Sur Internet, l'antijournalisme réclame l'information aux dépens de la loi
En se réjouissant, dans les colonnes de Libération du 7 avril, que "l'origine éventuellement illicite d'une information devienne secondaire si cette information se révèle légitime parce que d'intérêt public", le directeur de Mediapart Edwy Plenel donne la formule magique de l'antijournalisme qui sévit désormais sur Internet, et qui réclame l'information aux dépens de la loi comme les tyrans promettent le bonheur aux dépens de la liberté.
Prenons des exemples. Imaginez que votre conjoint fouille dans votre journal intime pour ensuite vous demander des comptes sur ce qu'il y a trouvé : qui serait fautif ? L'infidèle ou l'inquisiteur ? Aimeriez-vous que les propos sexistes que vous avez tenus un soir de beuverie entre ami(e)s se retrouvent en ligne ? Trouvez-vous normal que - tels Eric Woerth avec Mediapart ou les accusés de l'affaire Clearstream, hâtivement désignés comme des "coupables" par le président de la République - un homme soit condamné avant d'être jugé ?
Le rôle de la loi est non pas de dissimuler la vérité, mais de veiller à ne pas la confondre avec l'abus de pouvoir : sans loi, Internet n'est qu'un revolver entre les mains de milliards d'enfants. Et, faute de loi, le premier devoir d'un citoyen est de ne pas céder à l'obscène, de ne pas se laisser hypnotiser par des "révélations", au point d'oublier que l'indécence d'un propos, quel qu'il soit, est, en démocratie, moins grave que la duplicité des méthodes mises en oeuvre pour le capter. Car, si tel n'était pas le cas - et nous en courons le risque -, ce serait le retour de l'ordre moral, nous serions tous des loups les uns pour les autres.
Vous objecterez peut-être que, pour convaincre d'anciens nazis de témoigner, Claude Lanzmann a usé dans Shoah de moyens douteux, que, si Carl Bernstein et Bob Woodward n'avaient pas eu tant de courage dans l'affaire du Watergate, Nixon n'aurait jamais démissionné, que les politiciens corrompus méritent des journalistes indiscrets, et vous aurez raison. Mais, de même qu'on peut lutter contre la peine de mort tout en comprenant parfaitement qu'un père étrangle de ses propres mains l'assassin de son fils, il est possible (et même nécessaire) de combattre le culte paranoïaque de la transparence, tout en saluant le courage de ceux qui, contournant la loi, révèlent au grand jour les turpitudes du pouvoir. Aux antipodes de ces vrais journalistes, ceux qui érigent en méthode le recours exceptionnel à l'"illicite" revient à promulguer, de fait, une loi qui légitime le lynchage.
C'est ainsi que, en diffusant l'enregistrement clandestin de Liliane Bettencourt, Edwy Plenel s'est conduit exactement comme le pouvoir qui, en son temps, l'avait mis lui-même sur écoute. Quand on confond la règle et la censure, quand on prend la déontologie pour de la dissimulation, l'information qu'on propose n'est plus qu'une dé(sin)formation, et l'antijournalisme sert de police secrète à la tyrannie de la majorité.
PHOTO - A Mediapart, Edwy Plenel a agi comme le pouvoir qui l'avait mis sur écoute.
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À LIRE : LE DROIT DE RÉPONSE D'EDWY PLENEL
3 commentaires:
et confondre le souci et la nécessite d'un pouvoir transparent avec la légitimité douteuse d'une société de surveillance des citoyens et civils, c'est une belle preuve d'anti journalisme, en effet.
Ne pas confondre la loi avec l'abus de pouvoir?
Quand Julian Assange était interrogé sur la nécessité de transparence promue par le modèle de Wikileaks, celui-ci expliquait que ce besoin de transparence était important là où le pouvoir était important, et devait au contraire être limité au niveau de l'individu.
Internet - qui semble être amalgamé à une 'arme' dans cet article - permet justement cet anonymat individuel. Les montées de mouvements type 'Anonymous' sont assez emblématiques, même si, au fur à mesure que de tels groupes de contre-pouvoir (Anonymous, Wikileaks) gagnent en 'pouvoir' on peut se demander 'qui va surveiller les surveillants', et devenir paranoïaque quant à une certaine société du contrôle où chacun surveillerait chacun.
Pour éviter une telle paranoïa, il faut peut être re-hierarchiser les vrais lieux du pouvoir, et leurs relations.
Mediapart/Edwy Plenel ont eu des actions douteuses? ce qui est bien, c'est qu'on peut en discuter. Personnellement, le pouvoir d'un Edwy Plenel propriétaire d'une info 'illicite' se résumerait à pouvoir dire dans quelle direction le vent de l'actualité va souffler.
C'est ce qui s'est passé. ça n'a pas changé ma vie...
(celle d'Eric Woerth, sans doute plus...)
Par contre les actions politiques d'un gouvernement aux conflits d'intérêts problématiques ont bien d'avantage de chances d'influencer ma vie. Des infos 'illicites' ? Des écoutes 'illicites' commandées par des membres du gouvernement? Le pouvoir qui a besoin d'une transparence, d'un rétro-contrôle' négatif capable d'en réguler les excès, me semble plus au niveau de ces 'cercles de pouvoir' qu'au niveaux de journalistes à la déontologie discutable.
Les journalistes ne sont pas neutres, mais votre dernière phrase "l'antijournalisme sert de police secrète à la tyrannie de la majorité" me fait très peur : quelle en serait la négative?
"le journalisme sert de police publique à la tyrannie d'une minorité"...
Ah oui, c'est effectivement le cas aujourd'hui !
Des "journalistes" qui ne posent pas les questions qui fâchent mais se contentent de répéter les 'thèmes' qui leur sont servis pré-mâchés : Islam, insécurité, logement. Les journalistes TV incapables d'une réaction critique quand notre président leur sort des chiffres FAUX pour illustrer un propos tout aussi discutable.
Tiens, en parlant de 'journalisme' qui soutient le lynchage, le Point vient de sortir un beau numéro sur les responsables de la ruine de la France. (au choix : dockers, controleurs aériens...)
Tapez sur votre voisin !
Quand on prend la question de la légitimité par le biais de l'utilité, on peut tout justifier, et hélas, ça n'a pas de fin.
Les journalistes devraient être ceux qui nous expliquent le monde, et non ceux qui enquêtent comme des policiers, accusent comme des procureurs et jugent comme des magistrats.
Relisons Camus et son éthique journalistique ! La fin ne justifie pas tous les moyens.
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