mardi 5 avril 2011

OPINION - Education : l'efficacité pour tous, c'est possible ! - Jean-Paul Brighelli


Marianne, no. 728 - Dossier, samedi, 2 avril 2011, p. 118

Professeur de lettres et essayiste, Jean-Paul Brighelli fustige "l'école de l'échec programmé". Pour "Marianne", il propose son plan de bataille pour refonder le système scolaire français et renouer avec le pacte républicain.

Marianne : Si tous les enseignants s'accordent à dire que l'école va mal, les points de vue divergent quand on évoque les solutions pour sortir de la crise. Quelle réforme pourrait faire consensus ?

Jean-Paul Brighelli : Doubler le salaire des enseignants ! Je ne plaisante pas : compte tenu de la baisse importante du nombre de candidats au Capes, il faut de toute urgence créer les conditions nécessaires pour que les jeunes aient envie de faire ce métier. Sinon, à ce rythme-là, dans cinq ans il n'y aura plus assez de profs ! Cela ne dérange pas le ministère : il a pour objectif de liquider la masse enseignante. Juste avant de quitter ses fonctions, Xavier Darcos avait dit : "J'ai raclé jusqu'à l'os." Mais pas du tout ! Deux ans de Chatel, 32 000 suppressions de postes de plus et, cette année, encore 16 000. On va plus loin que l'os... jusqu'à la moelle. C'est ce qui se passe : pour trouver des remplaçants, moult rectorats font appel à des "licenciés", c'est-à-dire à des étudiants de troisième année de fac, donc à du personnel sous-qualifié. Or, l'enseignement est un métier qui s'apprend lentement : il faut cinq ou dix ans pour devenir un bon prof. Pour remettre l'école en état de marche, il faut que la Rue de Grenelle cesse de commencer à Bercy !

Vous êtes de ceux qui affirment que l'on doit "remettre le savoir au coeur du système éducatif", mais comment cela se traduit-il concrètement ?

J.-P.B. : En arrêtant d'emmener des élèves de première 14 fois par an au cinéma au prétexte que "l'expression cinématographique" est au programme ! L'année du bac français, il faut mettre l'accent sur les cours de lettres. Et refaire les programmes, de la maternelle au bac, avec des objectifs plus exigeants : maîtriser la lecture à la fin de la maternelle, l'écriture et les quatre opérations de base à la fin du CP. Tout cela, on l'attend d'un élève de CM2, et la conséquence, c'est qu'à l'entrée en sixième le ministère lui-même recense 17 % d'illettrés. Résultat : 10 % des élèves de sixième suivent des cours particuliers. Le plus grave, c'est que ce ne sont pas forcément les parents les plus aisés qui y ont recours. Au contraire, ce sont souvent les immigrés de la première génération qui font les plus gros efforts financiers, alors que c'est à eux que l'école aurait dû s'adresser !

Par quels moyens peut-on remettre de la mixité sociale dans les écoles ?

J.-P.B. : La carte scolaire a longtemps bien fonctionné. Et puis on a inventé les ZEP, vraies zones d'exclusion programmée, qui installent le ghetto scolaire à l'intérieur du ghetto social. Dans le Nord, plutôt que de réhabiliter des collèges en fin de vie, ils ont les ont détruits et reconstruits ailleurs. Je crois qu'il faut construire des ZEP à la campagne ! Plus sérieusement, si on veut faire de la mixité sociale, il faut le faire sur des bases de résultats scolaires : je n'ai pas peur de dire qu'il faut faire des établissements et des classes de niveau, à condition que les élèves puissent glisser de l'un à l'autre en fonction de leurs résultats.

Donc abolir le "collège unique". Mais pour le remplacer par quoi ?

J.-P.B. : Par une structure assez souple pour qu'un élève puisse être dans le groupe des très bons en français et, en maths, rejoindre le groupe de ceux qui ont des difficultés. Contrairement à ce que les "pédagos" ont dit et répété, ce n'est parce qu'on va mettre les plus faibles avec les plus forts que cela va tirer les plus faibles vers le haut. La réalité, c'est que cela a abaissé le niveau des plus forts. C'est un peu comme en gym, si l'on veut que tout le monde saute, il faut descendre la barre. Résultat : on n'a pas rendu service aux plus faibles qui sont restés les plus faibles et on n'a pas rendu service aux plus forts qui, lorsqu'ils se retrouvent au niveau des études supérieures, sont effarés par le fossé qu'il y a entre les deux enseignements. Dans le lycée où j'enseigne, on a créé une CPES, c'est-à-dire une "classe relais" entre la terminale et la première année de prépa : on prend un an pour remettre les élèves à niveau. Eh bien, des CPES, il faut en fabriquer tout au long de la scolarité : notamment entre le CM2 et la sixième.

Que suggérez-vous pour réduire la violence en milieu scolaire ?

J.-P.B. : Là aussi, il faut "désunifer" le collège : 35 bons élèves dans une classe, c'est gérable, et 15 élèves en difficulté dans une classe, c'est un maximum. Ensuite, il faut impérativement séparer les gangs potentiels qui se connaissent depuis l'école primaire, se retrouvent ensuite au collège et se perpétuent au lycée ou au lycée professionnel. Dans la région de Montpellier, il a suffi de transférer tel ou tel élève dans tel ou tel collège, de scinder les groupes constitués, pour que s'arrêtent les graves problèmes de violence. Du travail au cas par cas. Et puis il faudrait expliquer une bonne fois pour toutes à l'administration des établissements que la parole des élèves n'est pas forcément parole sainte ! Et redonner aux enseignants la possibilité d'avoir une échelle de sanctions précises.

Que faut-il faire pour relever le niveau général des élèves ?

J.-P.B. : Prenons le cas de l'enseignement de l'histoire. J'ai, en hypokhâgne, des élèves qui ignorent des pans entiers de l'histoire. Au moins jusqu'à la fin de la troisième, il faut revenir à une analyse chronologique stricte. Les élèves, tout ce qu'ils demandent, c'est qu'on leur raconte l'histoire dans l'ordre ! Au début de chaque année scolaire, il faut raconter l'histoire en commençant par l'homme des cavernes en finissant au XXIe siècle. Et, en fonction de la classe, approfondir des périodes particulières. Il faut aussi en finir avec l'étude de documents qui consiste à donner aux élèves le type de méthode qui s'utilise à bac + 5. Analyser des images d'archives nécessite de sérieuses connaissances. Or, sans cadre historique, on peut leur balancer toutes les gravures que l'on veut, ils ne sauront pas de quoi l'image leur parle !

Que préconisez-vous pour le lycée professionnel ?

J.-P.B. : La grande erreur a été de trop le professionnaliser, alors qu'on n'a aucune idée de ce que seront les professions de demain ! Pour former les jeunes à des métiers dont on ignore tout, il faut leur ouvrir le plus de perspectives possibles. Cela passe donc par l'augmentation du temps consacré aux enseignements généraux dans les filières professionnelles. Car la clé de la liberté sociale passe par la maîtrise du savoir. Surtout, il faut créer des classes de transition entre le lycée professionnel et le lycée général.

Quels sont les obstacles idéologiques et politiques à la réforme que vous prônez ?

J.-P.B. : Mes positions représentent 30 à 40 % des voix qui s'expriment dans les salles des profs. Même au sein du Snes, il y a une tendance lourde au retour à la discipline et à la transmission des savoirs. C'est avant tout une question de volonté politique et de méthode. Je finis par penser que l'on devrait s'inspirer du mode d'élection du pape : on enferme dans une pièce tous les représentants des métiers de l'éducation, on leur glisse de la nourriture par un soupirail et on ne les laisse sortir qu'une fois qu'ils ont réformé le système !

Propos recueillis par Philippe Petit et Anna Topaloff

Jean-Paul Brighelli est l'auteur de La Fabrique du Crétin : La mort programmée de l'école, Jean-Claude Gawsewitch Editeur, et vient de publier Tireurs d'élite, Plon.

Ce que "Marianne" propose

1) Augmenter de 50 % le salaire des enseignants en échange d'une présence permanente dans les établissements (pour le soutien et l'aide aux élèves en difficulté) et recréer les heures de permanence surveillées.

2) Supprimer le collège unique, établir des programmes selon les besoins scolaires des élèves et recréer des classes de transition entre les filières professionalisantes et générales pour permettre aux élèves de passer des unes aux autres.

3) Enseignement obligatoire de l'histoire (sous sa forme chronologique) et de l'économie dans toutes les filières.

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