lundi 11 avril 2011

Le Musée national vante la Chine " patriotique " - Brice Pedroletti

Le Monde - Culture, mardi, 12 avril 2011, p. 21

C'est un immense bâtiment à colonnades, sur la place Tiananmen, qui fait face au mausolée de Mao. Avec 192 000 m2 d'espaces d'exposition, le nouveau Musée national de Chine, fruit d'une rénovation et d'une extension qui a duré trois ans et coûté pas loin de 2,5 milliards de yuans (250 millions d'euros), est censé doter la Chine d'un musée digne d'une puissance de son rang. Dans le monde, seul le Louvre le dépasse en surface, avec 210 000 m2.

Depuis le 1er mars, quelques groupes ont pu visiter ce musée. Il est ouvert à tous, gratuitement, depuis le 27 mars, mais seuls 8 000 visiteurs par jour peuvent découvrir les collections permanentes. Ce qui explique que les Chinois se pressent devant l'entrée le matin, pour voir les salles sur la " Voie de la renaissance ", les " bronzes anciens ", la " porcelaine chinoise et statues de bouddhas ". Une moitié seulement du bâtiment est à visiter, les salles sur la Chine antique doivent ouvrir le 15 avril.

C'est l'agence d'architecture allemande Gerkan, Mark & Partners, grand constructeur de gares, d'aéroports et de stades, qui a transformé le gigantesque bâtiment de style stalinien - il date de 1959 - et aménagé son hall d'entrée et ses plateaux d'expositions. Ce musée est issu de la fusion du Musée de l'histoire chinoise, et du Musée de la Révolution, tous deux éminemment politiques et souvent moqués pour la relative pauvreté de leurs collections : le tiers du million d'objets du Musée d'histoire était ainsi constitué de pièces de monnaies.

Cette fois, les musées d'histoire, qui se trouvent un peu partout en Chine ont eu l'ardente obligation d'envoyer à Pékin quelques-uns de leurs plus beaux trésors. Cette rutilante plate-forme culturelle au coeur de Pékin reste toutefois investie d'une mission prioritaire " d'éducation patriotique " : façonner et interpréter l'histoire chinoise, de façon à ce qu'elle serve le discours du parti.

Rien ne l'illustre mieux que l'exposition permanente intitulée " La voie de la renaissance ". Celle-ci débute avec la période des humiliations subies par la Chine aux mains des puissances coloniales occidentales, puis retrace les étapes du réveil nationaliste et de la modernisation, avec l'avènement de la première République.

" Voler une clochette... "

Les sections consacrées à la Chine populaire, née de la prise du pouvoir par Mao, en 1949, font se succéder les uns après les autres les jalons de l'histoire du parti, jusqu'aux succès économiques de ces dernières années : la conquête de l'espace, le train vers le Tibet ou encore les Jeux olympiques.

Une seule photo montre Mao tout sourire, en conciliabule avec les membres du parti en 1961, après l'expérience désastreuse du Grand Bond en avant, qui provoqua la mort de millions de Chinois. Deux photos mentionnent la révolution culturelle, sans même faire allusion à ses atrocités, et la seule image relative aux événements de 1989, sur cette même place Tiananmen où se trouve le musée, est datée du 9 juin : on voit Deng Xiaoping félicitant les troupes de la loi martiale, et serrant la main d'un officier radieux.

" J'ai été surprise de voir qu'il y a si peu de détails ", nous dit spontanément une jeune étudiante en biologie, Li, née en 1987. " Tiananmen, certains professeurs nous en parle, et puis on regarde tous sur Internet ! " Cette histoire mutilée " rend furieux " Yang Jisheng, l'ancien journaliste de l'agence Xinhua auteur d'une étude monumentale, et interdite en Chine, sur la grande famine. " Nous qui connaissons l'histoire, on évite ce genre de musées. Les faits historiques y sont détournés. Ce refus de parler de l'histoire, c'est un peu comme voler une clochette en se bouchant les oreilles, et croire qu'on passe inaperçu ! ", explique-t-il, dimanche 10 avril, lors d'un entretien.

Employés à satiété par le régime, les concepts de renaissance ou de régénération, sont particulièrement déroutants, ajoute M. Yang : " Il fait référence à des moments où la Chine a été supposément glorieuse. Mais quelle époque doit-on considérer : le premier empereur, les Tang, les Qin ? Et quels aspects de ces époques qui étaient des dictatures doit-on garder ? "

A l'heure de la rivalité entre les grands musées du monde, celui de Pékin révèle un paradoxe dont la Chine est pétrie : la première exposition étrangère invitée est consacrée à " l'art des Lumières ". Un coup de maître de la diplomatie allemande, qui doit permettre pendant un an, la présentation au public chinois de 600 oeuvres du XVIIIe siècle, en provenance des musées de Berlin, Munich et Dresde.

Certaines oeuvres exposées ont un écho singulier dans le tour de vis répressif de ces dernières semaines, qui a conduit à des centaines d'arrestations dans les milieux libéraux - dont celle du pape de l'avant-garde chinoise, l'artiste Ai Weiwei, le 3 avril. Ainsi de ce buste de Kant, où est gravée la devise " Aie le courage de te servir de ton propre entendement ". Ou encore ce portrait, attribué à Johann Heinrich Lips, de Voltaire en ombres chinoises, muni d'une lanterne qui éclaire son chemin.

Lors de l'inauguration de l'exposition, le 1er avril, Guido Westerwelle, le ministre des affaires étrangères allemand, a parlé des idéaux de l'art des Lumières, tels que le respect pour la dignité, l'Etat de droit et la liberté individuelle, des idées qui ont conduit, a-t-il dit, à la chute du mur de Berlin - ces déclarations n'ont pas été reprises par la presse chinoise.

Des musées français et européens réfléchissent à des expositions dans ce musée - le Louvre poursuit de son côté une coopération avec la Cité interdite. Le groupe LVMH est en discussion avec le musée pour une exposition sur Vuitton et le voyage, fin mai. Elle devrait avoir lieu dans quatre salles du musée et durer entre deux ou trois mois, selon une porte-parole du groupe à Shanghaï.

Avec ses ambitions, ses énormes espaces à remplir, et son prestige, ce paquebot chinois est courtisé par les musées du monde entier. Ce ne sera pas simple. Car, souligne un expert, " les lignes éditoriales des musées chinois ne sont pas toujours limpides ".

Brice Pedroletti

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