mercredi 8 juin 2011

En Libye, la diplomatie chinoise ménage les deux camps - Arnaud de La Grange


Le Figaro, no. 20792 - Le Figaro, mercredi 8 juin 2011, p. 5

Pékin fait une entorse notable au principe de non-ingérence, qui fonde en temps normal sa politique étrangère.

Après des semaines de prudent attentisme, la Chine commence à s'activer sur le front diplomatique libyen. Et ce, des deux côtés des lignes. Alors que des diplomates chinois se rendent dans le fief rebelle de Benghazi, Pékin accueille en ses murs le chef de la diplomatie du colonel Kadhafi.

Le ministre des Affaires étrangères libyen, Abdulati al-Obeidi, est arrivé hier à Pékin et doit y rester jusqu'à demain. Il est reçu comme « émissaire spécial » de Tripoli, a expliqué Hong Lei, porte-parole du ministère des Affaires étrangères, et les discussions porteront sur la recherche d'une « solution politique » à la crise. Dans le même temps, des envoyés chinois sont arrivés à Benghazi pour des rencontres avec la direction politique rebelle. Officiellement, il s'agit de « mieux comprendre la situation humanitaire » en Libye. De « maintenir le contact avec le Conseil national de transition (CNT) » aussi, la Chine ayant concédé vendredi un premier contact entre son ambassadeur au Qatar et le CNT.

La verve lyrique de Kadhafi

La Chine envisage-t-elle de se lancer dans une inédite tentative de médiation ? Ou se contente-t-elle de ménager ses intérêts, en prenant langue avec les deux camps ? Certains observateurs croient voir dans le dialogue initié avec les rebelles le signe que le régime du Guide libyen n'a plus l'avenir devant lui. Très diplomatiquement, Yin Gang, spécialiste du monde arabe à l'Académie des sciences sociales - un think tank officiel -, explique qu'il y a deux mois, les gens de Benghazi ne pouvaient être vus que comme des rebelles, « alors qu'aujourd'hui, il y a plus de possibilité qu'ils deviennent un jour les représentants légitimes du peuple libyen ». Ce chercheur écouté estime qu'avec la Russie, la Chine est le seul grand pays « à pouvoir en théorie jouer les médiateurs, puisqu'elle n'a pas pris parti ». La Chine n'avait pas voté la résolution de l'ONU ouvrant la voie aux frappes aériennes, en mars, mais n'avait pas non plus mis de veto.

Une chose est sûre, la Chine fait ici une notable entorse au principe de non-ingérence, clé de voûte de sa politique étrangère. Pékin a horreur que l'on discute avec des séditieux, de quel que bord que ce soit. Il est vrai aussi que Pékin n'a guère goûté la verve lyrique de Kadhafi, menaçant les insurgés d'une répression « similaire à celle de Tiananmen ». Mais surtout, la Chine peut être ébranlée par les déclarations récurrentes de rebelles affirmant que les pays les ayant soutenus seront remerciés dans les futurs contrats.

Jusqu'à présent, les Chinois étaient surtout actifs en Libye dans le secteur pétrolier, les chemins de fer et les télécommunications. Leur présence importante est apparue au grand jour quand ils ont évacué leurs 35 000 ressortissants.

Une douzaine de grosses entreprises d'État et plusieurs dizaines d'autres sociétés auraient raflé plus de 15 milliards d'euros de contrats sur les chantiers du Guide. « Et la Chine, pays désormais très mondialisé, a autant de raisons que les Occidentaux de s'inquiéter de la situation au Proche-Orient, nous confiait récemment Jean-Pierre Cabestan, de la Hong Kong Baptist University. Elle importe aujourd'hui la moitié de son pétrole, et 50 % de ces importations viennent de la région. » D'une manière plus générale, la Chine craint une perte d'influence dans la région, ayant fait un fonds de commerce des relations avec les pays en délicatesse avec le reste de la communauté internationale.

PHOTO - Chinese foreign ministry spokeswoman Jiang Yu departs following a press briefing in Beijing on March 22, 2011 where China reiterated its opposition to the use of force in Libya amid Western air strikes there and called for an immediate ceasefire in the country's conflict. The government spokeswoman, however, did not make clear whether she was referring to a ceasefire by Western powers or repeating China's earlier calls for a halt of hostilities between the government and rebels in the North African state.

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