mercredi 13 avril 2011

OPINION - L'économie chinoise est encore loin du point de retournement - François Bourguignon

Les Echos, no. 20911 - Idées, mercredi, 13 avril 2011, p. 13

Des signes de tension sont apparus ces derniers temps sur le marché du travail urbain en Chine : fréquence croissante de mouvements sociaux (grève chez Honda en 2010), accélération de la hausse des salaires, et même, dit-on, recours à de la main-d'oeuvre étrangère. Certains analystes en déduisent que le surplus de main-d'oeuvre est en voie d'extinction et que l'économie est proche du « point de retournement de Lewis », du nom du fameux économiste du développement, prix Nobel 1979. Passé ce point, la croissance est susceptible de ralentir du fait d'une pression salariale croissante, et la structure économique s'en trouve modifiée. En particulier, une main-d'oeuvre plus chère devrait rendre les exportations moins compétitives et réorienter le développement vers les biens non échangeables et les marchés nationaux, réorientation qui figure en tête de l'agenda fixé par le XIIe Plan quinquennal de développement, tout récemment approuvé par les instances politiques.

Une telle vision du développement à moyen terme chinois paraît optimiste. Peut-on en effet penser que le surplus de main-d'oeuvre d'une économie dont la population est encore aujourd'hui à 57 % rurale, avec une productivité qui représente moins du tiers de celle de la population urbaine, soit sur le point de disparaître ? Rien n'est moins sûr. Mais alors, comment expliquer le paradoxe d'une tension sur le marché du travail urbain coexistant avec un apparent surplus de maind'oeuvre rurale en l'absence d'un resserrement notable des contrôles migratoires ?

L'explication réside dans l'hétérogénéité de la population rurale et la composition évolutive des flux migratoires. La migration récente concerne surtout des jeunes, mieux éduqués que leurs aînés, avec peu de charges de famille, et s'adaptant facilement aux contraintes de l'emploi industriel dans les grandes métropoles. De 2000 à 2010, les effectifs des 25-35 ans ont été divisés par deux dans la Chine rurale alors que sur l'ensemble de la population, ils ne diminuaient que de 10 %.

Les réserves de migrants restent cependant importantes et le XIIe Plan prévoit encore la migration de quelque 200 millions de personnes dans les dix prochaines années. Mais ces migrants potentiels ont un profil moins intéressant pour les industries exportatrices et un coût migratoire plus élevé que la vague précédente. Les attirer en ville et continuer de résorber le surplus de main-d'oeuvre chinois exige donc non seulement un niveau de salaire plus élevé mais aussi des conditions administratives, économiques et sociales de la migration plus favorables.

Une autre raison de douter d'un retournement proche du marché chinois du travail est la baisse continue de la part du travail dans le PIB constatée depuis une vingtaine d'année. Peu de données existent sur les toutes dernières années mais cette évolution, associée au maintien d'une croissance rapide, paraît peu compatible avec une économie où le travail deviendrait rare.

Le point de retournement de Lewis, où la productivité du travail sera comparable dans les villes et dans les campagnes, est probablement encore lointain. Les dirigeants chinois désirent effectuer rapidement une réorientation majeure de leur économie en direction des marchés nationaux, suivant en cela les exhortations de leurs partenaires étrangers. Poursuivre cet objectif exige des politiques volontaristes plutôt que de s'en remettre à l'équilibrage progressif du marché du travail.

François Bourguignon est directeur de Paris School of Economics.

PHOTO - A worker is silhouetted as he sits atop scaffolding atop a newly constructed building in central Beijing April 13, 2011. China's real estate investment rose 35.2 percent in the first two months from a year ago, up from a 33.2 percent pace for all of 2010, the National Bureau of Statistics on Friday. That came after the government issued fresh measures in late January, including higher downpayment and a maiden launch of a property tax, to rein in the red-hot real estate market and keep housing inflation in check.

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