Les économistes Antoine Brunet et Jean-Paul Guichard mettent en garde contre les intentions chinoises : le recours à l'arme économique à des fins de domination politique. Et dénoncent la complaisance de l'Occident à l'égard de l'hyperpuissance émergente. Voici leur thèse, alarmiste mais éclairante.
Depuis 2008, la Chine surprend : individualiste, elle maintient le yuan fortement sous-évalué malgré la crise prolongée que traversent les pays occidentaux ; menaçante, elle revendique brusquement, en 2010, la souveraineté sur la mer de Chine du Sud ; agressive, elle finalise, à la fin de cette même année, la construction d'un chasseur-bombardier furtif, le J-20, et multiplie les intrusions informatiques à l'étranger.
Cette arrogance chinoise surgit - et ce n'est pas un hasard - au moment où la puissance du pays s'accroît pour s'approcher de celle des Etats-Unis. L'empire du Milieu estime que le moment est venu de tirer les fruits de la stratégie de conquête qu'il a amorcée il y a plus de vingt ans.
1989, Tiananmen : le Parti communiste massacre les démocrates, et verrouille son régime totalitaire. Percevant que les Etats-Unis demeureront une menace, le PCC s'assigne alors discrètement la mission de leur ravir l'hégémonie mondiale.
Ecartant l'option militaire, il privilégie "une guerre économique jusqu'au-boutiste", reposant sur une stratégie mercantiliste. Grâce à un coût du travail horaire maintenu très bas, à une sous-évaluation extrême du yuan et à l'interdiction par l'OMC de toute protection douanière contre le made in China (depuis son adhésion, en 2001), le pays se construit un excédent commercial massif, et inflige à ses rivaux occidentaux d'énormes déficits de balance des paiements.
Le mécanisme de déstabilisation est le suivant : l'excédent de la Chine dope sa croissance, son emploi et ses recettes fiscales, tandis que le déficit des pays occidentaux mine leur croissance, fait grimper le chômage, et les contraint, pour éviter de plonger dans la récession, à la fuite en avant dans les bulles immobilières et les plans de relance budgétaire à répétition.
Pour la Chine, prospérité, stabilité sociale et réserves de change abondantes. Pour ses rivaux occidentaux : délocalisations, stagnation économique, déstabilisation sociale et finances publiques à la dérive.
Face à une dette publique devenue explosive, les Etats occidentaux sont contraints de se refinancer encore davantage à l'étranger. La Chine constitue alors le principal recours : le pays est le premier créancier du monde, avec des réserves de change qui, à la fin de 2010, pesaient au total 4 210 milliards de dollars. L'empire du Milieu fait la loi : rien ne l'oblige à prêter à des Etats occidentaux qui, eux, se bousculent pour obtenir des fonds. Il peut dès lors exiger des contreparties "hors marché" : la Grèce vient déjà de lui céder le port du Pirée ; la France, de lui concéder la base aérienne de Châteauroux. Demain, d'autres Etats se résigneront à lui aliéner leurs matières premières et leurs terres arables, à autoriser des OPA chinoises sur leurs entreprises ou à abandonner l'embargo sur les exportations de matériels militaires... Si les pays occidentaux ne réagissent pas très rapidement, ils s'exposeront à une vassalisation politique par la Chine totalitaire.
Par Antoine Brunet, président de la société AB Marchés, et Jean-Paul Guichard, professeur d'économie à l'université de Nice Sophia-Antipolis.
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