Dans les pays arabes, Internet a permis aux mouvements d'opposition de se structurer. En Chine, il n'existe rien de tel.
Tout commence dans les derniers jours de février. Le site Boxun, animé par des dissidents chinois expatriés aux Etats-Unis, lance un appel à manifester, en Chine, dans l'esprit de la révolution du Jasmin tunisienne. Aussitôt, les forces de sécurité sont mises en alerte. Aux points de rendez-vous donnés aux internautes, la mobilisation policière est massive et, sur la Toile, la censure redouble d'efforts. Dans les semaines qui suivent, une vague d'arrestations, sans précédent ces dernières années, frappe avocats engagés, artistes et écrivains militants, défenseurs des droits civiques... Le Parti communiste chinois, gagné par la nervosité, semble décidé à écraser dans l'oeuf toute contestation politique, comme si le pays était au bord de l'explosion. Pourtant, les appels à manifester sont très peu suivis.
Le paradoxe de la situation en Chine est là. Le pays connaît chaque année plusieurs dizaines de milliers d'"incidents de masse" - révoltes paysannes, grèves sauvages, manifestations contre la corruption ou les expropriations... - et, en même temps, le régime semble plus stable que jamais. Comme si les appels à se soulever n'intéressaient pas les Chinois, à l'exception d'une minuscule frange d'activistes très politisés.
La censure d'Internet, qui mobiliserait près de 40 000 policiers, y est sans doute pour quelque chose. Mais beaucoup de Chinois ont appris à la contourner. Dans une société aussi dynamique, qui compte près d'un demi-milliard d'internautes et où la version locale de Twitter, Weibo, connaît un essor fulgurant, les révoltes devraient, en toute logique, entrer en contact les unes avec les autres via Internet, se multiplier, exploser. Il n'en est rien.
Pas d'opposition politique, hors quelques individus isolés
En fait, si la Toile met les individus en contact les uns avec les autres, elle ne suffit pas à structurer un mouvement d'opposition politique. Or tout mouvement contestataire suppose une organisation hiérarchique, même a minima. Cela peut sembler extraordinaire, mais il n'y a pas d'opposition politique en Chine, seulement des individus isolés.
Dans leur immense majorité, les centaines de millions d'internautes chinois ne s'intéressent pas au sort de Liu Xiaobo, le Prix Nobel de la paix 2010 qui croupit en prison, ni aux discours contestataires qui circulent malgré la censure. Très dépolitisés, ils préfèrent s'adonner aux délices du partage sur Internet de musique et de films, à la consommation, aux jeux en ligne... S'ils perçoivent bien les injustices et les défauts du système - presse muselée, droits humains bafoués -, de nombreux Chinois posent les priorités différemment. Pour l'essentiel, ils souhaitent accéder au logement, à l'éducation pour leurs enfants, ou espèrent, dans un futur proche, la mise en place de filets de protection sociaux efficaces. Et ils réclament une intervention de l'Etat central afin de régler ces problèmes, quitte à le mettre brutalement face à ses contradictions. Sur d'autres sujets, comme le nationalisme - la question du Tibet, par exemple - ou la nécessaire mise au pas des bureaucraties locales, un certain consensus règne entre le pouvoir central et la population.
Malgré l'aggravation des inégalités, tant que se poursuit la croissance économique, il y a peu de chances qu'apparaisse une révolution du Jasmin chinoise. Si la croissance venait à faiblir, en revanche, le Parti communiste chinois pourrait commencer à s'inquiéter.
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