Le Temps - Temps fort, mercredi 4 mai 2011
La Chine avance ses pions au Pakistan comme en Afrique avec des projets d'infrastructures. Et en gérant au besoin la sécurité.
Si Washington devait un jour rompre sa relation spéciale avec Islamabad, son remplaçant est tout trouvé: Pékin. Au Pakistan, comme dans d'autres régions, la Chine est en embuscade pour se substituer au rôle de parrain jusqu'ici assumé par la première puissance mondiale. Les relations entre le Pakistan et la Chine connaissent depuis plusieurs années un essor spectaculaire. Le commerce bilatéral explose et les investissements chinois s'élevaient à 15 milliards de dollars en 2010 (un quadruplement en quatre ans). La Chine vend des centrales nucléaires et des avions de combat. Mais cette coopération prend aujourd'hui une tournure particulière avec la présence de forces de sécurité chinoises (qui assurent des tâches de police) sur certaines parties du territoire pakistanais.
En quittant Islamabad, en décembre dernier, Wen Jiabao s'est voulu rassurant: «La Chine est le partenaire stratégique du Pakistan par tous les temps.» Une démonstration de fidélité qui contraste avec les atermoiements de Washington. Sur cette lancée, 2011 a été déclarée «année de l'amitié» entre les deux voisins asiatiques. Pour marquer le coup, le premier ministre chinois a inauguré à Islamabad un centre culturel à 35 millions de dollars.
Pour avoir une meilleure idée de l'emprise chinoise, il faut se rendre aux deux extrémités du pays. Ce sont dans ces deux régions que se trouvent la majorité des dix mille ingénieurs et travailleurs chinois oeuvrant sur d'immenses projets. Le Pakistan se transforme en route énergétique de la plus haute importance. Le plus court chemin, par voie de terre, entre la Chine et les hydrocarbures du Moyen-Orient passe très exactement à travers son territoire. Afin de réduire d'un facteur dix le temps de transport, Pékin achève la construction d'une autoroute au milieu des plus hauts sommets du monde après avoir financé (à hauteur de 80%) un port en eau profonde à Gwadar, dans le Baloutchistan.
La mythique route du Karakorum, inaugurée en 1982 après vingt ans de labeur de milliers d'hommes (essentiellement des militaires chinois), zigzaguant entre des pics de 7000 à 8000 mètres en mouvements constants, sera élargie de 10 à 30 mètres d'ici 2012. Dans ce même décor, Pékin construit une ligne de chemin de fer qui reliera les deux pays: 750 kilomètres de voies vont se déployer du col du Khunjerab (4730 mètres), qui marque la frontière, à Havellian (dans le district désormais célèbre d'Abbottabad). Là, les trains chinois rejoindront le réseau construit en d'autres temps par les Britanniques pour gagner le sud. La Chine compte par ailleurs construire un pipeline depuis le port de Gwadar jusqu'à Kashgar, au Xinjiang ou Turkestan chinois.
Si ces projets se développent dans une parfaite coopération avec Islamabad, il n'en va pas de même dans les régions directement concernées. Les routes, chemins de fer, barrages et extractions minières réalisés par les Chinois au Gilgit-Baltistan, dans les confins himalayens de l'extrême nord-est, suscitent une opposition de plus en plus vive de la part des populations locales. «La région est littéralement contrôlée par les Chinois, explique Senge Hasnan Sering, du Congrès National du Gilgit-Baltistan qui vit depuis sept ans en exil aux Etats-Unis accusé de terrorisme par Islamabad. 300 personnes sont détenues dans des prisons chinoises dont 16 femmes. Pékin et Islamabad nous accusent d'être de mèche avec le dalaï-lama.»
Les deux millions d'habitants de cette région sont majoritairement chiites ou ismaéliens contrairement à la majorité sunnite du Pakistan. Un mouvement nationaliste s'oppose à l'exploitation économique chinoise et, de plus en plus, à ce qu'il appelle une occupation pakistanaise. Le statut de ce territoire, comme pour le reste du Cachemire, demeure contesté entre l'Inde et le Pakistan. Pour mater les manifestations qui se multiplient, l'Armée populaire de libération chinoise épaule de plus en plus l'armée pakistanaise, accusent les militants des droits de l'homme. «Longtemps, la Chine était demeurée neutre dans le conflit territorial entre l'Inde et le Pakistan. Désormais, Pékin s'aligne sur la position d'Islamabad, c'est un changement radical», explique Senge Hasnan Sering.
Au sud-ouest, le Baloutchistan est un vaste territoire qui représente 48% de la superficie du Pakistan habité par 4% de la population totale. C'est là que se situe le port de Gwadar, mais également plusieurs mines (uranium, cuivre, or) ainsi que du gaz et du pétrole convoités par les Chinois. C'est là également que survivent des mouvements indépendantistes en lutte depuis 1948 pour faire valoir leurs droits face à la majorité pendjabie.
«Les Chinois travaillent main dans la main avec les dirigeants d'Islamabad pour nous exploiter exactement comme en Afrique», raconte Merhan Baluch, fils du plus célèbre combattant nationaliste de la cause baloutche, lui aussi considéré comme un terroriste par les autorités pakistanaises. De passage à Genève pour témoigner devant le Conseil des droits de l'homme, il explique que l'armée chinoise appuie la répression de l'armée pakistanaise jusqu'à participer à des séances de torture d'activistes détenus pour leurs opinions politiques. En février, Amnesty International dénonçait les «atrocités» commises par les autorités contre la population baloutche. Durant les quatre derniers mois, l'ONG a documenté 90 cas de disparitions ou de meurtres d'activistes, de professeurs, de journalistes et d'avocats, avec de nombreux cas de torture.
«Les plus grands alliés du Pakistan, ce sont les Chinois. Les Pakistanais veulent nous éliminer. Et les Chinois ne veulent pas nous écouter», poursuit Mehran Baluch. Cette immixtion chinoise dans les conflits intérieurs du Pakistan n'est pas sans risque. En 2004, un minibus d'ouvriers chinois travaillant à la construction du port de Gwadar avait été la cible d'un attentat. Bilan: trois morts et neuf blessés. Lundi, Pékin a salué l'élimination d'Oussama Ben Laden par les Etats-Unis, qualifiant cette opération de «développement positif pour les efforts contre le terrorisme international».
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