mercredi 4 mai 2011

En Chine, le camp libéral tente de faire entendre sa voix malgré la répression


Le Monde - International, jeudi 5 mai 2011, p. 6

Dans le climat de répression accrue et de reprise en main politique qui règne en Chine, faire entendre sa voix d'intellectuel libéral est une gageure. He Weifang, professeur de droit à l'université de Pékin, en sait quelque chose : quand il a tenté de faire paraître un papier d'opinion sur les dérives de l'exercice de la justice dans la ville de Chongqing (sud-ouest de la Chine), où une " campagne rouge " bat son plein, les trois titres les plus ouverts de la presse chinoise se sont vu refuser l'autorisation de le faire. Seul un quotidien de Shanghaï a osé.

" Vous comprenez, Bo Xilai - chef du parti de Chongqing - peut faire chanter des chansons rouges et dire que c'est socialiste, mais les libéraux peuvent difficilement exprimer ouvertement leurs critiques. Sinon, ils sont épinglés comme faisant le jeu de l'Occident et comme ennemis de la Chine ", nous explique-t-il.

La pirouette idéologique qui a permis de lancer les réformes économiques en Chine communiste il y a trente ans - " Ce qu'on ne peut pas dire, on peut le faire. Ce qu'on peut faire, on ne peut pas le dire ", avait lancé Deng Xiaoping - devient un exercice périlleux dans les périodes de tension, comme aujourd'hui, où la Chine craint une contagion des révoltes arabes.

Jeudi 28 avril, le camp libéral, une nébuleuse intellectuelle et sociologique davantage que politique, a pourtant tenté de donner de la voix. Sous la forme d'un article d'opinion cinglant publié par le très officiel Quotidien du peuple. Une citation attribuée à Voltaire - " Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu'à la mort pour que vous ayez le droit de le dire ", ouvre la danse. Une " forme d'ouverture et surtout de confiance ", continue l'auteur, alors que " les insultes et les batailles rangées " sont un " signe de faiblesse et d'étroitesse d'esprit ". La Chine est à " un tournant historique ", où " la diversité est le secret de la prospérité ".

L'éditorialiste fustige ceux qui, face à la critique, " utilisent leur pouvoir pour faire taire ceux qui ont une voix distincte ". Cette apologie de la tolérance est une attaque ouverte contre l'hystérie sécuritaire qui a conduit ces dernières semaines à des dizaines d'arrestation d'avocats, mais aussi de l'artiste chinois Ai Weiwei, toujours au secret.

Le même jour, le premier ministre Wen Jiabao, le seul des hauts dirigeants chinois à encourager une réforme politique du régime, réitérait lors d'une rencontre avec la presse chinoise à Kuala Lumpur (Malaisie), où il était en visite officielle, l'obligation pour la Chine " de faire avancer les réformes politiques, économiques et judiciaires ". La chose " la plus importante pour le développement futur de la Chine ", a-t-il insisté, est de " promouvoir une manière de pensée indépendante et la créativité ". Ses propos n'ont pas été repris par la presse chinoise, et sont surtout le signe, juge le politologue Joseph Cheng, de la City University de Hongkong, de la " frustration " d'un homme d'Etat qui, même en tant que premier ministre, n'a pu initier les réformes politiques malgré des appels répétés en ce sens. Selon M. Cheng, cité par le South China Morning Post de Hongkong, Wen Jiabao multiplie ce genre de messages, car il n'aura plus voix au chapitre après son départ à la retraite en 2012.

S'il n'y a pas de fracture au sein des instances dirigeantes du parti, comme il y en eut en 1989, au moment des événements de Tiananmen, la remise au goût du jour du maoïsme et de méthodes répressives anachroniques est très mal ressentie par les milieux les plus libéraux de la société et du parti. Le durcissement est attribué à une partie de l'élite au pouvoir, une sorte d'aristocratie rouge-brune qui défend becs et ongles ses prébendes. Le pouvoir et l'argent à sa disposition lui ont permis de soumettre, ou de coopter, un grand nombre d'alliés.

La répression dont font les frais les avocats et les voix dissidentes traduit une crise plus profonde : un désarroi du régime face aux aspirations de moralité, de justice et de spiritualité de la population, estime He Weifang. " Tout le monde se rend compte qu'il faut un système judiciaire juste, estime-t-il. Mais la capacité des avocats à révéler les dysfonctionnements du système à l'opinion publique, et à s'appuyer sur la loi pour défendre des victimes, a poussé le gouvernement à réagir. La haute direction du pays les considère comme des fauteurs de troubles, comme une source de problèmes et de dangers. La construction du système judiciaire est donc tout à coup passée au second plan. "

He Weifang est un lecteur assidu d'Alexis de Tocqueville, en particulier de L'Ancien Régime et la Révolution. On y comprend, explique-t-il, comment la monarchie française a raté le tournant, pris en Angleterre avec l'habeas corpus, qui a consenti plus d'espace à la défense des droits et aux avocats. Une lecture, qu'il conseille, dit-il aux... dirigeants chinois.

Brice Pedroletti

PHOTO - A member of the Chinese security personnel keeps watch on Tiananmen Square during the closing session of the National People's Congress at the Great Hall of the People in Beijing on March 14, 2011. Premier Wen Jiabao on March 14 rejected comparisons between China and the unrest in the Middle East and North Africa, after turmoil there sparked calls for anti-government protests in China.

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