Marianne, no. 735 - Magazine, samedi 21 mai 2011, p. 70
Tétanisées par la peur du déclassement, l'insécurité et la mixité sociale, les classes moyennes et aisées sont de plus en plus nombreuses à s'installer dans des résidences sécurisées. Un repli entre soi qui en dit long sur la société française.
L'accent vent d'autan et l'inclination toute " nougaresque " à gifler les syllabes sonnent juste. La propension à communiquer sur l'air du candide décérébré, moins. A Toulouse, " même les mémés aiment la castagne " mais le promoteur Robert Monné, pour Occitan qu'il soit, cultive plutôt l'art de l'esquive. " Bâtisseur oui, intellectuel non ", scande le pionnier de l'habitat cloné et sécurisé à la française. Dans les années 90, tandis que les quartiers populaires s'enlisent dans une relégation subie, l'homme impose tranquillou le concept de ségrégation choisie. Et, avec lui, l'expression d'un communautarisme de voisinage. Sous la bannière du groupe Monné-Decroix, il quadrille la carte et le territoire de " Clos Machin ", " Domaine Bidule " et " Fontaine Trucmuche ". En enfermant des foules socialement homogènes dans des immeubles de faible hauteur et des maisons aux allures de Lego, il précipite un processus de cloisonnement déjà très engagé. Les communes de notre équitable République ne l'ont, il est vrai, pas attendu pour se compartimenter. Aujourd'hui, Robert Monné le jure : s'il a fait le lit du séparatisme social et territorial, c'est à la manière d'un Monsieur Jourdain de l'immobilier : sans le savoir, sans le vouloir. " Au motif qu'elles sont vidéoprotégées et entièrement closes, mes résidences ont suscité des débats sociologiques auxquels je n'ai jamais compris goutte. Quand j'ai commercialisé mes premiers programmes, je n'avais aucune arrière-pensée idéologique, promet-il. Mon intention se bornait à vendre un produit novateur. " Et - succès garanti - défiscalisé. Désormais, la moitié des promoteurs surfent sur la vague des gated communities, schéma yankee traduisible par " communautés avec portail ".
Vendu au prix du marché
Traduction chiffrée de la banalisation de cette architecture défensive : les opérations immobilières fermées représentent quelque 13 % de l'offre sur le marché du neuf, et un tiers des agglomérations de plus de 2 000 habitants comptent en leur sein l'un de ces riants îlots. " Qu'on me reproche, poursuit Robert Monné, d'avoir exploité la peur des violences urbaines pour édifier des forteresses indignes du pacte républicain dépasse mon entendement. " En novembre 2002 pourtant, alors que Nicolas Sarkozy, domicilié Place Beauvau, s'épanche sur la difficulté " de vivre le bruit d'un hall d'immeuble ou d'une cage d'escalier lorsqu'on cherche un peu de repos après sa journée de travail ", alors que le même larmoie sur le sort de ceux " qui franchissent un groupe plus ou moins hostile pour rentrer chez eux ", le Toulousain déclare comme en écho au Monde diplomatique que " les gens veulent habiter un espace aéré, bien tenu, sans trembler chaque fois que quelqu'un frappe à la porte ". Une concordance de temps et de propos, dont ce faux naïf s'exonère en entonnant son antienne favorite : " Je suis un faiseur, pas un penseur. " Et ce prospère sexagénaire, qui a revendu les parts de son empire au Crédit agricole il y a un an, d'admettre néanmoins que " si on corrèle l'engouement des foules pour le modèle du "chacun chez soi à l'abri des autres" à la poussée du FN, on peut considérer que ça sent mauvais ". Plus à l'aise dans le costume du patron largué par la résonance de son joujou, Robert Monné préfère cependant se boucher le nez et rabâcher qu'" en décortiquant un truc comme les complexes fermés, on ouvre la porte à tous les fantasmes ". " Moi, abrège-t-il, je me suis contenté d'offrir du confort aux classes moyennes. Et ce, au prix du marché. Pour ça, j'ai beaucoup bossé. " Engrangé un max de dividendes aussi. Des deniers qui permettent au " pape des barricades " de se passer, dans ses appartements du Capitole, de " tout dispositif sécuritaire ". " A titre personnel, confie-t-il, alarmes et vidéos, connais pas ! " Comme ses congénères à (très) fort pouvoir d'achat, sieur Monné peut compter sur le prix du mètre carré dans l'hypercentre de la Ville rose pour tenir les gueux à distance.
Bienvenue dans le bunker
S'il existe des ghettos de riches hautement bunkérisés comme la Villa Montmorency, cage blindée du XVIe parisien où les apéros de voisins tournent aux pince-fesses entre Vincent Bolloré, Xavier Niel et Carla Bruni, " les populations les plus aisées n'ont pas vraiment besoin de clôtures. Leurs revenus leur permettent de choisir leur entre-soi de manière plus insidieuse, moins ostentatoire ", décrypte Gérald Billard, chercheur à l'université du Mans et coauteur de Quartiers sécurisés, un nouveau défi pour la ville*. Signataire du même ouvrage, le géographe François Madoré avance qu'" à trop avoir focalisé sur les citadelles pour millionnaires, on a occulté la massification de la fermeture, on a minimisé sa capacité à rassurer des gens ordinaires tétanisés par la peur du déclassement et de la précarité ". Sociologue à Toulouse, Marie-Christine Jaillet confirme : " Malmenées par la crise, les classes moyennes ont le sentiment d'évoluer sans filet et supportent mal l'injonction à la mixité sociale que la collectivité fait peser sur elles et sur elles seules. L'incertitude des temps, la pression, sinon la violence, au travail les poussent de plus en plus à la rétractation. Ces résidences, appréhendées comme des bulles résistantes aux turbulences du dehors, les tranquillisent. " Et une communicante de Monné-Decroix d'argumenter à point nommé : " Nous offrons une atmosphère déstressée à nos clients. Il est inadéquat de nous réduire au cadenassage. Les vrais "plus" de nos lotissements ? Etre agrémentés d'une piscine et d'un parc paysager, qu'il faut bien sûr isoler des intrus. Nos caméras de surveillance, tout comme nos alarmes ou nos détecteurs lumineux de présence, visent à faire reculer le vol et les indésirables : quand quelqu'un a des pensées condamnables, tout cet attirail, ça désiste, ça désiste. " La dame veut dire " ça dissuade " mais ne se désunit pas pour autant. Des gardiens affectés dans chacune des enclaves Monné-Decroix, elle assure qu'ils tiennent lieu de tout " sauf de vigiles " : " Pour preuve, nous les qualifions de régisseurs, c'est différent. " Reste, ajoute-t-elle, qu'il leur revient " de répercuter les comportements déviants et les manquements au bien-vivre entre gens corrects ". L'habitat sécurisé a muté en " atmosphère déstressée ", les gardiens en " régisseurs "... Autant de glissements sémantiques qui ne contrarient en rien la croissance de ces camps retranchés. En 2001, Monné-Decroix affichait un chiffre d'affaires (CA) de 29,7 millions d'euros pour un parc de 5 500 logements. Aujourd'hui, l'entreprise, qui ne théorise pas mais sait compter, se prévaut d'un CA de 258 millions pour 16 900 logements et 264 résidences.
La pathologie de l'entre-soi
De très bonnes affaires " pour une très bonne formule ", réagit Anna, locataire d'un " nid d'amour " de 110 m2 au Newton, à Carquefou, banlieue résidentielle de Nantes. Attachée de presse indépendante, cette mère célibataire ne déparerait pas dans une pub à la gloire de Monné-Decroix. Ni riche ni pauvre, elle " se ressource " dès le portail vert Wimbledon du Newton franchi. " J'ai divorcé, je suis mon propre patron, rien ne va de soi : économiquement, il faut que je m'accroche. Ici, pour 850 € par mois, j'ai l'impression de vivre dans un écrin, détaille-t-elle. Quand je rentre du travail, même tard, j'apprécie de ne pas devoir presser le pas en sortant de ma voiture : de ce point de vue, les caméras ont du bon. Je peux aussi laisser mes deux petites seules sans paniquer. La configuration des lieux et les systèmes de vigilance valent toutes les baby-sitters. Mais ce qui dissipe vraiment mes inquiétudes, c'est que nous sommes entre gens du même milieu, qui avons sensiblement la même éducation, les mêmes revenus et envoyons nos enfants dans les mêmes écoles. " Propriétaire d'une coquette tanière cantonnée dans une villa édifiée par le groupe Windsor Immobilier, à Soisy-sous-Montmorency dans le Val-d'Oise, Marc, fonctionnaire au ministère de la Culture, se sent " en phase " avec son voisinage. " Personne ici n'est né avec une cuillère en argent dans la bouche ", signale ce quadragénaire. Marié à une enseignante, il a déboursé 330 000 € pour acquérir en 2005 un pavillon de 160 m2 aujourd'hui estimé à 500 000 e. " Mon père était ouvrier, ma mère, femme de ménage et j'ai découvert les joies de la salle de bains à l'âge de 10 ans : avant, c'était le cul dans la bassine et bonjour, reprend-il. Ici, nous sommes tous liés par des parcours méritants et par le désir légitime de préserver nos acquis. Pour nous, la résidence fermée s'inscrit dans un processus d'ascension sociale. " Eloquents témoignages. Entamés au " je " achevés au " nous ", ils révèlent une soif d'appartenance au cercle des cohabitants. L'urbaniste Eric Charmes détecte là une " pathologie de l'entre-soi " : " Ces ensembles, développe-t-il, obéissent à une logique de clubs résidentiels, dont les gentils membres s'assemblent parce qu'ils se ressemblent. " Dans ces espaces calfeutrés et socialement écrémés, " l'effet miroir fonctionne à plein, ajoute Fanny Vuaillat, chercheuse à l'Institut de géographie et d'aménagement de Nantes. Si mon entourage est respectable, je le suis aussi. "
Fille d'un chef d'entreprise un peu nomade, Anna a grandi dans le confort " qui sied aux expatriés ", selon son expression. " De cette jeunesse privilégiée, j'ai gardé une volonté peut-être inconsciente de différenciation ", confesse-t-elle comme pour s'excuser d'avoir davantage le goût des murs que celui des autres. Récemment installée au Sporting Place, enclos vidéosurveillé et gardienné sur les hauteurs de Castres, dans le Tarn, Hélène n'élude pas son embarras : " Sur le papier, je suis favorable à la mixité, j'approuve les intentions de la loi SRU [solidarité et renouvellement urbain, qui depuis 2000 impose aux communes un quota de 20 % de logements sociaux]. Mais, dans le quartier populaire que je viens de quitter, la concentration de précaires et de chômeurs me tirait vers le bas. Les établissements scolaires tutoyaient le niveau zéro, la petite délinquance pourrissait le quotidien. " Pour " l'avenir de [sa] fille ", qu'elle élève seule, cette infirmière a " privilégié la sécurité à la diversité " : " Ce qui est tragique, c'est précisément qu'il faille choisir. Aujourd'hui, l'éducation et la protection s'achètent à coups de charges, qu'elles soient locatives ou de copropriété : ce n'est pas ma conception de la République mais voilà... "
A 800 km au nord, à Cormeilles-en-Parisis dans le Val-d'Oise, Sandra, hôtesse d'accueil, affiche une approche autrement plus radicale. Propriétaire d'une maisonnette dans une enclave low cost où les bicoques de 80 m2 s'écoulent à 300 000 € parking compris, cette mère de trois bambins " ne peut plus voir les alentours en peinture. Entre les cités d'Argenteuil et de Sartrouville, les camps de Roms le long des autoroutes, difficile de dormir sur ses deux oreilles ! A l'étranger, tout le monde a bien compris que pour vivre heureux il fallait vivre caché. Ici, on a trop de complexes sur ces sujets, comme si la France était encore un pays de justice sociale ! ". Convaincue des vertus de l'exil intérieur, Sandra confie qu'elle et son mari alimentent " tous les mois une cagnotte antiracaille " : " Dès que nous le pourrons, nous partirons dans un logement zéro risque. Un abri avec caméras et milices, comme j'en ai vu dans des reportages sur l'Argentine ou la Colombie. " Ces appels à la balkanisation des moeurs, Sandrine, cadre commerciale, les cautionne au mot près ou presque. Bonne cliente de Monné-Decroix, elle a vécu au Newton de Carquefou puis au Champollion, résidence copiée-collée toute proche. De ses années " sous cloche ", cette trentenaire tire un bilan mitigé : " En arrivant à Nantes, je ne voulais pas d'emmerdes. Mon job est très prenant, j'avale beaucoup de kilomètres, je suis en négo sans arrêt, alors me taper les "lourds" des quartiers ou les étudiants beurrés le soir en rentrant dans mon studio du centre-ville, non merci ! J'ai les moyens de payer pour ma petite soupape psychologique et c'est pour ça que j'ai choisi Monné. " Sans remords mais avec quelques regrets. " Les locataires sont certes élus sur dossier mais avoir les mêmes revenus ne suffit pas à "faire société", vous comprenez ? " Pas vraiment, non. " A un moment, au Newton, ils ont laissé entrer la population qu'on a l'habitude de ghettoïser... Bref, ils ont accepté des Arabes et leur ont donné la chance de se propulser dans notre monde. Le problème, c'est que ces individus n'ont pas respecté notre civilisation : ils n'avaient pas les mêmes "heures de vie" que nous, roulaient dans de grosses berlines, dont je me demande encore comment ils se les payaient, et ont transformé le Newton en Sahara ", rapporte la jeune femme " sans animosité ". Experte en sociologie de comptoir, Sandrine estime que " ces personnes immigrées n'ont pas leur place dans des lieux clos, au milieu de Français dont ils bafouent les valeurs. Eux, il leur faut de grands espaces, des maisons individuelles qui correspondent à leurs coutumes, vous voyez ? " On se contentera de deviner. Sandrine insiste et plaide pour que les aimables résidents fassent dorénavant l'objet d'un " tri culturel ". La chose, malheureusement, se pratique depuis des lustres dans l'immobilier. Cela s'appelle de la discrimination. C'est illégal. " Alors que nous évoluons dans un village global et que l'opportunité de l'altérité n'a jamais été aussi développée, les résidences fermées pratiquent une urbanité sélective, observe Marie-Christine Jaillet. Aujourd'hui, ces mécanismes de similarité s'appliquent aussi au travail, aux loisirs, ils dictent le fonctionnement des réseaux sociaux sur Internet et nous exposent à un risque majeur : la perte de contact avec la différence, la diabolisation de certaines catégories, dont l'image ne se construit plus que sous l'angle de la menace. "
Un décor de série télé
Ce qui, en revanche, ne menace en rien les adeptes de l'esthétique Monné-Decroix, c'est le dépaysement. " Je vis avec ma mère au Newton de Carquefou et, quand j'ai débarqué chez l'une de mes amies toulousaines logée par le même promoteur, j'ai halluciné, se souvient Charline, 24 ans. Mêmes briquettes sur les façades, mêmes terrasses, mêmes vues sur la même piscine, mêmes moquettes dans les halls... J'ai eu la sensation d'avoir été téléportée : j'étais chez ma mère à 500 km de chez elle. Un cauchemar ! " Pas de quoi empêcher Sandrine de dormir : " Bien sûr qu'il y a un petit côté guerre des clones, comme dans Star Wars, mais moi, ça me va : Toulouse, Nantes ou Marseille, tu n'es perdue nulle part ! " D'autant moins que le décor semble sorti d'une série télé. " Quand certains de mes potes me rendent visite, ils disent aller à "Melrose Place". D'autres parlent de "Desperate" [en référence à " Desperate Housewives "] ou de "Beverly Hills". Evidemment, on a moins de soleil et de dollars, mais ça fait classe ! " plaisante Lucy, qui loue 700 € " tout compris " un 65 m2 au Clos de la Fontaine, un Monné-Decroix sis aux Sorinières, dans l'agglomération nantaise. " Outre les pays anglo-saxons, Chine, Inde, Brésil, Pologne ou Hongrie dupliquent aussi massivement ces complexes pollueurs d'humanité. Le label "Vu à la télé" participe de cet essor : la fiction a pénétré les imaginaires et conditionné les esprits, déplore Thierry Paquot, philosophe et éditeur de la revue Urbanisme. La ville de l'accessibilité et de la fluidité poétisée par Baudelaire a fait long feu, vive les environnements pittbullisés, aseptisés, bunkerisés. " Dénichée par Canal +, popularisée par M6, " Weeds ", série campée au coeur d'une gated community californienne, raille dans son générique cet habitat " little boxes " " (" petites boîtes ") : " Des petites boîtes de pacotille, des petites boîtes toutes pareilles [...], et les gens dans ces maisons sont tous allés à l'université, où on les a mis dans de petites boîtes dont ils sont sortis tous pareils ", persifle en boucle l'interprète d'une ritournelle plus subversive qu'elle n'en a l'air.
" Que les artistes, les architectes ou les sociologues célèbrent la ville ouverte et agrégative, c'est bien beau, mais cette ville-là est perçue par l'opinion comme celle des tags et de des délits. Ces désagréments, les plus favorisés peuvent y échapper, les autres en revanche les prennent en pleine face, avance Marc Pigeon, président de la Fédération nationale de promoteurs. Résultat, lorsqu'ils vivent dans des espaces encore ouverts, ils n'hésitent pas, au premier glaviot dans les pétunias, à la première boîte aux lettres esquintée, à exiger barrières et caméras. " Dans cette appétence pour la fermeture, les camelots de la pierre ont décelé une ouverture. Détecté un marché pour quidams en quête de vie sûre, d'entre-soi apaisant et de prestige supposé. Bref, la lutte des classes resurgit sur fond de luttes des places. Plus peureuses que poreuses, les places. L'attestent ces laïus promotionnels glanés sur Internet : " Le Petit Trianon dégage d'emblée une atmosphère chaleureuse [...]. Le portail à ouverture télécommandée confère à la résidence un caractère sécuritaire ", claironne le groupe Fonta à propos de l'une de ses réalisations toulousaines. Bouygues Immobilier invite, lui, les acquéreurs de l'une de ses néocitadelles varoises à " créer leur harmonie sous le signe de la sécurité " et, cerise sur le boniment, assortit son argumentaire de zooms sur serrures renforcées et autres gadgets blindés. L'enseigne Pierreval vante pour sa part " la barrière automatique particulièrement bien adaptée aux modes de vie actuels " du parc Symphony, dans le Morbihan, tandis que les habitants du Castel Marie, à Limoges, jouiront " d'accès piétons protégés par vidéophone à commande d'entrée dans chaque appartement ". Voilà dessinés les contours d'un pays parano à chacun de ses points cardinaux. Car, enfin, de quoi les habitants de Foix, paisible chef-lieu de l'Ariège, cherchent-ils à se prémunir, sinon des sangliers qui, il est vrai, prolifèrent au point de batifoler à l'orée des villes ? " En région parisienne, ces résidences sont à la mode, alors on s'aligne, tonitrue la représentante locale de Century 21. Nous ne sommes pas des bouseux ! Et même s'il n'y a pas de problème de délinquance ici, mieux vaut prévenir en se barricadant que guérir en pestant après son assureur. "
Si l'efficacité des dispositifs tels qu'ils sont déployés dans ces Fort Chabrol en puissance n'a jamais été officiellement mesurée, policiers, élus, sociologues et, plus piteusement, promoteurs sollicités par Marianne, avancent que la dissuasion n'empêche pas l'intrusion. Elle aiguiserait même les appétits : " Dans la psychologie du délinquant, s'il y a des murs, c'est qu'il y a du lourd à cacher. Et du fric à se faire ", lâche un policier toulousain. Et d'ajouter que ne se constatent en ces lieux " ni plus ni moins de dégradations qu'ailleurs ". Par les inégalitaires et anxiogènes temps qui courent pourtant, qu'importe le réel, pourvu qu'on ait les grilles ! Inhospitalité assumée, évitement revendiqué, (digi)codes partagés. Derrière les portails automatiques, les arbustes piquants et la signalétique coercitive, c'est la photo d'une France ratatinée qui s'imprime. Une France émiettée à force de débats prompts à désigner les visages - pas vraiment catholiques - des " ennemis de l'intérieur ". Une France réceptive à la partition du " diviser pour mieux régner " entonnée par Nicolas Sarkozy et sa pyromane fanfare : en dix ans, rien moins que 40 lois relatives à l'insécurité se sont empilées. Cette musique presque martiale résonne dans tous les champs, " habitat inclus ", précise Fanny Vuaillat. Cette " rage répressive ", telle que la nomme l'ancien bâtonnier de Paris Christian Charrière-Bournazel, procède d'un " mensonge ". Elle entretient la quête illusoire d'une société expurgée de toute criminalité par des lois toujours plus fermes. Des lois qui encouragent les citoyens à devenir " acteurs " de leur sécurité et accentuent l'influence des boîtes de protection privée.
En érigeant en dogme la méfiance systématique en l'autre, cette politique relève de ce que la philosophe Mireille Delmas-Marty qualifie d'" anthropologie guerrière ". Ces diagnostics auraient peut-être désespéré Billancourt mais ne défrisent personne dans les allées arborées du Domaine du Golf, à Saint-Germain-les-Corbeil. Aux lanceurs d'alertes citoyennes, les cadres moyens et supérieurs de ce Fort Knox de l'Essonne préfèrent les vendeurs d'alarme. " En matière de lutte contre la délinquance, Sarko nous a cocufiés, s'insurge une anonyme quadragénaire du Domaine. Je me suis réfugiée ici après 10 cambriolages : c'est quand même malheureux qu'il faille payer des vigiles et tout le reste pour respirer tranquilles. Les flics nous le reprochent, ils ont l'impression qu'on contribue à la privatisation des missions de sécurité. Mais on n'a pas le choix ! " Depuis l'édification de leur bastion de 400 logements dispersés sur 145 ha confisqués à l'espace public, les " Golfeurs " ont décrété l'état de siège. Barrière automatisée, gardiennage permanent assorti de rondes nocturnes, obligation pour tout visiteur de décliner l'identité du visité, macaron de reconnaissance scotché sur les pare-brise des résidents, ils ne lésinent pas sur le filtrage ! Histoire de renforcer la police aux frontières de cette ville dans la ville, le conseil syndical fait ces temps-ci campagne pour convaincre la communauté de l'urgence à se " vidéoprotéger ". Pour l'architecte David Mangin, " ces privatisations domaniales doivent être dénoncées par les élus et les professionnels de l'aménagement ". Le hic, c'est que les maires trouvent souvent leur compte dans ces opérations urbaines. " La géographie de cet habitat échappe aux clivages partisans, assure Robert Monné. J'ai autant construit à droite qu'à gauche. Dans le Rhône, j'ai même connu un élu communiste ravi de poser ses valises chez nous ! " Recettes fiscales et habitants supplémentaires valent bien quelques entorses au pacte républicain. Des entailles dans le contrat social que pardonne aisément le corps électoral. Le bon peuple de Saint-Germain-les-Corbeil en tête. Dans cette commune périurbaine, un cinquième des 7 300 habitants vivent sur le mode de la réclusion volontaire. Sous leur impulsion, pas moins de 19 caméras de vidéosurveillance se sont agglutinées dans le patelin. Et le sens civique, lui, a parfois des relents de délation. " Dès que des populations déviantes, gamins des quartiers ou Roms déambulent dans les rues, les citoyens nous les signalent, se félicite la police municipale. Certains arrivent au poste avec les numéros de plaque des véhicules suspects : ici, les gens n'aiment pas les inconnus qui rôdaillent. "
Pas dans mon jardin !
Elu en charge de la communication, Jean-Marc Devôge impute cet état de vigilance extrême " à la crainte, ou plutôt au fantasme, de voir un jour déferler les jeunes issus des cités des Tarterets, à Corbeil, ou des Pyramides, à Evry ". Ces peurs, la municipalité divers droite ne saura les conjurer. La grogne des honorables Saint-Germinois face à ses efforts pour doubler un parc de logements sociaux estimé à 5 % en 2001 est là pour le lui rappeler. " Les 20 % de HLM obligatoires, commente Léon, retraité d'Air France, "accro à la quiétude" du Domaine du Golf, je ne suis pas contre. Mais pas ici. " On ne pourrait plus opportunément incarner le syndrome Nimby (de l'anglais " Not in my backyard ", soit " Pas dans mon jardin ") que ce sexagénaire soucieux de continuer à tailler ses haies à la hauteur exigée par la copropriété, loin, très loin des banlieues populaires. " Il faut savoir que la seule fois où mon fils a pris la même ligne de bus que ceux des Tarterets, il s'est fait piquer son portable ", tranche Léon en jouant du sécateur.
Vêtus chic et sport, dress code dominical oblige, Anne-Cécile et Jean-Loup le saluent en trottinant. Tous les deux espèrent gagner la bataille de la vidéosurveillance : " Il est temps de muscler les check points à l'entrée du Domaine. En misant sur la dissuasion, on maintient l'équilibre de la terreur, seul langage que les voyous comprennent ", débite Anne-Cécile, sourire aux lèvres et bouquet de jonquilles à la main. Radieuse, cette ex-cadre de l'AP-HP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris) inventorie la quincaillerie sécuritaire dont elle et Jean-Loup se sont équipés : " Nous avons investi dans un programmateur de lumière anticambriolages et, ça va de soi, une alarme individuelle. De nos jours, "se harnacher" de la sorte, c'est du bon sens, pas de la parano. " A voir... Car lorsque Anne-Cécile roule des yeux comme des soucoupes en lorgnant les collines environnantes et certifie qu'elles sont truffées de " guetteurs dotés de jumelles longue distance pour repérer les maisons vides ", on se dit que la dame, peut-être, exagère. On ne doute pas, en revanche, qu'elle se reconnaisse dans le sondage commandé en 2009 par l'Institut d'aménagement et d'urbanisme d'Ile-de-France : selon cette étude, 48,3 % des Franciliens " ont peur de temps en temps chez eux, dans les transports en commun ou dans leur quartier ". Et quand la trouille gagne, la diversité recule.
Marine a quasiment fait ses premiers pas au Domaine. Elle a aujourd'hui 18 ans. De son propre aveu, elle " n'a jamais échangé le moindre mot avec un jeune de cité, ou même quelqu'un de [son] âge issu d'un autre milieu " : " Je ne le regrette pas, je ne sais pas ce que je perds. " " Tu ne perds rien, l'interrompt sa mère qui, ça ne s'invente pas, se prénomme Jany. Souviens-toi tout de même qu'à l'Agora [un centre commercial d'Evry], "ils" t'ont agressée ! Ça t'a traumatisée. " Marine murmure un " non " étouffé par les " si, si " de Castafiore de Jany. " Vous savez, on en demande beaucoup aux classes moyennes, enchaîne Philippe, l'époux de Jany, qui se présente comme chef d'entreprise. On cotise à toutes les caisses, on nous ponctionne de toute part... Pour quelles contreparties ? Au Golf, vous ne trouverez pas de bénéficiaire du RSA ! En revanche, Marine cherche un emploi, les lendemains ne chanteront peut-être pas toujours. Et, en cas de coup dur, l'Etat ne nous tendra pas la main. La solidarité nationale, c'est du vent. Alors oui, au Domaine, on veille sur notre patrimoine. " Philippe est un tout petit patron, unique employé de la Sarl qu'il a créée dans la foulée de son licenciement d'une boîte d'électronique. C'était en 2001. Cette éviction, il l'a manifestement encaissée comme un uppercut. Ou plutôt un direct du (très) droit qui exacerbe ses postures sécessionnistes : " Il n'y aura jamais assez de béton entre nous et l'extérieur ", martèle-t-il. Empêtré dans ses contradictions, Philippe déplore que la " multiplication des résidences fermées vide les centres-villes de leur substance. Pas de resto, pas de bistrot, pas de lieu de vie, tout est bâti pour les gens ne se croisent plus. C'est peut-être le prix à payer... ". Une facture d'autant plus lourde qu'au Golf, concède encore Philippe, " les perturbations viennent souvent de l'intérieur. Les enfants de certains voisins ont les moyens d'acheter des substances illicites, d'organiser des fêtes, des deals et le reste ".
Les états d'âme de Philippe ne bouleversent pas Abdelkader. Assigné dans une guérite qu'il ne quitte que pour inspecter le Domaine à la nuit tombée, il est l'un des quatre gardiens " à délivrer des laisser-passer aux "extérieurs" " : " Un Arabe smicard qui donne des visas, c'est pas commun, taquine ce quinquagénaire. Mais le plus fou dans cette histoire, c'est que les gens d'ici recourent à un immigré de cité pour faire barrage... aux immigrés de cités. Les Français sont incohérents. " Ou faux culs. Ou perdus. A moins que cela ne soit tout ça à la fois. Plus ils envoient valser le vivre-ensemble, plus ils le célèbrent. La preuve par les plus de 2 millions de spectateurs émus par les Femmes du 6e étage. Dans cette comédie sixties, Fabrice Luchini, gaulliste bon teint, dynamite les frontières de classe en s'encanaillant avec les bonnes espagnoles entassées sous les combles de son immeuble haussmannien. Elles étaient reléguées, il les a regardées. La France emmurée a applaudi. Comme si la mixité sociale n'était tolérable qu'au cinéma.
Nathalie Gathié avec Jocelyn Ramasseul
* " Quartiers sécurisés " : un nouveau défi pour la ville ?, éd. Les Carnets de l'info, janvier 2011.
© 2011 Marianne. Tous droits réservés.
Hygiene Vs Grooming
Il y a 1 an
1 commentaires:
Théorisation racoleuse et simplette.Ton très clairement putassier. Mépris et moqueries inutiles. Démonstration par collages et amalgames douteux.Conclusion bien pauvrette mais bien du niveau de l'hebdo.
Le maire adjoint de saint germain dont l'interview de 40 mna été tronquée (1 phrase) pour lui faire dire autre chose que son propos.
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