mauvaise de certains prophètes de la démondialisation : non par son pronostic, qui rejoint le leur, mais par l'effroi que cette perspective éveille en lui : "On pourrait voir s'installer, à l'échelle de la planète, ce qu'on a connu à l'échelle des nations, au début du XXe siècle, après l'échec de la première mondialisation : un retour des nations, des dictatures crispées." Sauf que le monde d'Attali partage des traits communs avec celui du philosophe allemand Friedrich Hölderlin (1770-1843) : "Là où est le péril croît aussi ce qui sauve." Traduction : une grave crise, une disruption majeure du système mondial pourrait être l'occasion d'en appeler dans l'urgence à un gouvernement mondial. Une utopie ? A moins, comme le note l'auteur, qu'un astéroïde ne percute le vaisseau Terre, celle-ci pourrait bien finir par prendre forme. Mais à ce point du raisonnement, la futurologie attalienne rejoint une forme laïcisée de messianisme, telle que la laissait déjà pressentir son essai Nomades. Un "happy end" audacieux qui va faire couler beaucoup d'encre.

Alexis Lacroix

Demain, qui gouvernera le monde ?, de Jacques Attali, Fayard, 416 p., 21,50 €.

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