Cet ancien chef de la diplomatie indienne témoigne de la tension latente provoquée en Asie par l'ambition de la Chine d'y jouer un rôle prééminent
A entendre Yashwant Sinha, l'Asie est loin d'être un continent apaisé. Ancien ministre des finances (1998-2002) et ministre des affaires étrangères (2002-2004) de l'Inde, ce septuagénaire a connu plusieurs périodes de tensions avec le Pakistan. Figure du principal parti d'opposition au parlement de New Delhi, le Bharatiya Janata Party (BJP, Parti du peuple indien), il se rend encore régulièrement de l'autre côté de la ligne de cessez-le-feu qui sépare les deux pays, pour discuter avec des hommes politiques, des journalistes et des représentants de la société civile.
De passage à Paris, cet ancien haut fonctionnaire entré en politique à 47 ans préfère toutefois attirer l'attention sur un autre voisin, la Chine. Et alors que Pékin assure que sa croissance économique, politique et militaire ne menace en rien la stabilité du continent, Yashwant Sinha prétend le contraire, égrenant une litanie de griefs qui remontent à 1962. Cette année-là, une guerre oppose les deux géants asiatiques. Elle se conclut par « une défaite humiliante de l'Inde », rappelle l'ancien chef de la diplomatie. Depuis, même si les relations se sont améliorées, avec notamment des échanges commerciaux qui dépassent 40 milliards d'euros par an, « les blessures sont toujours prêtes à saigner ».
Depuis, en effet, 3500 km2 de territoires que l'Inde considère comme siens sont sous contrôle chinois. Pékin ne reconnaît pas, en revanche, un territoire himalayen sous souveraineté de New Delhi, l'Arunachal Pradesh, et refuse d'accorder des visas à ses habitants. Par ailleurs, le Pakistan a cédé à la Chine une partie du Cachemire que revendique l'Inde, Pékin y déployant plusieurs milliers de soldats et y construisant une route stratégique. Les sources du fleuve Brahmapoutre, qui naît au Tibet avant de se jeter dans le golfe du Bengale, sont un autre sujet d'inquiétude, tout comme l'influence chinoise chez les voisins de l'Inde: Birmanie, Bangladesh, Sri Lanka, Pakistan... Les deux puissances rivales s'opposent aussi sur le Tibet, le dalaï-lama et une importante communauté tibétaine exilée vivant en Inde. « Pour que la paix s'installe entre nos deux pays, il faudrait que l'Inde devienne concurrentielle sur le plan économique et militaire et que la Chine devienne une démocratie, résume-t-il. En attendant, la relation est marquée par la suspicion. »
« La montée de la Chine n'est pas un phénomène bénin, insiste Yashwant Sinha, qui note une poussée du nationalisme au sein du Parti communiste chinois, jusqu'aux plus hauts cercles dirigeants. Elle veut devenir une puissance suprême dans tous les secteurs. Mais un jour, un pays devra se lever et dire aux Chinois : Cette fois, vous allez trop loin!'' J'espère que ce pays sera l'Inde. »
Yashwant Sinha a d'autant plus de temps pour distiller ses analyses qu'il s'est mis en congé de ses responsabilités au sein de son parti. En 2009, le BJP a subi une sévère défaite face au parti du Congrès lors des élections générales. Dans une lettre ouverte, il a démissionné de son poste de vice-président en dénonçant la mainmise de la faction liée à l'un des chefs historiques, L. K. Advani.
Yashwant Sinha appartient à l'aile modérée d'un parti dont certains courants sont proches d'organisations paramilitaires hindoues qui n'hésitent pas à déclencher des violences contre des Indiens musulmans, voire chrétiens. Aujourd'hui, à New Delhi, le débat porte notamment sur l'extension de la politique des quotas, qui vise à aider les castes et les classes indiennes les plus défavorisées, notamment dans le système scolaire et universitaire. Le BJP s'oppose au parti du Congrès, qui parle d'étendre ce système aux musulmans. « Une mesure fondée sur la religion serait inconstitutionnelle car la Constitution prévoit la laïcité », assure l'élu de Hazaribagh, circonscription se trouvant dans le nouvel État du Jharkhand. Ce pourrait être un sujet de confrontation lors des élections législatives de 2014.
Jean-Christophe PLOQUIN
Le 12 septembre 2000, il devient président du Comité du développement
Yashwant Sinha est ministre des finances du gouvernement indien depuis deux ans lorsqu'il est désigné président du Comité de développement, un forum conjoint de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international qui vise à établir un consensus entre gouvernements sur les questions de développement. Ce poste conforte sa stature internationale, alors qu'il est perçu comme l'un des artisans du décollage économique indien. Sa nomination accorde aussi un brevet de respectabilité à son parti, le BJP, longtemps suspecté d'extrémisme nationaliste.
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