Au mois de février, Tong Xiang s'est décidée. Cette femme de Changsha, dans la province du Hunan, s'est offert une Mercedes Benz C200 en remplacement de son ancienne auto, qu'elle conduisait depuis six ans. Etant dans les affaires, elle veut dépenser de l'argent en montrant qu'elle a été capable d'en gagner. Une autre raison l'a poussée à changer de véhicule. Sa soeur a acheté une BMW, ce qui l'a presque instantanément convaincue d'investir à son tour dans une berline de luxe.
Mme Tong pense que, comme elle, ses concitoyens s'offrent des automobiles pour deux raisons. " Les Chinois achètent des voitures essentiellement pour l'aspect pratique ou pour le "mianzi" ", explique-t-elle, employant ce terme récurrent en Chine qui signifie " la face ", une certaine image de soi, glorieuse, que l'individu peut gagner ou perdre et qui est remise en jeu à chaque interaction avec l'autre.
Tong Xiang se souviendra de cette première auto qui l'a propulsée dans la classe des " propriétaires de voiture ". " Le marché chinois est encore jeune. Les motivations des consommateurs sont toujours très orientées vers la recherche du statut social ", explique Timothy Zimmerman, directeur général adjoint de Dongfeng Peugeot, la coentreprise qui permet au constructeur français d'être présent sur ce marché.
Aujourd'hui, la voiture statutaire chinoise se définit toujours par son format classique. Si les grandes marques se ruent cette année au Salon de Shanghaï pour présenter des concept-cars futuristes, elles savent que leurs clients considèrent qu'une voiture doit avoir une structure " tricorps " (un capot, un toit, un coffre) emblématique des berlines des officiels et hommes d'affaires.
Les modèles que les Chinois identifient le plus communément sont d'ailleurs toujours connotés socialement. La vieille Santana noire de Volkswagen est apparentée à la voiture de l'officiel à l'échelon local, en général l'un des seuls du bourg à disposer d'une voiture. Certains qualifient parfois la petite Mini de voiture des nouvelles concubines. Quant aux Audi A6 et A8, ce sont celles des huiles du Parti communiste circulant à Pékin. L'agence Chine Nouvelle publiait à la veille de l'ouverture du Congrès national du peuple, l'assemblée du Parti, qui s'est tenu au mois de mars, une photo d'un gigantesque parking de ces Audi noires préparées pour les officiels et symboles du pouvoir politique, mais dont la couleur noire dénote un effort de sobriété.
Au contraire, la publication en 2009 de photos de rangées de Bentley, Lamborghini et autres Maserati saisies à Chongqing, à l'occasion d'une vaste opération de démantèlement des réseaux mafieux de cette ville du centre du pays, devait prouver la détermination du gouvernement à lutter contre la corruption. Car si ces modèles font rêver les Chinois, ils suscitent aussi la méfiance, leurs propriétaires étant soupçonnés de s'être enrichis trop et trop vite pour être honnêtes.
Ces perceptions expliquent l'empressement des marques occidentales à ouvrir des centres de design chargés de développer des modèles spécifiques à la Chine. Pour Sun Shijin, président du département de psychologie de l'université Fudan à Shanghaï, cette quête de reconnaissance sociale par l'auto est aussi liée à l'histoire de la Chine d'avant l'ouverture économique, de même que l'expérience de l'enfance influe sur la vie adulte. " Les Chinois étaient privés de dignité humaine, ils manquaient de confiance en eux-mêmes et craignaient d'être pris de haut, analyse le professeur Sun. Ils font désormais preuve d'une certaine vanité pour se prouver qu'ils ont un statut et une valeur. "
Dans l'imaginaire, s'offrir une auto revient à entrer dans un nouveau mode de vie, celui de la liberté induite par la richesse. " Chacun a bien sûr ses motivations mais, d'une manière générale, posséder une voiture renforce le sentiment de contrôle de son monde. Les propriétaires peuvent décider où ils vont et à quel moment, sans limites. Leur univers devient plus petit mais également plus simple ", poursuit Sun Shijin.
Pour un conseiller de clientèle de Wan Zhuo, un concessionnaire de Shanghaï, il n'y a pas de honte à paraître nouveau riche : " Les Chinois s'enrichissent, ils ont de l'argent, alors pourquoi ne pas posséder une bonne voiture, certains peuvent même s'acheter des Rolls-Royce. " Une nouvelle tendance émergerait toutefois, selon une étude des consommateurs chinois réalisée par Volkswagen et MediaCorp : " Les marques automobiles ont besoin d'une image valorisée afin d'être considérées mais un changement-clé est l'évolution d'un groupe significatif se méfiant désormais de la frime. "
Harold Thibault
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