Le Monde - Culture, mercredi 11 mai 2011, p. 23
Ils sont jeunes et chassent sans relâche, au travers de leurs objectifs, les formes nouvelles d'une société chinoise en devenir : les vocations de photographes se multiplient en Chine. Au point que Rong Rong, jeune " vétéran " de la photographie chinoise de 43 ans, et fondateur du Centre d'art photographique Three Shadows de Caochangdi à Pékin, en perd parfois le compte : " Auparavant, vous saviez qu'à Shanghaï, à Canton, à Chengdu, il y avait tel ou tel jeune photographe qui montait. Désormais, il y en a des dizaines, de très intéressants, dans plein de villes chinoises. Et ils travaillent énormément ! ", dit-il.
Le photographe coorganise, pour la deuxième année consécutive, avec la commissaire d'exposition française Bérénice Angrémy, le Caochangdi Photospring - Arles in Beijing, rendez-vous photographique de la capitale pékinoise, qui se tient du 23 avril au 31 mai, à Caochangdi, frange rurale du nord-est de Pékin investie il y a quelques années par les galeries d'art.
Toutes sortes de photographes étrangers y sont à l'honneur, mais la part belle revient aux nouveaux talents chinois. " Les photographes nés dans les années 1980 ou même 1990 s'expriment sur des sujets bien plus variés qu'on le faisait nous. Certains ont étudié la photo à l'étranger. Ils semblent libérés du fardeau de la symbolique historique. Mais ils sont aussi davantage tournés vers leur monde intérieur qu'ils essaient de communiquer ", estime Rong Rong.
Parmi les plus originaux, Ren Hang, 24 ans, déroule à travers ses photos de nus féminins et masculins, un drôle de poème visuel, entre apathie et appétit sexuel, ennui et sensualité, solitude et accouplements incongrus.
Naufragés
Autre découverte, Chen Zhe et ses 21 ans, auteure d'un travail visuel à partir de ses propres automutilations, a remporté le Grand Prix 2011 de la photographie décerné par Three Shadows. Elle vient de terminer une série encore inédite sur des naufragés de la violence sur soi-même, qu'elle a approchés, écoutés et photographiés.
Solliciter les ressources de ce continent émergent de la photographie qu'est la Chine est grisant : le Français Didier de Faÿs, créateur du site Photographie.com, et son équipe ont donné carte blanche, dans le cadre du festival, à 24 jeunes photographes chinois pour photographier Pékin pendant 24 heures, un week-end d'avril. La " rédaction " de 24h.com réceptionnait les photos à Caochangdi avant de les mettre en ligne sur le site.
Le dispositif, conçu comme une expérience de " néo-média ", qui permet au photographe d'être publié très vite, avait été mis en oeuvre pour la première fois en octobre 2010, lors de la Nuit blanche parisienne et du Millénaire d'Hanoï. Le marathon visuel pékinois démarre avec l'improbable journée de Cheng Gong, un photographe d'événements sportifs officiels, qui a entrepris de suivre, en noir et blanc, du réveil à la sortie de leur concert, les musiciens d'un des groupes de musique chinois les plus décalés, " zero one ", mélange de vaudou tibéto-mongol et de hard metal.
Sans cesse, les photographes interrogent les mutations de la ville. Zhang Bing fragmente le paysage urbain à l'aide d'un miroir, dans une série intitulée " Le passé et le présent ". Yuan Yangyang, jeune photographe qui étudie en Angleterre, a trouvé qu'elle n'avait plus de " connexion " à Pékin. Le quartier où elle habitait, enfant, a été détruit. Elle a voulu montrer les Pékinois dans le parc où ont été construites des répliques des monuments du monde. " On démolit et on construit tellement en Chine aujourd'hui, que c'est forcément un thème dominant pour les photographes. C'est instinctif, on réagit à ce qui se passe ", estime Rong Rong, qui réalisa, lui, il y a quelques années, tout un travail photographique autour des ruines.
Brice Pedroletti
Site du photographe Gilles Sabrié : Chine.blog.lemonde.fr
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