Le Monde - Economie, mercredi 11 mai 2011, p. 15" Interdépendance ", " complémentarité ", " collaboration vigoureuse ". Les amabilités échangées entre les Etats-Unis et la Chine à l'ouverture d'une rencontre de haut niveau à Washington, lundi 9 mai, n'ont trompé personne sur la persistance de frictions entre les deux premières puissances économiques mondiales. Pourtant, à l'occasion de ce " dialogue " annuel, troisième du genre, elles ont semblé vouloir mettre un couvercle sur les affrontements qui ont dominé leurs relations économiques ces derniers mois.
Du côté de l'administration Obama, le ton s'est radouci sur la question du yuan, la devise chinoise, éternelle pomme de discorde avec Pékin. En recevant une importante délégation conduite par le vice-premier ministre chinois, Wang Qishan, le secrétaire au Trésor américain, Tim Geithner, a été clair : " Le passage de la Chine à un taux de change plus flexible " reste " prioritaire " pour les Etats-Unis. Les élus américains jugent le yuan sous-évalué de 20 % à 40 % par rapport au dollar, alors que le déficit commercial des Etats-Unis avec la Chine a atteint le chiffre record de 273 milliards de dollars (190 milliards d'euros) en 2010.
Mais les autorités américaines constatent que les choses bougent en République populaire. En amont de la réunion sino-américaine, M. Geithner avait relevé avec un optimisme inhabituel les " prémices de changements prometteurs dans la politique économique " d'une Chine cherchant à faire davantage reposer sa croissance sur la demande intérieure.
Soucieux de protéger la compétitivité de ses entreprises exportatrices, Pékin repousse depuis deux ans les pressions américaines en faveur d'une réévaluation rapide de sa monnaie. Mais l'ordre des priorités est en train de changer. " L'inflation est devenue une inquiétude majeure et, dans ce contexte, les dirigeants chinois semblent plus disposés à accepter un yuan plus fort ", indique Bei Xu, économiste chez Natixis.
La hausse des prix s'est accélérée en Chine pour atteindre 5,4 % en mars, au plus haut depuis l'été 2008. Malgré une série de resserrements monétaires, les responsables chinois ne sont pas parvenus, pour l'heure, à freiner ce dérapage inflationniste. Au sein de la banque centrale, des voix haut placées s'élèvent pour vanter les mérites d'une appréciation de la monnaie, susceptible de réduire la facture des biens importés. Pékin, qui redoute de voir les craintes sur la cherté de la vie dégénérer en révoltes sociales, est plus disposé à examiner cette option.
Fin avril, le renminbi a atteint son plus haut niveau historique, à moins de 6,50 yuans pour 1 dollar. Un seuil psychologique important pour nombre d'analystes. Depuis que Pékin s'est engagé, en juin 2010, à introduire un peu de souplesse dans son régime de change, le yuan a gagné 5 % face au dollar. " Cela peut sembler modeste, mais c'est significatif, historiquement parlant ", souligne Bei Xu. D'autant que, sur la période, les coûts salariaux ont beaucoup augmenté, de l'ordre de 13 % à 14 % selon Mme Bei.
Les Etats-Unis, qui trouvent le mouvement trop lent, ont renoncé à poser un ultimatum. Washington a renoncé à accuser formellement Pékin de " manipuler " sa devise, comme il l'en avait menacé tout au long de l'année 2010. Le projet de loi prévoyant des mesures de rétorsion commerciales, adopté fin septembre 2010 par la Chambre des représentants, est resté lettre morte. Aucun vote n'a été programmé du côté du Sénat. Les responsables américains mettent l'accent sur la nécessité pour la Chine d'ouvrir plus vite son territoire et ses marchés aux flux économiques et financiers qu'elle contrôle aujourd'hui étroitement.
Si les Etats-Unis restent prudents, c'est qu'ils savent se trouver eux aussi en position d'" accusé " vis-à-vis de la Chine, leur principal créancier. Lorsqu'ils reprochent à l'" atelier du monde " de profiter avec le yuan d'un " avantage concurrentiel indu " à l'export, les Chinois répliquent en évoquant l'érosion de la valeur du dollar et le creusement abyssal de la dette américaine.
Pékin accuse Washington de faire tourner la planche à billets, de propager ainsi l'inflation dans le reste du monde et de contribuer au déséquilibre des flux commerciaux. Lundi matin, avant l'ouverture du " dialogue " sino-américain, l'agence d'information officielle Xinhua dénonçait le " plongeon " du dollar, " source de nombre des problèmes économiques internationaux du moment ".
Sylvain Cypel (à Washington) et Marie de Vergès
PHOTO - U.S. Treasury Secretary Tim Geithner (R) and Secretary of State Hillary Clinton (C) listen to closing statements from China's Vice Premier Wang Qishan during the U.S.-China Strategic and Economic Dialogue at the Interior Department in Washington, May 10, 2011. Wang said on Tuesday that China and the United States have agreed to communicate and coordinate more closely on economic policy and to work to ease huge financial imbalances.
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