vendredi 20 mai 2011

REPORTAGE - L'appétit de la Chine pour l'or noir mène à Karamay - Harold Thibault


Le Monde - Environnement & Sciences, vendredi 20 mai 2011, p. 7

Installés à l'avant d'un camion stoppé dans le désert, deux hommes en combinaison rouge expliquent qu'ils pompent l'eau d'une nappe avant l'installation d'un nouveau derrick. Le paysage est lunaire. Au loin, Karamay, véritable ville-champignon au nord-ouest de la Chine, qui s'est développée en quelques années seulement.

" Ici tout le monde travaille soit directement dans le pétrole, soit dans des services annexes ", déclare l'un des ouvriers, racontant que huit ou dix ans auparavant, Karamay, au coeur de la région autonome du Xinjiang, ne pesait pas grand-chose. Depuis, rares sont les banques, hôtels et bus à ne pas arborer le logo du géant Petrochina, dont le siège local, qui trône à l'entrée de la ville, est plus haut que celui du Parti communiste : 85 à 90 % de l'économie de la ville sont directement liés à l'or noir.

Par endroits, des flaques de pétrole dégoulinent à même le sol. L'anecdote veut qu'un vieil homme ouïgour du nom de Salimuhu découvrît dans les années 1940 cette mystérieuse " huile noire " qui allait donner à la ville son nom et apporter chauffage et lumière. Il s'empressa de transporter le liquide à dos d'âne. Dix ans plus tard, le premier puits de pétrole du pays - directement géré par Pékin - était ouvert.

La croissance de la consommation d'énergie chinoise a accéléré le mouvement. L'organe de planification économique du gouvernement a annoncé, jeudi 12 mai, la suspension des exportations de diesel chinois et le " strict contrôle " de la vente à l'étranger d'autres produits pétroliers raffinés. La Commission nationale pour le développement et la réforme a appelé les trois grands producteurs chinois (Petrochina, Sinopec et China National Oil Offshore Company) à " assurer une pleine capacité opérationnelle ", et ce, afin de " maintenir la stabilité sociale et soutenir la croissance économique ", alors que le prix du baril a atteint les 100 dollars (70 euros).

La Chine est devenue en 1993 un importateur net de pétrole, mais le pays continue d'exporter des produits raffinés, vers le Vietnam, le Japon, Singapour ainsi que certains pays occidentaux.

Cet appétit se traduit directement dans la " ville de l'huile noire " où s'activent à perte de vue les pompes à bascule des derricks. Petrochina a annoncé en février l'augmentation de la production du champ pétrolifère de Karamay, passée en deux mois de 25 870 tonnes à 29 000 tonnes par jour. Le plus important champ de l'ouest du pays a produit 10,89 millions de tonnes de brut l'an dernier. En 2011, Petrochina a débuté l'exploitation des réserves locales de pétrole brut lourd, dont la densité rend le transport et le raffinage plus coûteux.

" Marge de développement "

Les réserves qu'abrite le Xinjiang expliquent en partie l'intérêt de Pékin pour la région, où les tensions ethniques entre migrants han et ouïgours sont vives et ont conduit à de sanglantes émeutes à Urumqi (capitale du Xinjiang), en juillet 2009. A Karamay, l'équation est plus simple, car les trois quarts de la population sont des migrants han recrutés par Petrochina. Les Ouïgours expliquent qu'il leur est possible d'être embauchés mais à condition de maîtriser le mandarin. Les deux communautés se mélangent peu.

Le professeur Guo Haitao, chercheur à l'Université chinoise du pétrole, explique que le Xinjiang est crucial pour la stratégie énergétique du pays. Un oléoduc relie la région au Kazakhstan, avant que le pétrole importé d'Asie centrale et celui produit au Xinjiang soit livré dans les provinces industrielles côtières de l'Est. Plus proches de ces zones littorales dynamiques, les champs du Nord-Est s'épuisent. " A l'Est, les réserves d'or noir déclinent après des décennies d'exploitation. Le pétrole du Xinjiang offre une réelle marge de développement ", constate M. Guo. Ce spécialiste prévient : " Les prix élevés du pétrole importé sont un lourd fardeau, de sorte que la Chine doit changer son mode de consommation d'énergie, être plus efficiente et s'approcher d'un équilibre avec les ressources pétrolières disponibles. "

Pékin a adopté en mars un nouveau plan quinquennal qui guidera ses choix stratégiques jusqu'en 2016 et prévoit une réduction de sa dépendance historique au charbon, qui couvre les deux tiers de ses besoins en énergie, en s'appuyant davantage sur les énergies renouvelables.

Il prévoit également de nouveaux investissements dans le pétrole, notamment en Mongolie intérieure et au Xinjiang.

Harold Thibault

PHOTO - A pump jack is seen surrounded by steam during sunset at a PetroChina's oil field in Karamay, Xinjiang Uigur Autonomous Region January 5, 2011. Harsh winter weather across parts of China could disrupt transport and strain energy supplies. Picture taken January 5, 2011.

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