L'Express, no. 3122 - société rencontre, mercredi 4 mai 2011, p. 106-109
Le jeune homme souffreteux, égaré dans l'extrême, qui a tiré sur Jacques Chirac en 2002 a aujourd'hui 33 ans et toujours des comptes à régler. Le facho devenu bobo publie une autobiographie lucide et caustique qui n'épargne personne. Surtout pas lui-même.
Ce garçon sans cartable qui pousse la porte des éditions Denoël, à Paris, ce jeune homme très courtois qui rosit facilement, est-ce bien l'affreux facho condamné en décembre 2004 à dix ans de prison ferme pour avoir voulu "buter" le président Jacques Chirac un beau jour d'été ? Oui. Lorsque Maxime Brunerie a retrouvé le soleil, en août 2009, après sept ans passés derrière les barreaux, ses rares amis, sa soeur cadette, Clémence, avec qui il est longtemps resté fâché, l'ont découvert plus grand, moins chétif. "Je me tiens droit, c'est ça la nouveauté", dit-il.
L'oeil gauche ne se fait plus la belle depuis une opération au laser. La raie est moins parfaite, le timbre de la voix, égaré quelque part entre l'adolescence et la maturité. L'acné qui dévorait son visage a disparu, gommé par ces années de taule qui comptent double et les bienfaits des huiles essentielles, sa nouvelle passion. L'ancien coup-de-poing du GUD et d'Unité radicale (voir l'encadré ci-dessous) s'autorise encore quelques décharges des Sex Pistols et des Trotskids, au réveil. "Ça me donne la pêche." Le reste du temps, il roucoule avec Delphine, sa nouvelle copine, en épluchant des légumes bio au son de Radio Nostalgie ou des ballades fleur bleue de James Blunt. La bière ? "Une fois par mois, pas plus", affirme l'ancien trésorier de la Section 3 B (pour bière, baise et baston). Le PSG ? "Je ne mets plus les pieds au stade." La politique ? "Rien à faire." L'ancien candidat du Mouvement national républicain de Bruno Mégret aux municipales de 2001 a d'ailleurs voté blanc aux dernières élections européennes. Enfin presque. "J'ai écrit "Maxime Brunerie" sur mon bulletin." Après tout, on n'est jamais aussi bien servi que par soi-même.
Les tisanes bio ne guérissent pas de tout. L'exalté qui hurlait "Merde aux gauchos et aux mollahs juniors !" quand il passait son "Deug-cafète" à Assas a définitivement rompu avec le mouvement "faf". Y a-t-il jamais cru ? "Non, même si je suis sensible à l'amour du drapeau et un peu réac. L'idée était surtout de dire : j'ai 20 ans et je t'emmerde", reconnaît-il. Mais Maxime l'enragé, l'asocial, "l'anarchiste tendance autiste" comme le surnommait Christian, le braqueur à l'ancienne devenu inséparable compagnon de promenade au centre de détention de Val-de-Reuil (Eure), n'est jamais loin. Il hante les pages d' Une vie ordinaire, récit autobiographique publié le 6 mai chez Denoël. L'itinéraire tragique et parfois comique d'un ado souffreteux au corpus brun et aux idées noires, un garçon attachant en proie à une immense détresse affective, un paumé, "seul, narcissique, misérable", qui a échoué dans toutes ses entreprises, y compris la plus spectaculaire d'entre elles : ce grand final du 14 juillet 2002 avec tambour, trompette et pétarade de 22 long rifle qui devait inscrire son nom en lettres de sang dans l'Histoire, tel un Ravaillac des temps modernes. "Les faits sont bien plus pathétiques que pathologiques", avait relevé l'un des cinq experts psychiatres cités devant la cour d'assises de Paris en décembre 2004. Philippe Bilger, l'avocat général, avait parlé d'une "passion puérile de l'interdit".
"C'est vrai", convient l'intéressé, qui se félicitera toute sa vie durant de sa "maladresse" au moment de passer à l'acte. Posté à l'abri des badauds sur les Champs-Elysées, Brunerie avait tiré en direction du cortège présidentiel avant de retourner - en vain - son arme contre lui. Placé en garde à vue quelques heures plus tard, le jeune homme avait fondu en larmes. "Je réalise soudain que j'ai voulu tuer froidement, sans aucune raison valable, un homme qui ne m'avait rien fait", écrit-il. "Si je rencontrais le garçon que j'étais alors, je lui mettrais une bonne paire de gifles et lui dirais de se bouger le cul", lâche-t-il aujourd'hui.
Brunerie n'a aucune indulgence avec lui-même. C'est la force du personnage et de son récit. Il n'en témoigne pas davantage pour les autres, c'est ce qui le rend désarmant. Son avocat, Pierre Andrieu, semble ne lui avoir laissé qu'un seul souvenir : "Bavard." Stéphane Beaudet, le dynamique maire de Courcouronnes (Essonne), qui a tant mis en oeuvre pour soutenir ses parents, ne s'en sort guère mieux. C'est pourtant lui qui a suggéré le nom de Me Andrieu à Annie et Jean Brunerie, les parents de Maxime, revenus en catastrophe de leurs vacances à Ibiza au lendemain de ce maudit 14 juillet 2002. Le jeune élu UMP a également rendu possible la rencontre secrète entre Jacques Chirac et Annie Brunerie, ancienne militante RPR, en mai 2005, à la demande de celle-ci. Une fois libéré, un BTS d'assistant de gestion en poche - il a obtenu son diplôme en prison -, Maxime a bénéficié d'un contrat de deux ans à la mairie de Courcouronnes. "La collaboration s'est très bien passée, témoigne l'édile. Maxime a un bon fond, mais il appartient à cette génération Facebook assez ingrate et inconsciente des conséquences de ses actes. En l'aidant, je n'attendais rien. J'ai simplement fait mon boulot et aidé sa mère, qui était désespérée et dont la vie est brisée."
La famille, cette grande absente du livre de Brunerie... Ah si, au bas de la page 117. Shooté au Zyprexa, un antipsychotique puissant, buté dans sa révolte, voilà le jeune détenu subissant pour la première fois le regard des siens au parloir de la prison de la Santé : "Ah ! le visage de la mère... Mon Dieu, ce reproche vivant que je croyais ne plus devoir affronter. Et la voilà en mater dolorosa, portant sur ses traits tirés toute la honte d'avoir engendré un fils aussi indigne." Neuf ans plus tard, la colère s'est muée en indifférence. "Mon enfance, c'est l'ennui à l'état chimiquement pur", résume-t-il. Un père, agent de maîtrise à la Snecma, transparent - "On est obligé d'assister au procès ?" aurait-il dit la veille du grand rendez-vous de son fils avec la justice. Une mère informaticienne, "paranoïaque" et "castratrice". "Je n'avais droit ni à la colo, ni aux sorties, ni au sport, ni rien... Sans cette prison familiale, j'aurais vécu une crise d'adolescence comme les autres et serais rentré dans le rang au bout d'un an." Prison, enfermement, les mots percutent comme des verdicts d'assises. Courcouronnes et Val-de-Reuil, même enfer carcéral, vraiment ? "Je suis passé d'une cellule à l'autre, déclare-t-il. La première partie de mon existence me laisse le sentiment d'un terrible gâchis. La prison est une non-vie, mais elle m'a appris à considérer les autres en tant qu'individus. Il a peut-être fallu cet acte irrationnel et brutal pour que je puisse rompre avec mon passé."
C'est fait. Le pavillon blanc de Courcouronnes a été vendu il y a quelques mois. Annie et Jean Brunerie ont filé vers le sud, loin de toute pression médiatique et de ce garçon qui n'envisage le bonheur pour l'instant que loin d'eux. La parution d' Une vie ordinaire, qu'ils ont apprise par hasard, les ronge d'inquiétude. Maxime ne veut pas y penser. Il vient de créer une petite affaire d'achat et de vente en ligne d'ouvrages rares et se rêve écrivain ou libraire. Sa prochaine lecture s'impose : le tome 2 des Mémoires de Jacques Chirac, qui paraît en juin. "Je vais me précipiter sur le passage du 14 juillet !" Parfois, l'ancien détenu repense à Alpha, l'Africain sapé aux couleurs de l'OM, à Kader, Kaï, Omar, Christian, à tous ces braqueurs, dealers, pointeurs devenus ses frères d'infortune et laissés entre les murailles de béton de Val-de-Reuil. Mais pas très longtemps. "L'amitié n'existe pas vraiment en prison. Le plus dur, c'est trouver le ton juste au moment de partir." Maxime n'a jamais dit au revoir à ses parents.
Un ultra "ordinaire"
Philippe Broussard
En découvrant le livre de Maxime Brunerie, de nombreux jeunes d'extrême droite risquent de reconnaître en partie leur propre histoire. L'auteur leur tend un miroir, il les oblige à l'introspection. Son parcours ressemble à tant d'autres... Dans les années 1990, il a supporté le PSG (côté tribune "Boulogne"), écouté de la musique skinhead. Il a ensuite fréquenté les néonazis du Parti nationaliste français et européen (PNFE), puis les étudiants castagneurs du Groupe union défense (GUD), et enfin Unité radicale (UR), une organisation dissoute en 2002 après l'attentat contre Jacques Chirac.
Aujourd'hui, le PNFE et UR n'existent plus. Seul le GUD, un moment en sommeil, semble encore actif. La plupart des militants nationalistes évoluent plutôt dans la mouvance "identitaire", une nébuleuse où se retrouvent notamment certains hooligans, parisiens ou provinciaux. Aux yeux d'une majorité d'entre eux, le Front national est un parti trop modéré, trop bourgeois. Brunerie ne cache d'ailleurs pas le mépris qu'il éprouvait, dans sa "vie" précédente, pour le FN.
Dans son livre, il ne "balance" pas ses ex-camarades aux bras tendus : il donne peu de noms, juste des indices pour initiés. Il ne révèle pas non plus de lourds secrets sur cette microsociété où tout le monde se connaît plus ou moins. Mais son texte, au fond, raconte l'essentiel : la violence ritualisée, le côté pathétique de ce fascisme d'arrière-cour, la haine de "l'autre" (le Noir, l'Arabe...), et celle de soi, surtout. Un an avant l'élection présidentielle, et l'inévitable débat sur l'extrême droite, cette autocritique brutale vaut bien des expertises sociologiques.
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