Le Monde - International, jeudi 12 mai 2011, p. 6
Les " monastères rebelles " s'exposent à des raids punitifs à grande échelle de la part des autorités chinoises au Tibet et dans les zones tibétaines des provinces de l'ouest de la Chine. Mises en oeuvre après l'embrasement des régions tibétaines en mars 2008, ces nouvelles procédures s'accompagnent du transfert d'une partie des moines vers des centres ad hoc d'" éducation légale ".
Ce terme remplace depuis 2008 celui de " rééducation patriotique ", qui désignait les campagnes d'endoctrinement et de dénonciation du dalaï-lama dans les monastères tibétains, depuis 1996, par le département des affaires religieuses et de la propagande du parti.
" L'idée est de pénaliser collectivement les monastères lorsqu'il y a des troubles. Cela ne suffit plus d'expulser les membres qui ont causé les problèmes ou de sanctionner les responsables religieux ", explique le chercheur Nicholas Becquelin, de Human Rights Watch, à Hongkong.
L'organisation de défense des droits de l'homme avait publié, dans son rapport 2010 sur la répression au Tibet, une nouvelle directive du gouvernement de la préfecture tibétaine de Ganzi, dans le Sichuan, datée de juin 2008. Elle décrit les mesures à prendre afin de " traiter de manière stricte avec les monastères rebelles " et les moines ou nonnes qui arborent " le drapeau au Lion des neiges " (drapeau du Tibet libre), " crient des slogans réactionnaires " ou " participent à des manifestations ". " C'est une opération quasi militaire, avec des projecteurs, des chiens. Les locaux sont intégralement fouillés. Les autorités ont en réalité des fiches sur tous les membres du monastère ", précise M. Becquelin.
Détention illégale
C'est le scénario qui s'est déroulé dans le monastère de Kirti, à Aba, dans le nord du Sichuan, en avril, et qui a conduit à une confrontation entre les forces de l'ordre et la population locale venue défendre le monastère. Près de 300 moines ont été emmenés de force par les autorités, le 21 avril.
En avril 2008, les grands monastères de Lhassa, Drepung, Sera et Ganden, d'où étaient parties les premières manifestations de moines, le 10 mars et les jours suivants, avaient été la cible de raids similaires. Entre 600 et 800 moines avaient alors été transférés, pour certains, dans un camp militaire aux environs de Lhassa, et pour d'autres dans le Qinghai, selon l'association Free Tibet. La plupart ont ensuite été renvoyés, entre septembre et novembre, dans leurs contrées d'origine, puis placés sous surveillance, avec interdiction de rejoindre un monastère.
Depuis 2008, la répression et la surveillance se sont accrues dans les zones tibétaines des provinces chinoises, où les incidents se multiplient. Pour Robert Barnett, directeur du programme d'études tibétaines modernes à l'université Columbia de New York, cette nouvelle forme d'" éducation légale " testée à Lhassa a bien été appliquée à Kirti en avril. " Cette stratégie a pour but de briser la solidarité entre les moines en les séparant en des petits groupes. On "retourne" ceux qui sont le plus influençables, et on punit ou intimide ceux qui résistent le plus. "
Les autres formules d'" éducation légale " des moines, via des sessions de trois mois organisées dans les monastères et sanctionnées par des examens, subsistent. C'est le lancement d'une nouvelle campagne dans les monastères de Lhassa en 2007 qui avait nourri, selon M. Barnett, les récriminations des moines de Drepung quand ils ont manifesté le 10 mars 2008.
Pour le tibétologue américain, le terme d'" éducation légale " masque, sous couvert d'éducation, une détention... illégale. Les lieux de détention peuvent être des bâtiments publics, d'anciennes écoles ou d'anciennes casernes. Les moines sont répartis en plusieurs catégories, avec un degré différent de surveillance. Il n'y a pas forcément de violences sur place. " Certains, même, s'ennuient, selon nos témoignages, explique M. Becquelin. C'est essentiellement un jeu psychologique. Dénoncer le dalaï-lama crée une souffrance psychique. On vous propose une alternative. Le but est d'avoir au moins une reconnaissance formelle que l'individu a commis des erreurs. "
La peur principale est, dans ces endroits, celle de la disparition. " Quand des gens sont arrêtés au moment du raid, ou bien livrés à la police par le centre, il n'y a pas de nouvelles, on ne peut jamais vérifier ce qui se passe ", ajoute le chercheur.
Brice Pedroletti
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