jeudi 21 avril 2011

L'or franchit pour la première fois 1.500 dollars - Guillaume Maujean

Les Echos, no. 20917 - Marchés, jeudi, 21 avril 2011, p. 24

L'once est montée hier jusqu'à 1.506,03 dollars sur le marché au comptant, un nouveau record historique. L'affaiblissement du dollar et les craintes de poussée inflationniste jouent en sa faveur. Les derniers chocs ont également renforcé l'appétit des investisseurs pour la « relique barbare ».

Un cap symbolique est franchi. Pour la première fois de son histoire, l'or a dépassé hier les 1.500 dollars l'once sur les marchés au comptant. Les cours sont montés jusqu'à 1.506,03 dollars à New York en cours de séance. Un record de plus pour le métal jaune, dont le prix a quintuplé au cours des dix dernières années. Dans le même temps, l'indice CAC 40 affiche toujours une baisse de plus de 40 % depuis son record de septembre 2000...

Si l'or brille actuellement de tous ses feux, c'est qu'il bénéficie d'un alignement des astres sans précédent. La « relique barbare », chère à Keynes, bénéficie d'abord de son statut de refuge. Révoltes dans le monde arabe, tsunami au Japon, appel à l'aide du Portugal, avertissement de Standard & Poor's sur la dette américaine : les chocs se sont succédé au cours des dernières semaines, qui ont tous participé à renforcer l'appétit des investisseurs pour l'or. A cela s'ajoutent trois éléments qui jouent traditionnellement en sa faveur : la faiblesse générale des taux d'intérêt, la baisse du dollar et les craintes d'une poussée inflationniste. « L'inflation, les désordres monétaires, la crise de la dette en zone euro et les révoltes au Moyen-Orient et au Maghreb : tout cela combiné continue d'alimenter l'intérêt pour l'or », résume James Moore, du cabinet spécialisé The Bullion Desk.

D'un point de vue plus « fondamental », le métal jaune profite aussi du déséquilibre entre une offre limitée et une demande croissante. La production des mines, à quelque 2.500 tonnes d'or, est encore loin de combler la demande, qui a culminé à 3.812 tonnes l'an passé, l'équivalent de 150 milliards de dollars. Et la situation n'est pas près de s'inverser. La demande d'or est forte dans tous les segments, tirée par la joaillerie et les grands marchés d'Asie. Les importations de métal jaune ont été multipliées par six en Chine l'an passé, son succès traduisant à la fois l'opulence nouvelle des classes aisées et le besoin de se protéger contre l'inflation. Mais le plus gros acheteur de la planète est l'Inde, où, pour les paysans, l'or a toujours incarné la notion de patrimoine et d'épargne.

Les banques centrales achètent

La progression de la demande est également soutenue par les investissements dans les « trackers », ces produits financiers qui répliquent le cours de l'once. Elle bénéficie enfin du regain d'intérêt de certaines banques centrales. Pour la première fois depuis vingt et un ans, celles-ci ont acheté plus d'or qu'elles n'en ont vendu en 2010. De nombreuses banques centrales des pays émergents ont été acheteuses, notamment celle de Russie, de Chine, mais aussi de Thaïlande, du Venezuela ou du Bangladesh. Parallèlement, les pays européens ont cessé de vendre leurs réserves après la crise financière.

Où s'arrêtera cette ascension ? Des traders faisaient valoir hier que, une fois passé les 1.500 dollars, les investisseurs qui considéraient ce palier comme un objectif pourraient y voir l'opportunité d'engranger quelques bénéfices et se mettre à vendre. Mais, à long terme, rares sont les spécialistes qui ne prédisent pas une poursuite de l'appréciation des cours. Si l'or est redevenu un actif éligible dans les réserves des banques centrales, il pourrait le devenir aussi, dans les prochaines années, pour beaucoup d'investisseurs institutionnels et d'épargnants. Selon les prévisions publiées la semaine dernière par le cabinet spécialisé GFMS, dont les pronostics font autorité sur les marchés, le métal jaune devrait dépasser 1.600 dollars l'once d'ici à fin 2011. A en croire la banque Standard Chartered, il serait même entré dans un « super-cycle » qui devrait l'amener à dépasser les 2.100 dollars l'once d'ici à 2014.


Le métal jaune n'est pas toujours un rempart contre l'inflation
GUILLAUME MAUJEAN

A très long terme, l'or paraît une piètre protection contre la hausse des prix effective. Corrigé de l'inflation, son cours avait atteint 2.250 dollars dans les années 1980.

L'or est traditionnellement considéré par les analystes comme un rempart contre l'inflation. La remontée des prix qui se profile depuis le début de l'année avec la flambée du pétrole et de nombreuses matières premières explique donc, au moins en partie, l'appétit des investisseurs pour le métal jaune. L'inflation devrait atteindre cette année 2,3 % dans la zone euro et aux Etats-Unis, 3,9 % au Royaume-Uni, 4,6 % en Chine, 5,7 % au Brésil et jusqu'à 8,4 % en Russie ou 10,3 % en Inde... Les effets inflationnistes de la politique de rachat d'actifs menée par la Réserve fédérale américaine (Fed) ont eux aussi, sans doute, contribué à l'augmentation du prix de la « relique barbare ».

« Un piètre indicateur »

De fait, les cours de l'once restent extrêmement sensibles aux anticipations de hausse des prix. « Sur une période de cinq ans, les surprises inflationnistes expliquent 37 % de la variation des prix de l'or », notent les spécialistes de Lombard Odier dans leur dernier bulletin mensuel. Et lorsque les indicateurs de prix sont publiés, plus les surprises sont grandes à la hausse, plus la performance de l'or est élevée. « S'il est clair que l'or assure mieux que les actions le rôle de couverture contre les surprises inflationnistes sur un horizon de cinq ans, la protection qu'il offre est au mieux modeste et partielle, concluent cependant les spécialistes de Lombard Odier. Et les données disponibles semblent indiquer que le prix de l'or est lui aussi un piètre indicateur des futures tendances inflationnistes. »

Et à très long terme, l'or semble même offrir bien peu de protection contre la hausse des prix effective. Au début des années 1980, l'once avait atteint un sommet à 850 dollars. Mais si l'on corrige ce prix de l'inflation, elle valait en fait l'équivalent de 2.250 dollars selon la plupart des estimations, soit 50 % de plus qu'aujourd'hui. En outre, les stocks d'or de la Fed couvraient à l'époque plus que la masse monétaire. Si ces mêmes conditions étaient réunies actuellement, le prix du métal jaune serait sans doute bien supérieur, au-delà de 7.000 dollars l'once...

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