Le Monde - Page Trois, mardi 17 mai 2011, p. 3La photo restera, quoi qu'il arrive.
Dominique Strauss-Kahn a quitté, dimanche 15 mai, à 23 heures, le commissariat de Harlem, à New York, où il était détenu depuis trente heures, menotté et l'air sombre, devant la petite foule de journalistes et de photographes qui l'attendaient. Inculpé de " tentative de viol ", " actes sexuels criminels " et " séquestration illégale " sur une femme de ménage de l'hôtel Sofitel où il séjournait, " il a l'intention de se défendre vigoureusement et dément toute mauvaise conduite ", a insisté l'un de ses avocats, Benjamin Brafman, une star du barreau new-yorkais qui défendra le directeur général du FMI.
Ses avocats ont déjà entrepris de contester le témoignage de la femme de ménage qui l'accuse. Cette jeune femme noire de 32 ans, mère d'une petite fille de 10 ans, travaillait cependant depuis trois ans au Sofitel " de façon satisfaisante ", a souligné le directeur de l'hôtel, Jorge Tito.
Dominique Strauss-Kahn, qui plaide non coupable, a d'ailleurs accepté de se soumettre à de nouvelles analyses visant à rechercher les traces d'ADN, " de cheveux et de sperme ", la police cherchant également à vérifier des " traces de griffure " avant de le déférer au tribunal, au sud de Manhattan, où DSK devait comparaître lundi en fin d'après-midi (heure française). Si le procureur confirmait les chefs d'inculpation, il risquerait alors des peines criminelles pouvant dépasser vingt ans de prison.
Que s'est-il donc passé dans cette suite 2806, au 45 West de la 44e rue, au coeur de Manhattan ?
Dominique Strauss-Kahn est arrivé vendredi soir au Sofitel. C'est un établissement de haut niveau, qui appartient au groupe français Accor, où descendent habituellement diplomates et hommes d'affaires et où le directeur du FMI a ses habitudes lorsqu'il vient à New York. M. Strauss-Kahn y a réservé une suite à 3 000 dollars (2 121 euros) pour y passer vingt-quatre heures, pour des raisons strictement privées et notamment pour déjeuner avec l'une de ses filles qui étudie dans la ville américaine.
Il a prévu de partir le samedi après-midi par le vol Air France AF 023 de 16 h40 pour Paris, où sont organisés des rendez-vous politiques en vue de l'élection présidentielle française. Il doit ensuite se rendre à Berlin pour un entretien avec la chancelière Angela Merkel et enfin rejoindre, lundi 16 mai, Bruxelles pour la réunion européenne consacrée à l'augmentation de l'aide européenne à la Grèce.
Selon les versions policières - dont la chronologie a parfois divergé -, c'est vers midi que la femme de ménage de l'hôtel serait entrée dans la suite, composée d'un vestibule, d'une salle de réunion, d'un salon et d'une chambre à coucher, pour la nettoyer. Sortant nu de la salle de bain, Dominique Stauss-Kahn se serait alors approché " par derrière " de la jeune femme, cherchant à lui " toucher les seins ". Il l'aurait ensuite entraînée du vestibule jusqu'à la chambre, la projetant sur le lit. Puis, l'aurait " forcée à accomplir un acte sexuel ". Auparavant, il aurait été à la porte d'entrée de la suite afin de fermer son verrou, ce qui lui vaut aujourd'hui cette accusation de " séquestration illégale ".
Selon les premiers propos du principal enquêteur, le commissaire adjoint Paul Browne, la jeune femme " se serait débattue, et il - DSK - l'aurait alors tirée de force vers la salle de bain, où il l'a agressée sexuellement une seconde fois ". La victime serait alors parvenue à échapper à son agresseur présumé et à sortir de la suite, sans apparemment qu'il cherche à l'en empêcher. C'est après son témoignage auprès du personnel de l'hôtel que la police aurait été appelée, par le 911, le numéro d'urgence des victimes.
Lorsque la police est arrivée, vers 13 h 30, M. Strauss-Kahn avait quitté sa chambre, le " check out " de l'hôtel l'ayant signalé réglant sa note à 12 h 28. D'après ses proches, contactés à Paris, il a déjeuné avec sa fille dans un restaurant, dès son départ de l'hôtel, un élément qui n'a, jusqu'ici, jamais été mentionné par la police. Puis, il a pris une voiture pour l'aéroport. Le samedi après-midi, le trajet pour l'aéroport John-Fidgerald-Kennedy peut prendre une heure.
Vers 15 h 40, il s'est enregistré sur le vol pour Paris, dont il avait réservé le billet de longue date. C'est alors que, constatant qu'il avait oublié un de ses téléphones portables dans sa chambre, il a appelé la réception du Sofitel afin de lui demander de le faire porter jusqu'à l'aéroport. La police, qui écoutait la conversation n'a plus eu qu'à se rendre à l'embarquement d'Air France. C'est dans l'avion pour Paris, que la police avait fait retarder, que deux agents de la Port Authority ont arrêté à 16 h 40 M. Strauss-Kahn, qui avait déjà pris place dans la cabine des premières classes et ne s'est pas opposé à son arrestation.
A Paris, l'épouse de Dominique Strauss-Kahn, Anne Sinclair, restée en France, a appris la nouvelle dans la soirée et s'est réfugiée chez des amis afin de fuir les paparazzi qui n'ont pas tardé à guetter l'entrée du domicile parisien du couple, place des Vosges. Elle a confié à des proches avoir eu Dominique Strauss-Kahn, samedi, après que celui-ci eut déjeuné avec sa fille. Elle l'aurait eu également sur le trajet de l'aéroport. D'après l'un des proches, Anne Sinclair aurait alors rapporté une conversation avec son mari, celui-ci évoquant un " problème grave ", mais sans faire aucune allusion à l'agression de l'hôtel. Dimanche, Anne Sinclair a publié un bref communiqué indiquant ne pas croire " une seule seconde aux accusations " d'agression sexuelle. " Je ne doute pas que son innocence soit établie. J'appelle chacun à la décence et à la retenue ", a-t-elle déclaré.
Dès qu'ils ont appris la nouvelle, les amis et conseillers du directeur général du FMI se sont réunis pour le défendre et affirmer à la presse que cette agression sexuelle " ne lui ressemble pas ", allant jusqu'à évoquer un coup monté dans le " russian style ", comme ils disent. Ses communicants, Stéphane Fouks, Ramzi Khiroun, Gilles Finchelstein et Anne Hommel n'étaient pas encore partis à New York, lundi, préférant laisser passer " le temps judiciaire ".
La machine judiciaire est effectivement enclenchée. Dimanche, Dominique Strauss-Kahn a été présenté parmi d'autres hommes derrière une vitre sans teint et formellement reconnue par la victime présumée. Le consul de France Philippe Lalliot, a pu lui rendre visite quelques instants. Mais très vite, la France a constaté qu'il ne bénéficie de l'immunité diplomatique sur le territoire américain que pour ses activités effectuées au nom du FMI. Dans ce cas spécifique, il ne saurait la revendiquer, se trouvant à New York " à titre privé ".
Il dispose de l'assistance de deux des avocats les plus renommés de New York, William Taylor et Benjamin Brafman, l'ancien défenseur de Michael Jackson. A l'issue de sa comparution, lundi, Dominique Strauss-Kahn devait savoir s'il sortirait libre du tribunal, pour quelle caution (la somme de plusieurs millions de dollars est évoquée) et surtout s'il sera libre de voyager hors du pays.
Raphaëlle Bacqué et Sylvain Cypel, à New York
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